Depuis les années 80, les inégalités en termes de revenus des ménages s’accroissent partout dans le monde, même dans des pays en développement (PED) comme la Chine ou l’inde. Cette augmentation est déroutante car les théories économiques des années 50 et 60 prévoyaient une diminution pour les pays « avancés » ainsi que pour les PED qui rejoindraient le marché du commerce mondial. Selon un commentaire récent de Branko Milanovic, chercheur à l’Université de New York [1], cette croissance des inégalités ne devrait pas durer car les recherches montrent qu’historiquement les inégalités évoluent de façon cyclique.
L’apport des données historiques
Les chercheurs sont en effet capables de remonter la mesure des inégalités de revenu de certains pays jusqu’au 14e siècle (figure ci-dessous). Les inégalités de revenu se mesurent fréquemment à l’aide du coefficient dit de Gini. Celui-ci compare le revenu de chaque ménage d’une nation avec celui de tous les autres [2]. Cependant, pour des époques plus reculées, d’autres variables peuvent être utilisées, comme par exemple le rapport entre les rentes que procurent la terre et les salaires [3].
Les données du passé permettent de tirer quelques conclusions générales sur les facteurs qui influencent les inégalités. Selon Branko Milanovic, on peut les scinder en deux : les facteurs dits « malins » (guerres, guerres civiles, épidémies) et les facteurs « bénins » (facteurs économique, transformations technologiques, mondialisation, démographie). Les époques plus reculées ont été fortement influencées par les premiers, l’époque moderne surtout par les seconds.
Les épidémies ont en général tendance à réduire les inégalités car elles diminuent la main d’œuvre, ce qui augmente les salaires. Les guerres peuvent augmenter les inégalités, suite à l’esclavage ou le pillage, ou les réduire par suite des destructions et de la famine que subissent les populations.
Hormis les deux grandes guerres et d’autres conflits de par le monde, les facteurs économiques et technologiques influencent fortement la période moderne. Par exemple, le développement de la machine à vapeur et de la filière du coton aurait fortement contribué à décupler les revenus de ceux qui ont investis dans ces secteurs, ce qui a fait croître les inégalités au 17 et 18e siècles [1]. L’exode rural aurait également contribué à cette époque à l’augmentation des inégalités du fait des disparités entre les salaires. Globalement, la Révolution industrielle a été marquée par une croissance des inégalités de revenus.
Il est intéressant de constater qu’une diminution mondiale des inégalités a marqué la période allant de la fin de la seconde guerre mondiale aux années 80. Selon Branko Milanovic [1], ce nivellement des revenus résulte du financement du deuxième conflit mondial par les taxes payées par les plus riches, de l’influence du mouvement socialiste et syndicaliste, de l’éducation qui s’est généralisée à l’ensemble de la population et d’une plus grande participation des femmes au monde du travail.
L’augmentation actuelle des inégalités de revenus
Alors pourquoi s’en est-il suivi une période marquée par une augmentation des inégalités, une période qui dure encore aujourd’hui ? Branko Milanovic établit un parallèle entre la croissance des inégalités qui a marquée la Révolution industrielle et la Révolution numérique (Révolution de l’information) actuelle [1]. Ceux qui a l’époque ont investi dans la machine à vapeur ont reçu beaucoup de dividendes, de même que ceux qui aujourd’hui investissent dans les nouvelles technologies. L’émergence de technologies de pointe aurait également pour effet de favoriser les travailleurs hautement qualifiés au dépend des travailleurs sans formation. Cette situation serait ainsi différente de la situation représentée par le fordisme où les salaires étaient plus homogènes.
Une diminution de la contribution des plus riches aurait également contribué à l’augmentation actuelle des inégalités. Enfin, la syndication aurait fortement décliné, notamment parce que les entreprises sont aujourd’hui plus diversifiées, géographiquement dispersées, avec des regroupements qui comprennent moins de personnes [1].
Quid de l’avenir ? Branko Milanovic avance qu’une diminution des inégalités de revenus va forcément suivre l’augmentation actuelle, et ce parce que les inégalités ont toujours fluctué. L’argument se conçoit, mais quand cela se produira-t-il et quelles en seront les raisons ? Branko Milanovic ne peut évidemment répondre. Selon lui, plusieurs facteurs pourraient contribuer à réduire les inégalités, même dans un monde capitaliste, mais il ne peut leur attribuer une probabilité potentielle de se manifester.
L’intérêt essentiel de cet article est surtout de soulever à nouveau le fait que les inégalités de revenus augmentent et de constater que plusieurs facteurs influencent de façon complexe les écarts entre revenus. Cependant, il est difficile de savoir si les inégalités vont se restreindre prochainement et quel sera l’effet des différents facteurs discutés plus haut. Par exemple, les transformations technologiques semblent avoir une influence positive autant que négative.
Bibliographie
[1] Branko Milanovic, Income inequality is cyclical, Nature 537 (2016) 479-482 http://www.nature.com/news/income-inequality-is-cyclical-1.20618
[2] Le coefficient de Gini est compris entre 0 et 1. La valeur correspond au cas où tous les ménages ont le même revenu (égalité parfaite) et la valeur 1 correspond au cas où tous les revenus appartiennent à un seul ménage (inégalité parfaite).
[3] Ce rapport est une mesure approximative des inégalités car lorsque ce rapport augmente, les gains des propriétaires terriens augmentent au dépend des travailleurs (voir référence [1]).