mardi, avril 23, 2024

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Les limites planétaires d’un monde viable

Les transformations géophysique de la Terre sont, et ce surtout depuis environ 200 ans, dominées par l’action de l’Homo sapiens. Cette constatation a conduit à la notion d’Anthropocène, une époque géologique qui représente la période qui a débuté avec la Révolution industrielle. Cet état de fait pourrait ne pas être grave si ce n’était des détériorations de l’environnement résultant des activités humaines. Cette dégradation est globale et atteint un tel degré d’intensité qu’elle influence désormais le fonctionnement du système terrestre lui-même. Si l’humanité ne transforme pas rapidement son système socioéconomique et sa manière de vivre ou si sa réponse reste inadéquate, elle atteindra à terme un point de basculement qui conduira à un changement d’état de la planète. Notre civilisation reposant totalement sur un fonctionnement adéquat de la biosphère, une conversion du fonctionnement planétaire naturel actuel mettrait en péril le bien-être de l’être humain, voire son existence même.

Cette perspective a tout naturellement conduit les scientifiques à tenter de déterminer des limites globales au-delà desquelles les dégradations environnementales planétaires ne permettraient plus aux activités humaines de se poursuivre. Dans un article paru en 2009 dans la revue Nature, un ensemble d’une trentaine de chercheurs ont ainsi élaboré cette notion de limites planétaires.1 Les chercheurs ont identifié neuf crises environnementales (ou processus naturels) pour lesquelles il apparaît nécessaire d’associer une variable (un indicateur) permettant de quantifier leur évolution par rapport à un état de référence, et d’établir une valeur critique, c’est-à-dire une limite planétaire, au-delà de laquelle un tel processus terrestre pourrait basculer dans un nouvel état.1

Les neuf processus retenus sont l’érosion de la biodiversité, les changements climatiques, l’acidification des océans, le trou de la couche d’ozone de la stratosphère, les cycles biogéochimiques (azote et phosphore), l’utilisation de l’eau douce, le changement de vocation des terres, la pollution chimique et la teneur de l’atmosphère en aérosols.1 L’indicateur de chaque processus menacé, sa valeur avant l’ère industrielle, la valeur actuelle et la limite à ne pas dépasser sont décrits dans le tableau ci-dessous. Des détails sur certains indicateurs peuvent être trouvés dans les références du tableau et la bibliographie qu’elles contiennent.

Tableau des limites planétaires
Les neuf processus terrestres à surveiller selon Rockström et coll.,1 leur indicateur, la valeur actuelle et la limite planétaire qu’il pourrait être dangereux de dépasser. Les lignes rouges correspondent aux limites qui ont déjà été dépassées, les vertes à celles qui ne l’ont pas encore été.

Le tableau montre par exemple que l’indicateur choisi pour la biodiversité est le taux d’extinction des espèces, tandis que pour les changements climatiques, la mesure des émissions de CO2 ou du forçage radiatif sont proposés. En ce qui concerne les problèmes liés à l’eau douce (accès à l’eau potable et au système sanitaire), le volume d’eau utilisé par la population apparaît logique. Le pourcentage de terres dont la vocation a été modifiée semble également une limite planétaire très pertinente, les perturbations causées par cette dégradation environnementale étant soupçonnées de pourvoir être une des mesures du changement de l’état de la biosphère.

De ces neufs limites planétaires, trois ont déjà été dépassées, soient le réchauffement planétaire, l’érosion de la biodiversité et le cycle de l’azote. Dans ce dernier cas, la valeur actuelle est plus de trois fois supérieure à sa valeur critique. En ce qui concerne la biodiversité, il y au moins un, peut-être deux ordres de grandeur d’écart. Deux autres limites n’ont pu être déterminées par les auteurs de l’article (ozone stratosphérique, pollution chimique), de sorte qu’il est difficile d’estimer où se situe le niveau actuel. Les autres processus n’ont pas encore atteints leur limite.

Évidemment, les indicateurs ne sont pas parfaits. Par exemple, utiliser le rythme d’extinction des espèces pour évaluer la qualité du fonctionnement des écosystèmes apparaît quelque peu simpliste. Il serait en effet plus pertinent de quantifier le rôle de la biodiversité sur la régulation de la résilience des écosystèmes. Cependant, un tel indicateur est hors de portée dans l’état actuel des connaissances. En ce qui concerne les changements climatiques, le forçage radiatif est sans doute un meilleur indicateur que les émissions anthropique de CO2, quoique ce dernier paramètre permette d’estimer les activités humaines dans ce domaine, même si les émissions des autres GES ne sont pas comptabilisées.

De façon analogue, la valeur attribuée aux limites planétaire revêt un aspect un peu arbitraire. Cependant, au-delà la valeur limite précise, le concept lui-même permet de comprendre que l’on ne peut continuer de détériorer continuellement l’environnement et permet de se donner une idée approximative et chiffrée des limites qu’il ne faut pas dépasser.

Diagramme limites planétaires
Représentation des neuf processus planétaires menacés par les activités humaines, de leur limite et de leur valeur actuelle. (Source : référence 1)

En fait, il est même très possible que les limites proposées soient surévaluées et que les points de basculement se situent en réalité à des valeurs inférieures. C’est d’autant plus vrai que les crises environnementales sont interconnectées et que franchir une limite peut accélérer la détérioration d’un autre processus. Par exemple, il est bien connu que le réchauffement planétaire et que la modification des terres sont deux facteurs à l’origine de la disparition des espèces. Aussi, la déforestation peut être à l’origine d’une perturbation du climat qui peut se propager dans d’autres régions.

Conclusion

Le bien-être de l’humanité reposant fondamentalement sur une biosphère en santé, elle ne peut se payer le luxe de continuer à détériorer ainsi son environnement et ainsi risquer de dépasser les limites naturelles sécuritaires dans lesquelles évoluer. Il est temps pour nos sociétés de négocier enfin le virage vers le développement durable.

Bibliographie

1 Rockström et coll., A safe operating space for humanity Nature (2009) 461 472 ;
Rockström et coll., Planetary Boundaries: Exploring the Safe Operating Space for Humanity Ecology and Society (2009) 14 32
2 Lefèvre T., Le B-A-BA de la biodiversité Planète viable (2012)
3 Lefèvre T., Forçage radiatif, albédo et effet de serre Planète viable (2012)
4 Lefèvre T., Les effets du CO2 sur les océans Planète viable (2012)
5 Lefèvre T., La gouvernance du trou de la couche d’ozone : un exemple à suivre Planète viable (2012)
6 Lefèvre T., Les limites de l’appropriation de l’eau douce par l’humanité Planète viable (2012)

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