samedi, avril 20, 2024

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L’économie de la biodiversité et des services écosystémiques

Dans l’optique de promouvoir la mise en place du développement durable, un paradigme s’impose progressivement depuis environ une décennie, celui d’intégrer dans l’économie le coût de la nature, donc le coût de sa détérioration ou de sa destruction. Cette idée très actuelle est aussi très vivante. Prenons-en pour preuve le colloque organisé le 9 et 10 mai dernier dans le cadre du 81e congrès de l’ACFAS et intitulé « l’économie de la biodiversité et des services rendus par les écosystèmes ». Ce colloque a été l’occasion de discuter des méthodes visant à évaluer les services écosystémiques, leurs bénéfices, ainsi que les limites et les difficultés qui sont associées à ces méthodes.

La faune, la flore et les habitats fournissent de nombreux « services » aux êtres humains. Ils sont pour la plupart essentiels : ils nous procurent par exemple l’air que respirons, l’eau que nous buvons et la nourriture que nous mangeons. Leur qualité et leur innocuité dépendent de notre faculté à ne pas les trop détériorer. Les écosystèmes nous fournissent aussi des matériaux, le domicile dans lequel nous habitons, ils contribuent à la régulation du climat, assurent la qualité des sols et des rivières, etc. Les services écologiques sont aussi essentiels au tourisme et à la culture des sociétés, que ce soit au niveau esthétique, scientifique ou spirituel. L’ensemble des activités humaines, y compris l’économie, repose entièrement sur les écosystèmes. Ces derniers représentent aussi un patrimoine mondial, qui n’est pas exclusif aux États qui les abritent.

La qualité de vie reposant principalement sur un fonctionnement optimal des écosystèmes, et devant leur détérioration rapide et inexorable par les activités humaines, l’idée s’est naturellement imposée d’évaluer le prix de ces « services » pour qu’il soit pris en compte dans l’économie, ce qui, espère-t-on, aura pour conséquence de faire réaliser aux populations et aux décideurs de leur importance et de les protéger durablement. The Economics of Ecosystem and Biodiversity (TEEB) est un organisme spécialement dédié à cet objectif.

Comme on a pu le voir au cours du colloque organisé par Jean-Pierre Revéret de l’UQAM et Jérôme Dupras de l’Université de Montréal, l’attribution d’un prix aux services écosystémiques, la répartition des coûts ou de la compensation pour la destruction d’un « service », ainsi que le partage des bénéfices entre les différentes parties prenantes sont extrêmement complexes. Il faut aussi distinguer les services locaux (par exemple l’effet filtrant d’un marais) des services globaux (par exemple la captation de CO2), considérer la portée géographique d’un service (la pollution d’un cours d’eau par exemple a-t-elle un impact plus en aval ?) et prendre en compte le fait que la valeur de ces « services » pourrait évoluer au cours du temps.

Comme il l’a été mentionné plusieurs fois au cours du colloque, le principe du paiement pour les services écologiques pourrait s’avérer être un outil utile à la prise de décision et à la sensibilisation sur la valeur des écosystèmes. De plus, aucune solution miracle n’ayant jusqu’à présent été proposée ou mise en œuvre pour inverser la dégradation de l’environnement, le paiement pour les services écosystémiques pourrait peut-être représenter un des outils qui permettrait d’y parvenir. Pour un éventuel succès, il faudrait qu’il soit accompagné de nouveaux principes économiques, fondés notamment sur l’économie sociale préexistante, d’une économie basée sur les services et des produits durables, qui intègre le recyclage systématique et qui prenne en compte d’autres paramètres que le PIB pour évaluer la richesse d’un État. L’intégration du prix de la nature dans l’économie, si elle est effectivement mise en œuvre, peut donc être vue comme un départ pour transformer véritablement l’économie et la rendre inoffensive vis-à-vis de la nature.

Le doute relatif au bien-fondé et à la pertinence de ce paradigme est très répandu. À juste titre. Bien des participants au colloque partagent aussi une relation amour/haine vis-à-vis de cette économie des écosystèmes, car une question de fond demeure : si l’intégration du prix de la nature dans l’économie semble être un moyen pragmatique de ralentir la détérioration des écosystèmes, permettra-t-elle réellement de la préserver sur le long terme, ce qui après tout reste l’objectif principal ? Par ailleurs, est-il éthique et n’est-il pas dangereux de marchandiser la nature ?

Devant l’extrême complexité de la crise écologique mondiale et confronté à l’urgence de la situation, attribuer un coût à la nature est apparu comme une solution rapide, comme une solution qui semble à la portée de l’être humain. Elle ne remet néanmoins pas en cause les fondements du système socioéconomique dominant, celui-là même qui contribue si fortement à cette crise environnementale, notamment à la destruction et à la détérioration des habitats. Cette solution ne remet pas non plus en cause le principe affirmant que le développement humain soit lié à la croissance économique. Peut-être même l’économie de la nature ne pourrait-elle que conforter les principes nuisibles inhérents au système socioéconomique actuel.

Comme le soulignait Jean-Pierre Revéret avec d’autres conférenciers, force est de constater qu’établir un prix pour la biodiversité et les services écosystémiques est le seul processus qui semble réussir à sensibiliser les individus à l’importance d’un environnement intact ou tout au moins fonctionnel. Cet échec nous oblige à reconnaître que la plupart de nos contemporains ne réalisent tout simplement pas l’urgence de la situation actuelle et/ou ignorent la valeur intrinsèque inestimable des écosystèmes pour leur vie et leur qualité de vie. Ceci prouve que les scientifiques spécialistes de cet enjeu ont un rôle crucial à jouer pour conscientiser le public et les médias. Il est encore temps que les scientifiques s’engagent dans le débat, un engagement de plus en plus nécessaire.

 

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