L’être humain modifie de façon radicale la biosphère, que ce soit en transformant les sols, en modifiant l’atmosphère et le climat, en acidifiant les océans, en bouleversant les cycles biogéochimiques (eau, azote, phosphore) et en étant à l’origine d’une disparition majeure des espèces. L’impact des activités de l’Homme sur la planète est tel que les scientifiques envisagent de nommer Anthropocène (du grec anthrôpos « homme » et kainos « récent ») l’époque qui a commencé il y a environ 200 ans. Cependant, les changements s’opèrent à une vitesse si rapide qu’ils ne correspondent pas parfaitement à la définition usuelle d’époque géologique.
Nous vivons actuellement dans la période géologique appelée quaternaire, elle-même divisée en deux époques géologiques appelées Pléistocène et, l’actuelle, l’Holocène. C’est l’Homo habilis au cours du Pléistocène qui, le premier, a commencé à modifier la Terre. Les premières marques humaines de cette époque sont rares. C’est à la fin du Pléistocène que l’influence des êtres humains, des chasseurs-cueilleurs, commence à vraiment se faire sentir, notamment avec la disparition de la mégafaune (les grands mammifères tels que le mammouth et le rhinocéros laineux). Bien que l’origine de la disparition de ces grands animaux reste sujette à discussion et ne puisse être uniquement attribuée à une seule cause (des variations climatiques sont également invoquées), elle coïncide avec l’arrivée de l’homme moderne.
L’empreinte de l’être humain devient plus marquée et plus répandue alors que l’Homo sapiens développe l’agriculture, notamment dans le Croissant fertile. Ce changement de comportement de l’espèce humaine est révélé par une présence nouvelle de pollen qui se dépose dans les couches sédimentaires. C’est également à cette période que le déboisement au profit de l’agriculture commence de façon significative. La perte de forêts pour ouvrir des terres agricoles pourrait avoir commencé à élever le niveau de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, et ce bien avant la révolution industrielle, mais dans une faible mesure.
L’urbanisation est une des caractéristiques les plus marquantes de l’être humain. Commençant par des villages au Néolithique, des cités-états apparaissent en Mésopotamie, et des villes en Égypte et dans la vallée de l’Indus. Avec l’augmentation de la population, la taille et le nombre de villes augmentent : la première ville de plus d’un million d’habitants est Rome au Ier siècle, puis il faut attendre le Moyen-âge. Au cours de l’histoire récente, la « Grande accélération » qui s’est opérée à partir de 1950 a vu naître et se multiplier les mégalopoles ainsi que le réseau routier et aérien. L’année 2010 est notable par le fait que, pour la première fois de l’humanité, plus de la moitié de la population vie dorénavant dans les villes. Le cap des 7 milliards d’âmes habitant la planète sera dépassé en octobre 2011, et nous serons probablement autour de 9 milliards en 2050.
L’urbanisation, l’agriculture, la construction de barrages, le déboisement transforment, de façon potentiellement non permanente, de larges surfaces de terre, faisant ainsi de l’être humain une force géophysique à part entière. Il accélère ainsi sur le long terme le rythme de l’érosion et de la sédimentation. Paradoxalement, bien que la déforestation et le changement de vocation des terres déversent plus de sédiments dans les rivières, moins de sédiments atteignent les plateaux continentaux (les fonds marins situés à proximité des côtes terrestres) du fait de la présence de nombreux barrages qui entravent les flux de particules sédimentaires et d’un usage parfois trop intensif de l’eau. De plus, l’utilisation massive de fertilisants (azote, phosphore) affecte les cycles biogéochimiques naturels.
Mais la transformation du sol n’est qu’un des aspects de l’impact des activités humaines. La révolution industrielle a vu l’émergence d’une utilisation intense d’énergies fossiles (charbon, gaz naturel, pétrole et ses dérivés (essence, mazout, kérosène), dont la combustion a libéré dans l’atmosphère des quantités substantielles CO2 qui était jusqu’alors séquestré dans le sous-sol. Avec la Grande accélération, les quantités de CO2 relâché atteignent des proportions suffisantes pour faire augmenter significativement, par effet de serre, la température planétaire. Les changements climatiques qui y sont associés ont une telle ampleur qu’ils dureront des centaines d’années, même si les émissions étaient arrêtées dès aujourd’hui. D’autres gaz à effet de serre (GES) émis par les activités humaines (méthane, oxyde nitreux, composés halogénés) contribuent significativement à ce phénomène et altèrent la composition chimique de l’atmosphère de la planète, non sans conséquences pour la santé humaine. Le réchauffement planétaire affecte directement la crysophère, notamment la mer de glace arctique, les Inlandsis de l’antarctique et du Groenland et le pergélisol.
Une partie du CO2 qui se retrouve dans l’atmosphère se dissous dans les océans, acidifie l’eau et altère des processus biochimiques marins comme la calcification du corail. Le réchauffement et la fonte de la glace des Inlandsis augmente par ailleurs le niveau d’eau des mers et des océans. La capacité de l’être humain à modifier la planète se manifeste également avec la formation du « trou de la couche d’ozone », un appauvrissement en ozone troposphérique aux pôles et qui est dû à la présence de molécules halogénées (notamment des chlorofluorocarbures ou CFC) dans l’atmosphère. Cette déplétion localisée de l’ozone semble cependant en voie de se résorber suite au protocole de Montréal, un accord visant à réduire l’utilisation de ces substances (1987)
L’ensemble de ces facteurs – la modification du sol, les changements climatiques, la variation de la composition chimique marine – sont la cause d’une disparition des espèces dont le taux de d’extinction dépasse déjà celui des extinctions majeures passées, par exemple celle correspondant à la disparition des dinosaures. Ainsi, comme d’autres époques géologiques passées, l’Anthropocène serait associé à une extinction majeure des espèces.
L’empreinte de l’être humain sur la géophysique de la planète atteint une telle échelle qu’une nouvelle époque géologique semble donc se dessiner. La prise de conscience de l’influence humaine sur la Terre remonte en fait au milieu du XIXième siècle, alors que George Perkins Marsh publie en 1864 un ouvrage intitulé « Man and nature: physical geography as modified by human action » (L’Homme et la nature : ou la géographie physique modifiée par l’action de l’être humain). Une décennie plus tard, le géologue italien Antonio Stoppani utilise le terme « Anthropozoïque » pour désigner une période marquée par la puissance et l’impact de l’Homme sur le système terrestre. Au débit des années 1920, le concept de Noösphère (de noüs : « esprit ») à été créé à la manière de géosphère (« planète inanimée »), puis biopshère (« vie biologique »). Le concept est développé par Édouard Le Roy, philosophe et disciple du philosophe Henri Bergson, Vladimir Vernadsky, géochimiste et naturaliste, et Pierre Teilhard de Chardin, géologue, paléontologiste et philosophe. La Noösphère serait donc de la troisième phase de développement de la Terre, celle où l’émergence de la cognition humaine transforme fondamentalement la biosphère. Finalement, il faut attendre 2002 pour que le concept soit réactualisé et que le prix Nobel de chimie Paul Crutzen nomme Anthropocène la période actuelle qui est caractérisée par la forte influence humaine sur la Terre.
Les critères permettant de définir avec plus de clarté une époque géologique et la pertinence de dénommer formellement Anthropocène une période qui a commencé lorsque les impacts de l’humanité sont devenus significatifs, sont en cours d’évaluation par un Groupe de travail de la Sub-Commission on Quaternary Stratigraphy (ou Sous-Commission de la Stratigraphie du Quaternaire), une division de l’International Commission on Stratigraphy (Commission internationale de Stratigraphie)), et qui va en aviser l’Union internationale des sciences géologiques (UISG). Une des particularités de cette période est l’extrême rapidité, le taux d’accélération même, avec lequel s’effectuent les changements géologiques, géochimiques et climatiques, qui n’ont aucune commune mesure avec ce que le passé a connu. Mais quelle que soit la décision prise à l’UISG, il est clair que quelque chose a changé dans l’Histoire de la planète au tournant de la révolution industrielle.
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Source :
Zalasiewicz J., Willliams M., Haywood A., Ellis M. The Anthropocene: a new epoch of geological time? Philosophical Transactions of the Royal Society A (2011) 369 835-841 (doi:10.1098/rsta.2010.0339)
http://rsta.royalsocietypublishing.org/content/369/1938.toc