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Un bouleversement global de l’état planétaire s’approche-t-il ?

La dégradation de la nature, telle qu’elle est causée par les activités humaines, s’accentue inexorablement, et plusieurs indices montrent que l’état de la planète se détériore gravement : changements climatiques, acidification des océans, érosion de la biodiversité, déforestation, altération des cycles biogéochimiques (phosphore, azote, soufre), etc. Face à ce constat, il apparaît légitime de se demander quelle est la limite jusqu’à laquelle la planète absorbera les effets dévastateurs du rouleau compresseur humain avant de subir une transformation globale irréversible de son « état biologique » ? Des chercheurs ont mené cette réflexion dans un article de synthèse paru dans la revue Nature. Difficile pour l’instant de savoir si une telle transition aura lieu dans un siècle, ou deux, ou si nous sommes déjà entrés dedans. Des travaux sont donc nécessaires pour résoudre cette question cruciale.

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La Terre a connu plusieurs transitions critiques par le passé. La dernière a eu lieu il y a 14 000 ans et s’est étalée sur 3 000 ans. Les conditions qui prévalaient antérieurement étaient celles d’une ère glaciaire qui a duré 100 000 ans. Cette transition a conduit aux conditions interglaciaires que nous connaissons aujourd’hui. Elle s’est traduite par une extinction notable des espèces, notamment de la mégafaune, une réorganisation de la biodiversité, et la recomposition de certaines communautés.

La Terre a également connu 5 autres transitions majeures que les scientifiques connaissent bien : il s’agit des 5 extinctions majeures d’espèces qui ont jalonné les 443 derniers millions d’années (la dernière a eu lieu il y a 65 millions d’années). Elles ont été causées par des collisions d’astéroïdes ou par un volcanisme intense. Ces événements ont aussi été marqués par des modifications majeures du climat et de la chimie de l’atmosphère et des océans.

La biopshère n’est donc pas dans un état stable ou à l’équilibre*. Elle évolue, comme l’illustre l’évolution du nombre d’espèces au cours de l’Histoire de la planète ou la variation du rayonnement solaire reçu par la Terre. On ne peut ainsi définir qu’un état biologique de référence sur certaines périodes de temps, par rapport auquel l’état biologique subit des variations au fil du temps géologique. Le passage d’un état à un nouvel état peut s’effectuer progressivement, c’est-à-dire par le franchissement d’un seuil, ou abruptement, par un événement brusque.

L’explosion du Cambrien constitue un exemple de transition critique progressive puisqu’elle dura 30 millions d’années. Elle a été marquée par la conversion d’un écosystème planétaire caractérisé par la prédominance de microbes à un écosystème global diversifié, basé sur une vie multicellulaire complexe. À l’opposé, l’extinction des espèces dite « K/T » qui a eu lieu à la fin du Crétacé il y a 65 millions d’années, est un exemple de transition abrupte. Elle a très probablement été causée par l’impact d’un astéroïde, et a été marquée par la disparition de 75% des espèces ainsi que par une réorganisation majeure des écosystèmes locaux et globaux.

Ainsi, devant l’ampleur des transformations que l’être humain impose aujourd’hui à la biosphère, il est pertinent, et même déterminant pour l’avenir de nos sociétés, de savoir si, et en fait quand, nous pourrions connaître une transition critique similaire à celles qu’a connue naturellement la Terre par le passé. Différents critères doivent permettre de répondre à cette question. Ils sont décrits ci-dessous.

Le premier critère consiste à mesurer la proportion mondiale de la surface terrestre qui a été transformée significativement par l’être humain. En effet, on sait que les modifications biotiques locales ont des répercussions dans des régions, généralement proches, qui ne sont pas directement affectées. À l’échelle d’un territoire, des effets de seuil peuvent ainsi être observés lorsque de 50 à 90% des zones sont perturbées. De même, il est bien connu que les zones densément peuplées, les routes et autres infrastructures provoquent des changements écologiques dans des zones qui ne subissent pas leurs effets directs.

Si l’on transpose ces résultats à l’échelle de la planète, ils impliquent que si une certaine surface de la planète a subi des transformations majeures, le reste de la planète pourrait suivre rapidement et irréversiblement. L’impact pourrait être accéléré si les effets globaux, par exemple des modifications de la chimie de l’atmosphère ou des océans, des cycles des nutriments, etc., exacerbent les effets locaux. Pour l’instant, on ne connait pas le pourcentage de la surface de planète qui doit avoir été transformée par l’action humaine pour déclencher une transition critique globale de l’état biologique de la planète.

Néanmoins, selon les estimations, 43% de la surface terrestre connaît d’ores et déjà une transformation massive, ce qui représente en moyenne 0,9 hectares (~9 m2) transformés par être humain. Si cette tendance n’est pas infléchie, 50% de la surface terrestre aura été transformée alors que la population atteindra 8,2 milliards de personnes, soit en 2025 selon les prévisions. En se basant sur les mêmes hypothèses, 70% de la surface terrestre pourrait avoir changé d’état en 2060 (population de 11,5 milliards d’individus).

Une autre interrogation concerne les écosystèmes océaniques puisqu’ils couvrent 70% de la surface de la planète. Les données actuelles laissent présager des impacts majeurs des activités humaines dans les mers et les océans, mais des données supplémentaires sont requises, notamment dans les régions isolées et peu étudiées, par exemple dans les hauts fonds.

Le second critère consiste à évaluer les changements biologiques locaux causés par les pressions externes. On s’est en effet rendu compte, en étudiant par exemple le Parc Yellowstone et ses environs, une région protégée depuis 1872, que des effets à large échelle influençaient les processus écologiques locaux. La difficulté consiste alors à reconnaître des changements « anormaux » puisque les systèmes biologiques sont dynamiques et que les déviations observées par rapport à un état de référence peuvent  conduire à différentes définitions de la « normalité ».

Ainsi, identifier des signaux de variations induites par des effets globaux dans un système local nécessite un contexte temporel de plusieurs siècles ou de plusieurs millénaires afin de se baser sur l’intervalle de variations écologiques des 11 000 années de la présente période interglaciaire que l’on considère comme « normales ».

Le dernier critère permettant de postuler l’imminence ou non d’une transformation radicale de l’écosystème planétaire consiste à mieux comprendre les synergies existant entre des processus apparemment indépendants et les effets de rétroaction. On peut s’attendre par exemple à ce que les changements climatiques, combinés à la fragmentation des terres, augmentent la probabilité d’un effondrement de l’écosystème terrestre, ce qui, à son tour, influencera gravement la biologie des océans.

En conclusion, les activités de l’Homo sapiens ont tellement modifié la Terre que les scientifiques ont dû admettre que nous étions entrés dans une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène (ce terme n’est néanmoins pas encore officialisé). Mais, au rythme auquel les êtres humains imposent leur empreinte sur la biosphère, les auteurs de l’article suggèrent qu’on peut s’attendre à ce qu’une nouvelle transition globale de l’état planétaire ait lieu d’ici un siècle ou deux, à moins qu’elle n’ait déjà commencé…

* En toute rigueur, la Terre n’est jamais tout à fait dans un état stable, mais on peut considérer que c’est le cas sur de courtes périodes de temps à l’échelle géologique quand les conditions ne fluctuent pas trop, par exemple durant l’Holocène.

Source :

Anthony D. Barnosky et coll., Approaching a state shift in Earth’s biosphere (2012) Nature 486 52-58 (doi:10.1038/nature11018)
http://www.nature.com/nature/journal/v486/n7401/full/nature11018.html

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