jeudi, novembre 21, 2024

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De nouveaux indicateurs de découplage ?

Le découplage vise à découpler l’utilisation des ressources de la prospérité économique, et à suivre sa réalisation. Pour cela, on mesure la quantité de ressources utilisées (énergies fossiles, minerais, eau, biomasse, terres, etc.) et on la compare à un indice économique caractérisant la richesse, le plus souvent le produit intérieur brut (PIB). L’objectif, noble, vise à utiliser moins de ressources tout en augmentant la richesse des individus. Le découplage est donc une idée séduisante qui souligne qu’il existe un problème de fond entre la croissance économique et l’impact environnemental auquel elle contribue fortement. Défendu par les Nations unies [1,2], ce concept nous incite à réduire notre consommation de ressources.

On définit aussi un autre indicateur relié au découplage, la « productivité des ressources », qui est simplement donné par le rapport entre le PIB et la quantité de matière utilisée [3]. Ce rapport exprime la richesse créée à partir d’une unité de ressources. Autrement dit, plus la richesse est grande pour une quantité de matière donnée, plus la ressource est utilisée avec « efficacité ». La productivité de ressources est donc un indice qui intègre un aspect économique et un aspect de durabilité, soit l’utilisation des ressources. Il s’agit donc un indicateur qui vise à atteindre une utilisation « plus efficace » des ressources, et en ce sens, il est teinté de viabilité. Mais, cela reste un indice de « performance ».

En effet, la « référence » de la productivité de ressource ou de la mesure du découplage est par défaut la croissance de la richesse, représentée par le PIB. En ce sens, tel qu’il est défini, le découplage est un indicateur à forte tendance économique plutôt que viable. Mais surtout, chacun sait qu’un des facteurs aggravants de la détérioration des écosystèmes et des processus planétaires est justement la croissance économique ou la croissance de la richesse, tout au moins dans le système socioéconomique actuel. Car dans ce système, la croissance économique est nécessaire à l’augmentation de la richesse, bien que cela se fasse au détriment de l’environnement. Croissance économique et préservation de l’environnement ne sont pas compatibles [4].

Dans un tel contexte, on peut remettre en question l’utilité d’un tel indice pour la viabilité des sociétés. On peut par exemple se demander si le découplage ne va pas simplement tendre à une plus grande efficacité technologique, ce qui sera clairement insuffisant pour rendre les sociétés soutenables. Par ailleurs, on sait que le découplage peut être relatif, lorsque l’utilisation des ressources ou son impact augmente moins vite que la richesse économique, ou absolu, si cette utilisation ou son impact diminue quand la richesse économique augmente [2,5]. Il est clair que minimalement, pour réussir le virage vers la viabilité, le découplage doit être absolu. Mais ce n’est pas suffisant. Les niveaux de consommation atteints aujourd’hui sont tels que les quantités de matière utilisée doivent être très fortement réduites par rapport à la croissance de la richesse pour être viable. De combien ? Nul ne le sait vraiment. Une telle question a-t-elle d’ailleurs un sens alors que croissance économique et préservation de l’environnement et des ressources se heurtent de front ?

Au fond, le découplage n’est-il qu’un critère qui va s’insérer dans le système économique actuel sans le remettre fondamentalement en cause ? Ne va-t-il conduire qu’à la poursuite du « business as usual », simplement avec une « efficacité », « un rendement » plus élevé, un peu plus de précautions écologiques, un « encadrement » de la détérioration environnementale un peu plus rigoureux ? Si la tendance générale des dernières années se poursuit, il est probable que tel sera le cas. On peut néanmoins espérer que la prise en compte de cet indicateur et sa popularisation finisse par faire réaliser aux différents acteurs qu’une transformation majeure du système économique est nécessaire et urgente.

Par ailleurs, le découplage n’intègre aucun paramètre social, de sorte qu’on ne sait pas dans quelles conditions sociales est réalisé le découplage. Évidemment, en tant qu’indicateur, ce n’est pas nécessairement son rôle, mais cela implique que d’autres indicateurs sont nécessaires. Pour être un indicateur de viabilité des sociétés, le découplage devrait inclure les différents facteurs qui caractérisent la viabilité. Il devrait ainsi être établi non pas seulement par rapport au PIB, mais par rapport à un indice qui mesure réellement la qualité de vie (basée sur des critères culturels, environnementaux, sociaux et économiques) et pas seulement la richesse. Il y a déjà bien longtemps que l’on a compris que le PIB était un indicateur imparfait et incomplet pour mesurer le bien-être d’une population.

Découplage alternatif
Définition du découplage « standard » qui vise à découpler l’impact environnemental (ou l’utilisation des ressources) et un indice économique ou un indice de richesse (PIB), et d’un nouveau découplage, qualifié ici de « soutenable », qui vise à découpler l’impact environnemental du bien-être humain. Cette définition suppose qu’un découplage mesuré par rapport au bien-être conduit à une diminution de l’empreinte environnementale ou des ressources plus élevée que si la mesure est effectuée par rapport à un indice économique.

Cet argumentaire n’a pas pour but de dénigrer le concept de découplage, mais seulement d’en montrer les limites et les conséquences négatives auxquelles il pourrait conduire si on n’y prête pas attention. Le découplage est un concept qui doit maintenant mûrir, être complété (pour devenir un indicateur de viabilité) et s’épanouir.

Bibliographie :

[1] « L’humanité peut et doit faire plus avec moins, souligne le PNUE », Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), (2011)  http://www.unep.org/Documents.Multilingual/Default.asp?DocumentID=2641&ArticleID=8734&l=fr
[2] Fischer-Kowalski, M. et coll. « Decoupling natural resource use and environmental impacts from economic growth » A Report of the Working Group on Decoupling of the International resource Panel (IRP), United Nations Environment Programme (UNEP) (2011) 152 pp.  http://www.unep.org/resourcepanel/Publications/Decoupling/tabid/56048/Default.aspx
[3] Wiedmann, T. O. et coll. « The material footprint of nations » Proc. Nat. Acad. Sci. (2013) (doi:10.1073/pnas.1220362110). http://www.pnas.org/content/early/2013/08/28/1220362110.abstract
[4] Jackson, T. Prospérité sans croissance. La transition vers une économie durable (2010) Ed. De Boeck, 250 p.
[5] Laurent, E. « Faut-il décourager le découplage ? » In Économie du développement soutenable, Série Débats et politique de l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE) (2011) 120 235-257. www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/120/revue-120.pdf

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