La technologie accentue ou contribue à certaines propensions humaines qui sont dommageables pour la nature. Comme on l’a vu ailleurs, une de celles-ci réside dans notre besoin constant de renouveau, qui est alimenté en partie par l’innovation technique et technologique. Une autre tendance humaine consiste à rechercher continuellement un plus grand confort matériel. Les hominidés ont en effet toujours cherché à se protéger des aléas de la nature et à améliorer leur condition. Cette tendance est profondément ancrée en l’être humain puisqu’il s’est longtemps agi, comme pour toutes les espèces vivantes, d’une question de survie. Dans notre cas, la faculté de concevoir et fabriquer des outils fait partie de notre succès évolutif. De la maîtrise du feu, aux armes et aux techniques de chasse, en passant par la poterie, la médecine ou l’agriculture et l’élevage, nous avons inventé des instruments et des méthodes, ou découvert et compris des phénomènes, qui ont eu de profonds impacts sur notre survivance et sur notre qualité de vie.
Le développement technoscientifique des derniers siècles s’inscrit toujours dans cette inclination naturelle qui nous pousse à vouloir améliorer notre sort. Cependant, dans les sociétés développées, la technologie ne représente plus seulement une question de survie ou même de santé. Elle consiste d’abord à améliorer la qualité de vie, comme le fait d’alléger les tâches physiques pénibles ou fastidieuses. Elle a ainsi permis de transformer l’énergie musculaire des êtres humains, puis celle des animaux domestiques, en énergie mécanique (aujourd’hui la majorité de cette énergie est produite par des combustibles fossiles). Le but de l’innovation technologique dépasse même l’amélioration de la qualité de vie des populations. Elle nous rend ainsi la vie plus facile, plus simple, plus confortable, plus riche. Et si cette constatation est évidente, elle n’est pourtant vraie qu’en partie. Car non seulement ces avantages ont aussi des effets pervers, mais la technologie tend souvent à satisfaire les moindres de nos envies, devenant ainsi un des moteurs les plus importants de la surconsommation et de la croissance économique [1].
L’histoire récente des innovations technologiques fourmille d’exemples d’objets ou d’appareils qui pénètrent nos foyers et qui visent à « améliorer la vie » : en témoigne les divers et nombreux électroménagers, ustensiles de cuisine, et autres outils de bricolage, de rénovation et de jardinage dont dispose dorénavant les individus. En témoigne également, la prolifération fulgurante des multiples appareils électriques, électroniques et informatiques à laquelle on assiste depuis les deux dernières décennies tels que télécommandes de toutes sortes, ordinateurs fixes et portables, liseuses, lecteurs mp3, télévisions haute définition, GPS, téléphones intelligents, tablettes, etc. Ces appareils allègent et accélèrent les tâches domestiques, facilitent les communications, diversifient les loisirs, etc. C’est jusqu’au cinéma maison qui nous donne la possibilité de regarder des films sans même avoir à sortir de chez nous, tandis que le savoir n’a jamais été aussi accessible grâce à Internet et ce, dans le confort de notre salon. Même nos achats peuvent dorénavant être réalisés sans sortir.
Les innovations technologiques viennent aussi combler notre soif de confort et de commodités, une tendance qui conduit à des exagérations, comme une certaine paresse de nos contemporains ou le fait qu’ils ne veulent plus subir le moindre inconfort. C’est ainsi que l’on peut se questionner sur la nécessité de détenir et d’utiliser un ouvre-boite électrique pour ouvrir ses conserves, un couteau électrique pour couper son gigot ou encore un aspirateur autonome pour dépoussiérer son plancher. Et qu’en est-il de cette habitude qui consiste à traverser la rue avec son automobile pour aller simplement d’un magasin à un autre ? On peut aussi s’interroger sur l’utilité réelle de la multitude de télécommandes qui minimisent nos déplacements et permettent d’ajuster nos appareils ou de faire défiler sans bouger, sinon les doigts, les innombrables chaînes de télévision à notre disposition….
Qu’indique sur notre société l’invention du démarreur à distance ou l’acte de laisser tourner le moteur de son auto sinon qu’ils sont destinés à ne plus nous faire éviter de ressentir la moindre chaleur ou froidure « excessive » ? Il en est de même dans nos maisons où le chauffage et la climatisation sont souvent utilisés avec excès parce que d’aucuns ont des réticences à porter un gilet supplémentaire ou à supporter la moindre chaleur. Ces quelques exemples montrent que nous ne voulons rien endurer de désagréable, refusons de subir le moindre inconfort, une autre démonstration de notre confrontation avec la nature et de notre refus exagéré de nous satisfaire de ce qu’impose la nature.
Les industriels et les commerçants ont parfaitement compris ce besoin qu’à l’Homo sapiens de tendre à une vie facile. L’avalanche de produits qu’ils proposent et leurs efforts de marketing visant à assouvir notre désir de confort matériel en sont la meilleure illustration. L’observation des messages publicitaires est édifiante à cet égard. Quel que soit le média que l’on considère (télévision ou Internet) et quel que soit le produit dont on vante les mérites, quel est le message principal ? Le produit en question nous rendra les tâches plus simples et plus rapides, la vie plus facile, nous demandera moins d’effort ou nous procurera davantage de confort [2]. Parfois, le message n’est même pas subtil ; il est au contraire parfaitement explicite, c’est dire si notre penchant pour la recherche du confort n’est pas juste inconscient…
Notes
[1] Le développement technologique remplit aussi d’autres objectifs : le « progrès » a en effet eu pour but, et a encore pour objectif, d’inventer des armes de guerre ou de destruction de plus en plus efficaces. Et, comme on l’a vu plus haut, beaucoup de nos inventions contribuent à rendre nos procédés de production plus efficaces, plus rapides, anotamment sous la pression du système économique tel qu’il fonctionne dans notre civilisation.
[2] Je passe ici sous silence d’autres messages qui se trouvent en filigrane des annonces publicitaires : ceux qui veulent nous faire croire qu’en achetant tel ou tel produit nous allons devenir plus beau ou plus sexy, c’est-à-dire avoir plus de succès dans notre vie amoureuse (que l’on pense aux publicités entourant le vente de parfums, maquillage, médicaments contre la dysfonction érectile, voitures, etc.).