Du fait de certains blocages structuraux, il est plus difficile de changer ses habitudes. Or, changer ses habitudes peut en soi se révéler long et/ou difficile puisque par définition une habitude fait partie de notre quotidien et qu’elle se fait instinctivement. Il faut en effet plus ou moins de temps pour qu’un nouveau comportement finisse par devenir une habitude. Une nouvelle habitude sera d’autant plus facile à adopter qu’elle demandera moins d’effort et que les motivations à l’adopter, quelles qu’elles soient, seront grandes. Par sa structure, la société n’encourage pas les changements de comportements vers la viabilité. Les incitatifs économiques restent également trop faibles.
En tant qu’individu, nous sommes prisonniers du train-train quotidien avec des vies bien remplies, actives et dont le temps est compté. Nous sommes accaparés par le travail et ses exigences, par les repas qu’il faut préparer, par les loisirs dont nous avons besoin pour nous détendre, par nos amis que nous ne devons pas négligés, et par la famille, notamment par les enfants dont il faut s’occuper et qu’il faut reconduire aux divers lieux où se déroulent leurs activités, etc. Ces occupations ne nous incitent pas à consacrer du temps à des modes de vie plus en adéquation avec une société viable. Surtout, ces tâches routinières et accaparantes sont un frein à l’implication éco-sociale ou politique, car il reste peu ou pas de temps pour s’investir (et c’est aussi plus tentant de se divertir).
Mais même dans un monde idéal, bien organisé, bien structuré afin de diminuer l’empreinte écologique de sa population – un monde pour l’instant utopique, donc -, adopter un comportement individuel viable demande quelques efforts : par exemple, trier les déchets et le recyclage, ou laver ses contenants sales prends du temps, acheter des produits locaux, durables et/ou biologiques coûte plus cher, etc. Cela demande de l’attention, un certain état d’esprit. Ainsi, les gestes quotidiens visant à protéger l’environnement sont généralement vus comme « accessoires » et passent au second plan. Il en est particulièrement ainsi car l’être humain, comme toutes les espèces, est un être qui fondamentalement cherche à être efficace : il cherche spontanément à en faire le moins possible pour arriver à son but ou tout simplement pour vivre.
Cette tendance est accentuée dans un contexte où nous sommes très occupés et où le mode de vie actuel est basé sur la performance, d’une part du fait de la pression économique, et d’autre part parce que la société reste marquée par « l’american way of life » et sa vision selon laquelle nous pouvons (devons ?) réussir par notre travail (nos performances). Par conséquent, s’il n’a pas un degré de conscientisation suffisant, le citoyen ne comprend pas qu’il doive passer du temps sur des gestes qui n’ont pour lui aucun intérêt particulier, qui lui demandent du temps ou des efforts, et/ou qui lui semblent vains.
De plus, à l’encontre de la réduction de notre empreinte écologique, certaines pressions sociales incitent à consommer plus, ou mal, voire au-delà de nos capacités financières. C’est ainsi que d’aucuns seront tentés de se comparer avec leurs voisins ou ses amis au regard de leurs biens matériels (pression du rang social), que la possession d’une voiture devient un gage de « réussite » voire « d’accomplissement » (« c’est maintenant un adulte »), ou que des parents seront contraints de faire plaisirs à leurs enfants en achetant les marques populaires (pression des enfants sur les parents), donc en faisant passer les valeurs éthiques ou écologiques au second plan.
Parmi les citoyens, deux catégories de populations sont généralement moins portées à adopter des comportements viables. La première concerne les plus pauvres de la société puisque pour des raisons évidentes, leur principale préoccupation est essentiellement de s’en sortir au jour le jour. Les exigences environnementales passent donc souvent au second plan ou sont difficiles à mettre en œuvre. Ainsi, cette frange de la population ne peut évidemment pas, ou pratiquement pas, se permettre de choisir des produits locaux ou biologiques qui demandent plus de moyens. Ils n’auront souvent pas le choix que d’utiliser les transports en commun car ces derniers sont moins onéreux. De plus, il est bien connu que les plus pauvres d’entre nous sont ceux qui sont le plus vulnérables aux crises écologiques. C’est vrai pour la population pauvre des pays ainsi que pour les pays en développement. Les plus pauvres ont en effet moins de moyens financiers pour s’adapter et dépendent souvent plus de la nature pour leurs besoins de subsistance, comme c’est le cas pour les petits exploitants agricoles et les autochtones.
La seconde catégorie de population qui a moins tendance à adopter des comportements viables est représentée par les plus riches, qui vont avoir tendance en moyenne à consommer plus et à se déplacer davantage que les autres du fait qu’ils en ont les moyens. Ils vont ainsi souvent posséder une voiture plus grosse (qui consomme davantage), prendre l’avion plus souvent, habiter dans une plus grande maison (avec la dépense énergétique qui vient avec), etc. Leur empreinte écologique est donc en moyenne plus élevée que celle des populations plus pauvres. C’est pour cette raison que les pays riches (ou pays dits développés) ont une empreinte par habitant plus élevée que celle des pays pauvres (pays dits « en développement »). Pourtant, puisqu’il est nécessaire d’investir dans les procédés verts qui sont plus onéreux au départ, les plus riches sont plus à même de les encourager. C’est ainsi qu’au niveau individuel, les plus riches sont les mieux placés pour s’acheter une voiture hybride, acheter des vêtements, des produits alimentaires ou industriels fabriqués localement et selon des procédés qui sont moins nocifs pour l’environnement, etc.