Un article précédent rapportait les travaux récents de chercheurs qui semblaient avoir réussi à détecter pour la première fois des signes avant-coureurs de l’effondrement d’une société. Le déclin spectaculaire dont il est question s’est produit au cours du Néolithique après l’émergence de l’agriculture. Ces signes précurseurs suggèrent que la société s’est progressivement fragilisée et que cette fragilisation peut se mesurer. Mais comment ces travaux peuvent-ils se généraliser à notre civilisation ? Qu’est-ce qui définit la fragilité (ou la vulnérabilité) d’une société ? Pouvons-nous l’estimer pour la nôtre ?
Comme toute civilisation, celle dans laquelle nous vivons est susceptible de s’effondrer si certaines conditions sont réunies [1]. La crise écologique sévère que connait la civilisation actuelle pourrait être une des causes principales, sinon la cause, d’un effondrement de notre société. Les travaux relatifs au Néolithique montrent que l’effondrement de notre civilisation, s’il devait survenir, devrait avoir des signes annonciateurs [2], la civilisation devenant progressivement plus fragile (ou vulnérable). Mais comment définit-on la fragilité d’une société ?
Celle-ci revêt deux aspects. Le premier concerne la situation sociétale vis-à-vis de la proximité d’un éventuel point de basculement. En effet, la trajectoire suivie par une société est déterminée par ses caractéristiques politiques, économiques, technologiques, sociales, culturelles et environnementales. Au cours de son existence (de sa trajectoire), une société peut se rapprocher d’un point de basculement menant irrésistiblement vers un effondrement. À mesure qu’elle se rapproche d’un tel point, elle devient plus vulnérable.
La trajectoire d’une société est représentée sur la figure ci-dessous par les lignes en trait plein. Les creux représentent les états qu’une société peut connaître. L’état présent est représenté par la position de la bille (qui peut fluctuer autour de sa « position d’équilibre »). La fragilité de la société est symbolisée par la hauteur de la « colline », c’est-à-dire la proximité d’un point de basculement. Le problème reste alors de déterminer si la société se situe à proximité ou éloignée d’un tel point…
Le deuxième aspect relatif à la vulnérabilité d’une société concerne sa faculté à savoir absorber les perturbations qui affectent son fonctionnement. On parle ainsi de sa résilience ou sa capacité de se rétablir (recovery en anglais). Dans ce cas, la société aura la capacité de retrouver l’état qui prévalait avant ladite perturbation [2]. Une société fragile présentera ainsi une réponse plus lente suite à une perturbation, avec des fluctuations plus élevées que pour une société résiliente. C’est cette réponse qui a été mesurée pour les sociétés néolithiques en se basant sur les fluctuations d’occupation d’un ensemble de sites archéologiques.
Il semble en fait qu’il y ait une corrélation entre les deux aspects de la fragilité des sociétés : celles qui sont le plus proches d’un point de basculement semblent aussi être celles qui sont les moins résilientes. Il semble donc possible a priori de déceler l’approche d’un effondrement d’une société par des mesures directes, c’est-à-dire à partir de sa diminution de résilience, et ce indépendamment de l’état politique, économique ou social [3]. La difficulté cependant consiste à trouver pour notre civilisation un indicateur qui permette de déterminer sa résilience et en suivre l’évolution.
L’autre possibilité consisterait à détecter l’imminence d’un éventuel effondrement à partir de la conjoncture économique, politique, sociale, culturelle, technologique et écologique. Mais, quelle que soit la méthode choisie, il semble que dans l’état actuel des connaissances la prévision d’un effondrement de notre civilisation ne soit possible que lorsque l’effondrement soit déjà commencé et/ou irréversible…
Dans le cas des sociétés néolithiques, leur fragilisation semble avoir résulté d’une diminution de la résilience des écosystèmes, sans doute due à une déforestation excessive, conjuguée à des variations démographiques [2]. Cet exemple est cas particulier d’un mécanisme général stipulant que les variations environnementales peuvent interférer avec les variations sociétales et fragiliser les sociétés [2].
Cependant, la réponse d’une société suite à une perturbation peut aussi atteindre un niveau de rétablissement supérieur à celui précédent les perturbations, un niveau qui la rend plus résiliente. Ce processus de renforcement qui permet à une société de devenir plus résiliente, constitue un mécanisme d’adaptation. On s’attend à ce que cette capacité soit plus élevée pour une société caractérisée par une culture cumulative [2], ce qui est le cas de la nôtre. Un bon point pour nous, donc ! Cependant, la nécessité de s’adapter peut être inhibée par certains blocages et la société peut montrer de la résistance au changement. Mais c’est une autre histoire…
Références
[1] J. Diamond, Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (2005) Gallimard, Folio Essais
[2] Sean S. Downey, W. Randall Haas Jr. et Stephen J. Shennan, European Neolithic societies showed early warning signals of population collapse Proceedings of National Academy of Science of the USA 113 9751–9756, doi: 10.1073/pnas.1602504113, http://www.pnas.org/content/113/35/9751.abstract
[3] Marten Scheffer, Anticipating societal collapse; Hints from the Stone Age Proceedings of National Academy of Science of the USA 113 10733–10734, doi: 10.1073/pnas.1612728113, http://www.pnas.org/content/113/39/10733.extract