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La rétroaction économique des changements climatiques

Dans une étude récente parue dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences, des chercheurs américains évaluent que les effets négatifs du réchauffement climatique sur l’économie ralentiraient les émissions de GES. En 2100, l’amplitude de ce recul serait équivalente, mais opposée, à celle qui résulterait d’une diminution de l’efficacité des puits de carbone du système Terre. Ainsi, la rétroaction « économique » des émissions de GES serait de même ampleur que la rétroaction « biogéophysique ».

La rétroaction biogéophysique ou naturelle

La rétroaction est un phénomène bien connu en physique [1]. On connaît assez bien la rétroaction que les émissions de CO2 pourraient avoir sur la réponse de l’écosphère, notamment sur les puits de carbone [2] : à mesure que le CO2 s’accumule, les puits de carbone naturels tels que les sols, les plantes et les océans absorbent plus ou moins de CO2. Par exemple, alors que les océans se réchauffent, leur capacité à solubiliser et à capter le CO2 diminue. De même, la production de matière primaire par absorption de CO2 semble diminuer à mesure que la concentration de CO2 atmosphérique augmente.

Selon l’étude américaine, et en accord avec d’autres travaux, les puits de carbone deviennent globalement moins efficaces pour absorber le CO2 avec la concentration du CO2 atmosphérique, de sorte que la proportion des émissions de CO2 qui persiste dans l’atmosphère augmente avec le temps [3,4]. La rétroaction de la planète est positive.

Cette rétroaction biogéophysique, ou « naturelle » [5], ferait ainsi croitre la quantité de CO2 atmosphérique de 15 % en 2100 par rapport à ce qui se passerait sans cette rétroaction, équivalent à une hausse supplémentaire de la température moyenne terrestre de 0,3 °C [4]. L’élévation totale de la température planétaire en considérant tous les GES émis atteindrait alors 4,55 °C en 2100 (soit 4,25 °C sans considérer la rétroaction) [4]. Il est à noter que le calcul est réalisé pour un scénario d’émissions anthropiques « pessimiste », mais hélas réaliste, selon lequel ces dernières augmentent en suivant la même tendance que celle observée jusqu’à aujourd’hui [6].

La rétroaction économique

Ce que l’on connaît moins, c’est la rétroaction que les émissions de CO2 vont avoir sur les activités humaines, et par conséquent sur les émissions anthropiques de GES. Le réchauffement planétaire, en effet, a et aura des répercussions sur l’économie, donc sur les émissions de GES. Différents facteurs sont considérés dans cette étude.

On anticipe d’abord une augmentation de la mortalité résultant de l’augmentation des catastrophes (canicules, inondations, ouragans, incendies), de la propagation de maladies et de l’exacerbation des conflits. Le réchauffement pourrait également réduire l’efficacité des usines thermoélectriques et améliorer l’efficacité du transport. Enfin, il diminuerait l’utilisation de chauffage mais augmenterait l’utilisation de climatiseurs.

Les auteurs considèrent enfin une baisse progressive du PIB. Elle résulterait de la diminution du rendement de certaines cultures, de l’allocation d’investissements pour lutter contre les préjudices attribuables aux changements climatiques et pour réparer les dommages résultant des catastrophes, de la diminution de la productivité de certains types de travailleurs (agriculture, construction) et de la perte de ressources et d’écosystèmes.

Considérant l’ensemble de ces critères, la rétroaction économique diminuerait les émissions de GES de 14 % en 2100, soit une réduction de la température moyenne terrestre de 0,29 °C [4]. Cette rétroaction est négative. Son impact sur les émissions de GES se révèle être de même ampleur que celle de la rétroaction naturelle. Les deux se compensent donc presque exactement. Malgré tout, les émissions anthropiques totales conduiraient à une augmentation globale de la température terrestre de 4,23 °C dans ce scénario [4].

La mortalité, l’augmentation de l’efficacité énergétique et la baisse de la consommation énergétique ne contribuent respectivement aux émissions de GES qu’à hauteur de -0,9 %, +1,1 % et +0,36 % par rapport au scénario sans rétroaction économique. La contribution de la contraction du PIB, elle, est de -13.5 % [4]. C’est donc la baisse du PIB qui domine le ralentissement « économique » des émissions de GES.

Conclusion

Cette recherche illustre ce qui pourrait arriver si rien ne change dans nos modes de vie, si les États, les populations et les dirigeants d’entreprise restent les bras croisés à attendre les bouleversements du climat et à ne se préoccuper que de croissance économique. Bien que le scénario RCP8.5 choisi dans cette étude apparaisse plutôt réaliste quand on constate l’inaction des sociétés, les résultats de l’étude sont sujets à caution parce que l’impact économique du réchauffement climatique est particulièrement difficile à quantifier. Les résultats à ce sujet varient d’ailleurs grandement dans la littérature.

La présente estimation de la réduction des GES par la rétroaction économique est d’autant plus délicate qu’elle s’avère dépendre essentiellement de la baisse du PIB (environ 20 % en 2100), ce qui ne fait pas consensus. L’évolution de la démographie, de l’efficacité énergétique et de la consommation énergétique ne le font pas non plus [7]. Les prévisions ont donc un caractère incertain, mais cela ne doit pas nous empêcher d’agir rapidement pour remédier aux émissions de GES, à la destruction des écosystèmes, la pollution, notre consommation de ressources et à nos lacunes lamentables en matière de recyclage.

Notes et références

[1] La rétroaction d’un système sous l’influence d’une contrainte décrit les liens interdépendants entre la réponse du système (l’effet) et la contrainte (la cause). Dans le cas d’une boucle de rétroaction, l’amplitude de la cause dépend de l’amplitude de l’effet, qui lui-même dépend de l’amplitude de la cause, qui lui-même dépend de l’effet, etc. La cause et l’effet peuvent s’entretenir (rétroaction positive) ou s’opposer (rétroaction négative). La notion de cause et d’effet perd ainsi son sens puisqu’il peut devenir délicat de déterminer quelle est la cause et l’effet. La rétroaction d’un système fait en sorte que le système ne répond pas en général de manière linéaire à la contrainte.

[2] Quand du CO2 est émis dans les basses couches de l’atmosphère, une partie est absorbée par les puits de carbone (plantes, sol, océans) et une partie demeure dans l’atmosphère. Il est à noter que la proportion de CO2 qui est absorbée par les océans provoque l’acidification de l’eau de mer.

[3] Pour évaluer cette rétroaction biogéophysique, les auteurs prennent en compte la baisse de captation du carbone des sols, la diminution de la production primaire nette sur les continents, la diminution de la solubilité du CO2 dans les océans et la stratification de la couche d’eau océanique.

[4] Dawn L. Woodard, Steven J. Davis et James T. Randerson, Economic carbon cycle feedbacks may offset additional warming from natural feedbacks, Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA, publié en ligne (visité le 8 janvier 2019): https://www.pnas.org/content/early/2018/12/11/1805187115

[5] « Naturelle » signifie ici qu’on considère la réponse de la Terre aux émissions anthropiques de GES.

[6] Le GIEC utilise quatre scénarios pour estimer les émissions futures de CO2. On les désigne par l’abréviation RCP pour « representative concentration pathways ». Deux scénarios sont « optimistes » (RCP 2.6 et 4.5) en considérant que des mesures plus ou moins importantes seront prises pour faire plafonner les émissions, deux autres sont moins optimistes (RCP 6.0 et 8.5). Le scénario RCP 8.5 est le pire des scénarios envisagés avec une croissance de la population élevée, une demande énergétique forte et de faibles progrès en matière d’efficacité énergétique. On l’appelle parfois le scénario « business as usual » ou « baseline scenario ».

[7] Ken Caldeira et Patrick T. Brown, Reduced emissions through climate damage to the economy, Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA, publié en ligne (visité le 9 janvier 2019): https://www.pnas.org/content/early/2018/12/26/1819605116

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