Le biomimétisme, comme première définition, est une discipline qui consiste à s’inspirer de la nature pour concevoir des objets et des appareils performants et qui ont une empreinte environnementale minimale. La nature a en effet déjà créé de multiples systèmes biologiques, outils ou biomatériaux extrêmement efficaces qui pourraient être adaptés pour remplir nos besoins, et elle a réglé avec élégance de multiples problèmes auxquels nous sommes confrontés. Il faut dire que pour en arriver à ce degré d’optimisation qui nous émerveille, la nature a disposé de centaines de millions d’années d’évolution.
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L’être humain essaie de créer des objets au gré de ses besoins, aussi au gré de ses envies. Il produit vite et une découverte n’attend pas l’autre avant d’être répandue dans la population. Comme la nature, la technologie de l’être humain est continuellement en phase d’optimisation. L’histoire du « progrès » technique montre cette évolution : maîtrise du feu, outils de pierre, âge du fer, puis du bronze, machines à vapeur, moteur à explosion, matières plastiques, électricité, électronique, biotechnologie et nanotechnologie.
Mais malgré ces inventions, et malgré le « génie humain », notre technologie reste à un stade de développement embryonnaire quand on la compare à la nature. Non seulement la nature fait mieux avec moins, mais en plus la vie ne nuit pas à la planète. La vie et la diversité ne font que croître et s’épanouir. Il apparait donc « tout naturel » de se tourner vers la nature et de tenter de l’imiter. Parmi les caractéristiques de la nature qui devraient nous inspirer citons : un fonctionnement à l’énergie solaire, une utilisation efficiente de l’énergie, un recyclage universel et total, et un fonctionnement basé sur la diversité et la coopération.
Les miracles de la nature sont ainsi innombrables, citons par exemple : le sonar de la chauve-souris, le pouvoir adhésif des pattes des geckos, la bioluminescence de certaines algues, l’exceptionnelle isolation des termitières, la capacité de plusieurs espèces de se fondre dans leur environnement, la capacité des oiseaux de voler, la capacité de s’orienter sur de longues distances, la longévité des palourdes, la force des fourmis, la vision des rapaces, la résistance de la soie d’araignée, la faculté des plantes et des arbres de convertir l’énergie solaire en énergie, etc.
Quelques exemples connus de biomimétisme existent déjà : les ailes des avions inspirées des ailes des oiseaux, l’aérodynamisme du train à grande vitesse japonais Shinkansen inspiré du bec du martin-pêcheur, le nylon inspiré de la soie ou encore le velcro basé sur les inflorescences de la fleur de bardane. Ajoutons également une peinture de la société Sto qui se nettoie à l’eau et qui s’inspire des propriétés hydrophobes des feuilles de lotus, ainsi que les tapis modulaires de la société Interface inspirés du sol recouvert de feuilles en automne.
Une deuxième définition au biomimétisme
Mais pour rendre nos sociétés durables, produire des objets performants ne suffira pas. Au-delà de la fabrication de produits ou de systèmes efficaces, le biomimétisme nous propose, puisque l’attribut essentiel de la nature est sa viabilité, de transformer nos sociétés en profondeur, de revoir fondamentalement leur fonctionnement pour mettre en place des sociétés soutenables. C’est la seconde définition du biomimétisme, une généralisation de la première.
Pour ne prendre que quelques exemples que nous allons détailler ci-dessous, s’inspirer des façons de faire de la nature pourrait ainsi nous permettre de produire des matériaux performants tout en étant peu coûteux pour l’environnement, d’utiliser une agriculture viable pour nourrir l’humanité, et mettre en place un système économique soutenable.
Des matériaux peu coûteux pour l’environnement
Pour la plupart, les matériaux actuels sont constitués de ressources non renouvelables, nécessitent l’utilisation de produits dangereux et/ou de beaucoup d’énergie (température et/ou pressions élevées). Parmi les matériaux synthétiques les plus communs citons les métaux et les alliages, les matières plastiques, le nylon, le kevlar, etc. Donc, bien qu’utiles, performants et remarquables, de nombreux matériaux ont un impact environnemental considérable et ils le conserveraient même si on les recyclait en totalité. Sans les bannir tous, nous devons toutefois nous orienter vers de nouveaux matériaux qui ont une empreinte écologique moindre.
La soie d’araignée est l’exemple type du biomimétisme. Le fil de survie de l’araignée, le fil au bout duquel elle se suspend, est un matériau composé de protéines fibreuses qui est reconnu pour sa grande résistance. Il attire donc l’intérêt de nombreux scientifiques. Cependant, ce qui fait aussi l’intérêt de ce matériau, c’est la manière dont il est fabriqué. La soie est produite dans des glandes spécialisées, dites séricigènes, situées dans l’abdomen de l’animal. À l’intérieur de ces glandes, la « soie » se présente initialement comme une solution de protéines dissoutes dans l’eau, le solvant le plus inoffensif qui soit. Les araignées étant des animaux ectothermes, le processus de filage qui transforme la solution en une fibre insoluble a lieu à température ambiante et à dans des conditions de pressions modérées.
Il va sans dire que le secret d’un processus de filage aussi bénin qui produit une fibre si résistante est très convoité par les chercheurs. Si on ajoute à cela que la soie est un matériau biodégradable et biocompatible (la soie permet le développement de cellules), on comprend que la soie d’araignée combine un grand nombre de qualités qui inspirent les scientifiques pour la mise au point de matériaux ayant une empreinte écologique réduite.
Une agriculture viable
L’agriculture qui prédomine aujourd’hui est une agriculture héritée des années 60 et 70 qui mise sur des rendements élevés. Pour atteindre ce but, cette vision préconise une agriculture de masse basée sur de vastes monocultures d’espèces annuelles, souvent importées, que l’on protège des ravageurs et des champignons par des pesticides et des fongicides, et dont on obtient de forts rendements grâce à l’utilisation de fertilisants.
La majorité des produits synthétiques utilisés aujourd’hui sont issus de l’industrie du pétrole, une ressource non renouvelable. L’utilisation des pesticides entraîne progressivement le développement résistance chez les ravageurs qui deviennent insensibles aux produits synthétiques utilisés, ce qui requiert l’utilisation de davantage de pesticide pour les éliminer, et ainsi de suite. Les pesticides et le labour détruisent les microorganismes et la structure des sols, donc la vie qui s’y trouve, provoquant une baisse progressive de la qualité et de la détérioration des sols. Autrement dit, la rentabilité des sols est maintenue artificiellement par une utilisation de plus en plus abondante de fertilisants et de pesticides. Par ailleurs, les rejets massifs de nitrates dans l’environnement (notamment dans les lacs, les rivières les aquifères jusqu’aux côtes maritimes) causent le développement intempestif de cyanobactéries et bouleversent les cycles biogéochimiques naturels tandis que l’abus de phosphore conduit à sa pénurie. Finalement, les grandes étendues agricoles contribuent à l’érosion des sols.
L’agriculture, pour être viable, doit être revue en profondeur. La nature est évidemment un excellent modèle, par exemples les prairies. Celles-ci résistent continuellement aux intempéries, aux conditions climatiques aux ravageurs et aux champignons, et ce sans l’épandage de quelconques molécules. Les prairies ou les systèmes naturels utilisent une pluralité d’espèces qui sont indigènes et pérennes. Le Land Institute travaille actuellement à essayer de fonder une agriculture viable qui partage les multiples avantages et la synergie d’une prairie. Combiné à une réduction du gaspillage, ces méthodes pourraient nous conduire vers une agriculture viable.
Une économie viable
Peut-être plus important que tout, la nature devrait nous inspirer pour mettre en place une économie viable. Le système économique actuel est conçu de de telle façon que la croissance doive être constante pour assurer la richesse. Dans cette optique, le système encourage une consommation excessive afin d’assurer des profits aux entreprises, des revenus aux États et un PIB élevé aux populations. Cette consommation galopante, soutenue par une fiabilité limitée des produits et des avancées technologiques irrépressibles, conduit à une surexploitation des ressources, une surconsommation d’énergie et d’eau, une dégradation des sols (mines) et une pollution globale (émissions de GES dans l’atmosphère, absorption par les océans et rejets de multiples substances dans l’environnement). Sans parler des effets sociaux. De plus, ce système est linéaire, ce qui signifie que les produits sont fabriqués, utilisés, puis jetés, parfois recyclés, souvent rapidement remplacés.
La nature, par essence, recycle tout, ne pollue pas, utilise les ressources de façon pérenne et est économe en énergie. Une autre caractéristique de la nature est de miser sur la diversité et sur la synergie entre individus. Ainsi l’économie devrait-elle être circulaire, c’est-à-dire focaliser sur le recyclage total des produits fabriqués, et ainsi tendre vers une économie sans déchet pour restreindre au maximum l’utilisation de matière première « neuve ». De plus, l’économie devrait être basée sur la maintenance, plutôt sur l’achat et la vente. Dans le même temps, l’économie de possession devrait être remplacée par une économie de location ou de fonctionnalité dans laquelle les produits sont durables. Ces transformations auraient l’avantage de réduire l’exploitation des ressources et l’impact qui en résulte. Ces mesures devraient être accompagnées d’une prise en compte des coûts liés à la dégradation de l’environnement.
Conclusion
Le biomimétisme est une inspiration importante et contient tous les éléments pour rendre l’humanité viable. Cependant, cette discipline pourrait se heurter à certaines limites. En effet, comme le mentionne Janine Benyus elle-même, la réussite de cette idée va en effet dépendre de la façon dont on va mettre en pratique le biomimétisme. Il est possible que le biomimétisme ne serve hélas qu’à justifier le « business as usual ».
Bibliographie
Janine M. Benyus, Biomimétisme – Quand la nature inspire des innovations durables (2011) Ed. Rue de l’échiquier, Paris.