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Le « paradoxe de l’environnementaliste » : pourquoi le bien-être s’accroît quand les services écosystémiques déclinent ?

Appuyés par un faisceau de résultats scientifiques ainsi que par nombre de chercheurs eux-mêmes, les environnementalistes nous avertissent régulièrement que la détérioration écologique se traduit par une diminution du bien-être humain. Pourtant, le rapport de l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire [1] rapporte que le déclin de la plupart des services écosystémiques de la planète a été accompagné d’une augmentation mondiale du bien-être humain. Pourquoi ce paradoxe ? C’est de cette intrigante contradiction dont il est question dans article paru en 2010 dans la revue Bioscience [2].

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Les services écosystémiques sont à la base de la subsistance et de la qualité de vie des êtres humains. On peut distinguer trois types de services dont les êtres humains dépendent :

  • les services d’approvisionnement : eau potable, nourriture, bois, fibres textiles, minerais, combustibles, etc.;
  • les services de régulation : influence sur le climat, le cycle de l’eau, les inondations, l’érosion, la qualité et la fertilité des sols, la pollinisation, la régulation des maladies et de leur vecteur, la qualité de l’air atmosphérique, la régulation des ravageurs, etc.;
  • les services culturels : bénéfices récréatifs, esthétiques, scientifiques et spirituels.

Mais si nous dépendons si étroitement de ces services et que ceux-ci disparaissent, pourquoi le bien-être humain ne diminue-t-il pas ? Les auteurs de l’article ont émis quatre hypothèses et évalué leur bien-fondé :

  1. la mesure du bien-être humain est incorrecte;
  2. le bien-être repose essentiellement sur l’apport alimentaire et peu sur les autres services écosystémiques;
  3. la technologie a découplé le bien-être humain des écosystèmes;
  4. il existe un décalage entre la dégradation des écosystèmes et les répercussions sur le bien-être humain.

Hypothèse 1

Si la mesure du bien-être humain est incorrecte, cela signifie qu’elle ne reflète pas adéquatement certaines de ses dimensions critiques. Dans l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire [1], le bien-être est défini par 5 variables, soient les besoins de base, la santé, la sécurité, les relations sociales et la liberté de choix et d’action. Le bien-être est représenté par un indicateur composite, l’index de développement humain (IDH) [3], qui est une mesure qui intègre plusieurs variables telles que l’espérance de vie, l’alphabétisation, le niveau d’étude et le produit intérieur brut (PIB) per capita. Afin de déterminer si l’IDH cache d’autres tendances que celles mises en évidence par l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire, les auteurs ont mené une revue de la littérature sur les liens entre les services écosystémiques et les différentes variables qui définissent l’IDH.

La littérature montre que les composantes de l’IDH, notamment le PIB per capita, le taux de survie infantile et l’éducation s’améliorent mondialement. De plus, les inégalités entre individus diminuent globalement. Les inégalités au sein même des pays augmentent, mais elles diminuent quand on compare les pays entre eux. Aussi, bien que le nombre de catastrophes naturelles ait augmenté (et qu’elles soient souvent reliées à la dégradation des écosystèmes), le nombre de décès qui leur sont imputables a diminué grâce aux avancées technologiques, à une meilleure santé des populations et une meilleure préparation. Le nombre d’individus vivant sous le seuil de pauvreté diminue depuis la dernière moitié de siècle. L’accès aux services sanitaires et à l’eau potable s’est aussi accru globalement. Bref, ces travaux montrent qu’en moyenne tous les paramètres relatifs au bien-être humain s’améliorent au niveau mondial, réfutant ainsi l’hypothèse 1 [2].

Hypothèse 2

L’hypothèse 2 est soutenue par le fait que les innovations en agriculture liée à la Révolution verte qui débuta dans les années 60 a permis d’augmenter globalement et significativement l’apport calorique, et de diminuer la malnutrition. La production de céréales, de viande et de poisson a dépassé la croissance démographique. En fait, l’augmentation de l’IDH apparait fortement corrélée à l’apport en nourriture, notamment à celui de viande [2].

Champ de blé
Champ de blé, Provin, France (crédit photo : Planète viable, 2012)

Les auteurs ont néanmoins évalué l’impact sur le bien-être des services écosystémiques autres que ceux reliés à l’apport en aliments. Aucune corrélation n’apparaît entre l’IDH et ces services [2]. Pourtant, des exemples locaux montrent très clairement que la perte de certains services écosystémiques est associée à une diminution du bien-être. La santé par exemple est directement reliée à la mauvaise qualité de l’eau potable, des terres ou de l’air. De même, la pénurie de ressources halieutiques ou les conflits pour les ressources peuvent affecter la vie des populations. La disparition des tourbières et des barrières de corail réduit la protection contre les inondations et contre l’érosion et fragilise les activités de pêche. Il est même paradoxal que des zones qui ont vu l’émergence de systèmes de production agricole industrielle et où l’IDH continue d’augmenter voient par ailleurs les communautés locales quitter ces terres, la qualité de l’eau se détériorer, des services écosystémiques et de la biodiversité diminuer, et perdre tout attrait culturel ou activité de loisir.

En conclusion, de nombreux résultats montrent que la perte de services écosystémiques a localement ou régionalement un effet direct sur le bien-être humain. Et bien que le la qualité de vie pourrait être meilleure si les divers services écosystémiques étaient préservés, il semble que pour l’instant les bénéfices associés à la production alimentaire dépassent le déclin des autres services écosystémiques, et qu’il s’agit là d’un des principaux facteurs qui contribuent au paradoxe de l’environnementaliste [2].

Hypothèse 3

La littérature donne de nombreux exemples de services écosystémiques qui sont utilisés avec une plus grande efficacité grâce à la technologie et à différentes innovations. Le meilleur exemple est donné par la capacité de l’humanité à faire croître des aliments sur des parcelles de terres de plus en plus petites. Dans certains cas, une quantité donnée de nourriture est cultivée en épandant moins de fertilisant. De façon similaire, la productivité globale des matériaux et de l’énergie semblent croître également [2].
La technologie a donné naissance à des services qui se sont substitués à ceux fournis par la nature. La combustion des énergies fossiles par exemple a amélioré le bien-être et s’est accompagné d’une utilisation de services écosystémiques minimale [2]. La médecine a fortement a amélioré les conditions sanitaires tandis que de meilleures sources d’eau potable a compensé pour une diminution de la qualité de l’eau potable et a réduit la mortalité infantile.

Or, l’utilisation plus efficace des services écosystémiques ne permettra à l’humanité de survivre qu’en autant que les gains dépassent les pertes de services. Ainsi, malgré d’incontestables améliorations dans l’utilisation des ressources et des services écosystémiques, la demande continue de s’accentuer pour 80% des services écosystémiques analysés. À titre d’exemple, la taille de l’économie augmente continûment de 3,2 % annuellement. La demande en ressources et en énergie, notamment en combustibles fossiles, continue sa course à la hausse.

De plus, la technologie a ses limites et ne remplace jamais vraiment la nature. Au mieux, elle étend les bénéfices des services écosystémiques comme par exemple les usines de filtration d’eau [2]. Aussi, lorsque la technologie remplace un service de la nature, c’est au dépend d’une multitude d’autres services puisque un écosystème remplit une myriade de fonctions la fois. Il s’agit donc d’un appauvrissement. L’aquaculture par exemple ne remplit que peu de fonctions par rapport à celles que remplissent mangroves, coraux et plantes marines que l’on détruit pour l’implanter. Enfin, il faut considérer que tenter de remplacer un seul service de la nature, ne serait-ce que partiellement, coûte extrêmement cher.

En résumé, la technologie semble nous permettre d’utiliser les services écosystémiques plus efficacement mais semble ne pouvoir découpler le bien-être que partiellement et localement. Une dégradation des écosystèmes qui s’accentuerait devrait donc à terme avoir des répercussions négatives sur le bien-être humain.

Hypothèse 4

Cette hypothèse suppose que la dégradation des écosystèmes n’a pas d’impact sur le bien-être du fait d’un décalage entre le premier et le second. Dans cette section, les auteurs ont évalué la possibilité d’atteindre les limites des ressources et le point où les déclins dans les services écosystémiques affecteront le bien-être en se basant sur la littérature.

Ils rapportent ainsi nombre de résultats sur l’état de la planète. Par exemple, le fait que l’on approche des limites de l’utilisation des ressources et que la demande mondiale dépasse les capacités de la planète. On estime que les êtres humains s’approprient une telle part de la production primaire nette (la quantité d’énergie accumulée par la biomasse par photosynthèse) que l’humanité semble ne plus pouvoir s’étendre davantage sur la Terre.

Les ressources halieutiques mondiales s’épuisent et les êtres humains s’approprient déjà 50% de l’eau de ruissellement du monde. Les écosystèmes s’approchent de limites au-delà desquelles on observe localement des transformations irréversibles comme dans le cas de la salinisation des sols, de l’eutrophisation de l’eau, de la désertification, des espèces invasives, du régime de feux de forêts et des changements climatiques.

Les conséquences des activités humaines peuvent avoir des effets qui s’additionne comme dans le cas des barrières de corail qui sont menacées d’un effondrement presque complet du fait de l’acidification des océans, des changements climatiques et de la simplification des réseaux trophiques, alors que des dizaines de millions de personnes en dépendent pour leur subsistance.

Ceci amène les auteurs à se questionner non plus sur l’impact des êtres humains sur les écosystèmes, mais sur un champ d’étude moins bien connu, soit l’impact de l’effondrement des écosystèmes sur les êtres humains. Parmi les conséquences envisagées notons la compétition pour les ressources, les migrations de populations, les crises alimentaires, du pétrole et les crises financières, etc. Ceci pose aussi la question de la capacité d’adaptation des sociétés humaines. Dans de telles circonstances, une diminution du bien-être humain est anticipée.

En résumé, l’existence d’un décalage entre la détérioration du capital naturel et le déclin des services écosystémiques offre une explication plausible au paradoxe de l’environnementaliste, mais selon les auteurs l’absence de données claires sur la durée et la généralité de ce décalage empêche de complètement valider cette hypothèse.

Bibliographie :

[1] Évaluation des écosystèmes pour le millénaire (2005) Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE)
[2] Raudsepp-Hearne, C. et coll. Untangling the environmentalist’s paradox: why is human well-being increasing as Ecosystem Services Degrade? BioScience 60 (2010) 576-589 (doi: http://dx.doi.org/10.1525/bio.2010.60.8.4).
http://www.bioone.org/doi/abs/10.1525/bio.2010.60.8.4
[3] Indice de développement humain, Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), http://hdr.undp.org/fr/statistiques/

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