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Régime de propriété et capitalisation

Toute civilisation ou société se dote entre autres règles de celles qui définissent l’accès, le prélèvement et l’usage des ressources et des biens [1]. Chacune est également caractérisée par la façon dont est distribuée la richesse et les avantages (privilèges, prérogatives, etc.) que certains groupes de la population possèdent par rapport à d’autres [2]. Les disparités dans le partage de la richesse et des ressources sont déterminées par la culture des sociétés et elles ont la propriété d’être différentielles, c’est-à-dire que le désavantage qui lèse les uns est aussi grand, sinon plus, que l’avantage qui bénéficie aux autres [2].

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Une des grandes spécificités de la société actuelle est que le système économique qui la caractérise, le capitalisme, est basé sur un régime de propriété (par opposition au régime de possession). Le titre de propriété – terre, ressource naturelle, immeuble, entreprise ou brevet – donne un droit exclusif, un avantage, à son propriétaire. Ce droit est explicité dans des règles juridiques qui définissent qui a l’accès et a l’usage des ressources et des biens, combien de temps, avec quelle ampleur, ainsi que les restrictions qui s’y appliquent. Le titre est exclusif puisqu’il n’appartient qu’au propriétaire et exclut de fait les non propriétaires. Ces derniers sont de plus tenus de respecter et de ne pas contrevenir aux restrictions qui s’appliquent.

Une analyse détaillée du système capitaliste et du processus de capitalisation a été réalisée dès le début du 20e siècle par Thorstein Veblen, un économiste et sociologue américain [2]. De nombreux autres écrits lui ont succédé et développé les travaux de ce pionnier. Veblen définit la capitalisation comme une évaluation du revenu monétaire que peur fournir un objet de richesse à son propriétaire. Dès cette époque, Veblen remarque que la capitalisation peut servir aussi bien l’utilité la communauté que la desservir ou lui être préjudiciable, seuls comptant, en accord avec ce système, les bénéfices pour le propriétaire. Les investissements militaires ou dans le crime organisé sont des exemples évidents de capitalisation « nuisible », mais de façon plus générale, certaines pratiques « légitimes » douteuses de ce système ne visent qu’à nuire aux concurrents ou à ralentir ou limiter les processus industriels, dans le but ultime d’assurer des gains pécuniaires aux propriétaires ou à leur éviter des pertes [3]. Les gains et les profits ne sont donc pas simplement nécessaires du fait de la compétition ou du principe de concurrence comme il en a été question plus haut, ils s’inscrivent également dans ce contexte, celui où priment les intérêts et les privilèges des propriétaires.

Veblen met aussi en lumière une caractéristique inédite, le fait que la capitalisation et l’enrichissement peuvent se réaliser à partir d’aspects tangibles (aussi appelés matériels) ou intangibles (immatériels) d’un objet de richesse (d’une propriété). On peut par exemple s’enrichir directement à partir des revenus que procurent les ventes d’un produit industriel, d’une production agricole ou agronomique, de l’exploitation de ressources ou de la location d’une terre ou d’un bâtiment. Mais on peut également le faire à partir d’aspects intangibles, par exemple grâce à des situations de monopoles, des effets de mode ou en misant sur la réputation d’une entreprise, autant de circonstances qui assurent ou peuvent assurer des rentrées d’argent fiables (sûres). Ainsi, et comme l’avait remarqué Veblen, la capitalisation apparaît indissociable de la notion de propriété. Le titre de propriété permet en effet de tirer parti à la fois des processus de capitalisation matériels et immatériels, ce qui est inaccessible aux non propriétaires et impossible dans un régime de possession [2,4,5]. S’il est possible d’engager son titre de propriété dans un processus de capitalisation immatériel, c’est parce que le titre de propriété et l’enrichissement qu’il procure donne à son détenteur une forme de sécurité (financière).

Cette sécurité a une importance telle dans un régime de propriété que les États dont les citoyens ne disposent pas de titres de propriétés formels ou si ceux-ci ne sont pas sécurisés, les investissements sont considérés risqués et donc faibles [6]. Cette situation frappe notamment les PED pour lesquels la propriété est souvent tacite, traditionnelle, informelle, et n’est pas inscrite dans des textes légaux, ce qui rend difficile l’affirmation du droit. Par suite, ou bien les investissements sont restreints et le développement humain limité [6] ou, pire encore, la propriété des communautés locales est bafouée comme dans le phénomène d’accaparement des terres.

Notes et références

[1] P. van Griethuysen, La propriété, moteur de la mondialisation. Solidaire 172 10-12 (2003).
[2] T. Veblen, On the nature of capital; investments, intangible assets and the pecuniary magnate. Quat. J. Econ. 23 104–136 (1908).
[3] Veblen écrit [2] : « Disserviceability may be capitalized as readily as serviceability, and the ownership of the capital goods affords a discretionary power of misdirecting the industrial processes and perverting industrial efficiency, as well as of inhibiting or curtailing industrial processes and their output, while the outcome may still be profitable to the owner of the capital goods ». Il parle ainsi de « capitalization of inefficiency » et il ajoute : « the enterprising use of capital goods by their businesslike owner aims not at serviceability to the community, but only at serviceability to the owner ».
[4] P. van Griethuysen, Rationalité économique et logique de précaution: quelle compatibilité ? Revue européenne des sciences sociales 42 203-227 (2004).
[5] P. van Griethuysen, Why are we growth-addicted? The hard way towards degrowth in the involutionary western development path. J. Cleaner Prod. 18 590–595 (2010).
[6] I. de Habsbourg-Lorraine, Les droits de propriété : véritable clef du succès économique, Libre Afrique http://www.libreafrique.org/Habsbourg_Lorraine_170811 (consulté le 24 septembre 2014) (2011).

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