Ce sont les rudiments de la biodiversité qui ont constitués le cœur de la conférence de M. Louis Legendre, professeur au laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer, lors de la journée de la recherche du FQRNT du 11 février 2010 qui a eu lieu à l’Université Laval. Ce qui suit est un résumé de cette conférence avec quelques points de certaines autres présentations. Des compléments sont issus du rapport du Millenium Ecosystem Assessment. Pour tout savoir sur la biodiversité…
Qu’est-ce que la biodiversité ?
La biodiversité, ou diversité biologique, représente la variabilité naturelle qui existe au sein des organismes vivants (micro-organismes, plantes et animaux) de la planète. La biodiversité est le fruit de près de 4 milliards d’années d’évolution.
Les plus anciens organismes vivants connus sont des fossiles de stromatolites, des roches constituées de feuillets alternés de calcaire et de matière organique qui ont été produits par les cyanobactéries il y a plus de 3 milliards d’années. On trouve encore aujourd’hui de telles stromatolites en Australie. Le monde du vivant actuel se divise en 3 types d’organismes : les acheae (ou achées ou achéobactéries), les bactéries et les eucaryotes. Ces 3 types d’organismes coexistent et sont tous les trois en constante évolution.
L’espèce humaine fait partie des eucaryotes avec les champignons, les plantes et les autres animaux. Les espèces se répartissent également dans d’autres catégories taxonomiques : genre, famille, ordre, classe, phylum (ou embranchement) et règne. À ce jour, les scientifiques ont décrit au total 1,8 millions d’espèces, mais on en découvre tous les jours de nouvelles, à un rythme différent selon les ordres. Les scientifiques estiment qu’il y aurait en fait probablement plus de 10 millions d’espèces. Nous devons être conscients qu’une grande partie de la biodiversité nous est inconnue.
Les archeae et les bactéries sont des organismes unicellulaires, mais les archées sont aussi différentes des bactéries que celles-ci le sont des eucaryotes. La notion traditionnelle d’espèce (définie comme un groupe fermé d’organismes inter-fertiles) ne s’applique pas bien à ces organismes.
Au-delà de la variabilité des organismes, la biodiversité se mesure également aussi à d’autres niveaux : au niveau des gènes et des écosystèmes. Le premier est crucial car c’est sur lui que repose la diversité du vivant. Le second représente l’assemblage complexe et dynamique d’organismes et d’espèces qui vivent en interactions dans un milieu caractérisé par ses paramètres physiques, chimiques et géologiques. Les organismes d’un écosystème dépendent les uns des autres et de leur milieu. L’homme, comme on le verra plus loin, ne fait pas exception à la règle.
Donc, la biodiversité, ce qu’il y a de vivant sur Terre sous toutes ses formes, représente des millions d’espèces, des millions de gènes, de physiologies et de comportements, ainsi que des multitudes d’interactions écologiques et de variétés d’écosystèmes.
Comment se répartit la biodiversité ?
La vie se retrouve partout, même là où on ne l’attend pas. On retrouve des organismes sur terre, dans les airs et dans les mers, chacun étant parfaitement adapté à son milieu. On en observe jusque dans les grands fonds océaniques, dans les montagnes en haute altitude, dans les cavernes obscures, dans les mers de glace et dans des sources d’eau très chaudes (à des températures supérieures à 90-100°C !). Il en existe également dans des milieux très acides (sols et mines à pH < 2) et très alcalins (sols et lacs à pH > 9). Dans l’atmosphère, on a même retrouvé des organismes à la limite de la mésosphère et de la thermosphère, à 80 km d’altitude. Dans les fonds géologiques, on en a trouvé jusqu’à plusieurs milliers de km de profondeur.
La répartition des organismes n’est uniforme partout sur la planète. De façon générale, la densité est plus élevée près des tropiques et moindre quand on monte en latitude comme l’illustre la figure ci-dessous pour les copépodes (un membre du zooplancton) :
Répartition de la diversité des copépodes dans les océans de la planète (l’échelle de couleurs représente le logarithme de la richesse taxonomique) prédite à partir la distribution spatiale actuelle connue des copépodes et en prenant en compte la température, la salinité et la concentration en chlorophylle a à une latitude et longitude donnée. (tiré de Isabelle Rombouts et coll. Proc. R. Soc. B 276 (2009) 3053).
La grande diversité de milieux dans lequel évolue le vivant a deux conséquences importantes :
- elle favorise le développement et le maintien de la biodiversité;
- elle offre au vivant des refuges à partir desquels la biodiversité peut se reconstituer en cas de grandes catastrophes.
De plus, les animaux ne se répartissent pas de la même façon. Sur les 1,2 millions d’espèces d’animaux connus, 85% se retrouvent sur les continents et 15% dans les océans. Par ailleurs, les animaux représentent 22 phylums. De ceux-ci, 8 sont présents dans les océans et tous sont présents dans les océans, et 9 sont exclusifs aux océans. Cette différence s’explique par le fait que la vie est apparue d’abord dans les océans. Autrement dit, les continents sont riches en taxons diversifiés récemment alors que les océans sont riches en taxons apparus il y a très longtemps. Parmi les 9 phylums animaux qui sont exclusivement marins :
- 4 sont représentés par une seule classe
- 5 sont représentés par moins de 100 espèces
- 1 n’est représenté que par une seule espèce (placozoaires: Trichoplax adhaerens)
Ces différences entre terres et mers s’expliquent par le fait que la vie s’est d’abord diversifiée dans les océans, alors que l’arrivée des animaux sur les continents est relativement récente.
Comment a évolué la biodiversité par le passé ?
La biodiversité évolue avec le temps. Comme illustré ci-dessous, deux faits majeurs caractérisent globalement le nombre d’entités du vivant (la biodiversité) :
- il y a une augmentation globale du nombre de genre d’animaux au cours du temps
- la tendance à l’augmentation est marquée par d’importantes fluctuations au cours du temps
La figure ci-dessous illustre l’évolution du nombre de genres d’animaux au cours du temps :
Quatre des cinq extinctions massives sont associées à des périodes de réchauffement planétaire. C’est notamment le cas pour l’extinction qui s’est déroulée il y a 250 millions d’années au cours de laquelle 90% des espèces végétales et animales disparurent qui est associée à la température la plus élevée jamais enregistrée Il semble donc y avoir une relation entre le climat et la biodiversité, même s’il n’y a pas de lien direct qui ait été établit.
Il est à noter qu’après chaque période d’extinction massive, la biodiversité a repris sa progression. Des groupes jusque-là peu importants se sont fortement diversifiés, ainsi que l’ont fait les mammifères de petite taille après la disparition des dinosaures. De plus, après une extinction massive, la biodiversité ne revient pas en arrière : les groupes disparus ne réapparaissent pas, la diversification du vivant se faisant dans de nouvelles directions. En clair, l’extinction d’une espèce est irréversible et irremplaçable. À titre indicatif, à la suite des extinctions passées, la biodiversité a pris de 10 à 40 millions d’années avant de retrouver sa richesse.
De plus, puisque la répartition des organismes n’est pas uniforme, les menaces à la biodiversité peuvent avoir des conséquences différentes sur les continents et dans les océans. Les extinctions affectent généralement des espèces sur les continents tandis que dans océans, elles peuvent menacer l’existence de catégories taxonomiques supérieures (y compris des phylums) qui sont représentés par un nombre relativement faibles d’espèces.
Quelle est l’importance de la biodiversité ?
La race humaine s’est développée depuis plus de 10 millions d’années dans un monde issu de la floraison de biodiversité qui a suivi la cinquième extinction. Elle en dépend de façon fondamentale. En effet, le règne du vivant rend des services fondamentaux, d’origine dit écosystémiques, aux humains. Selon le rapport de synthèse de l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire, on distingue :
- Les services de prélèvements : eau potable, nourriture (cultures/élevages et sauvage), bois, fibres textiles, minerais, combustibles, etc.;
- Les services de régulation : influence sur le climat, le cycle de l’eau, les inondations, l’érosion, la formation de sols fertiles, la pollinisation, la régulation des maladies et de leur vecteur, la qualité de l’air atmosphérique, la régulation des ravageurs.
- Les services culturels : bénéfices récréatifs (est à la base d’une grande partie du tourisme), esthétiques, scientifiques et spirituels;
Les humains tirent ainsi profit de la biodiversité dans des champs aussi divers que :
- Le bien-être (alimentation, logement, habillement);
- La santé (plus de la moitié des substances pharmacologiques est tirée ou des végétaux, et bien des médicaments sont inspirés de molécules végétale ou animale
- La sécurité (accès aux ressources naturelles, sécurité personnelle, protection contre les catastrophes naturelles);
Quoique se sentant protégé des changements environnementaux par sa culture et sa technologie, la race humaine dépend profondément des services d’origine. écosystémiques.
Les êtres humains, une menace pour la biodiversité
Les principales menaces qui pèsent sur la biodiversité sont bien connues et sont au nombre de 5 :
- La destruction des habitats;
- La surexploitation des ressources;
- La pollution (du sol, de l’eau douce, des océans, de l’atmosphère);
- Les espèces invasives (introduites volontairement ou non);
- Les changements climatiques (ceux-ci commencent à se faire sentir et vont avoir de plus en plus d’impact avec le temps).
Ajoutons à ces 5 menaces principales, l’uniformisation de l’habitat qui implique la disparition de populations génétiquement différentes.
La population humaine et ses activités exercent donc de fortes pressions sur la biodiversité. Il est clair que seul l’être humain est à l’origine de ces menaces. Ainsi contrairement aux changements climatiques qui est le sujet d’une controverse sur son origine anthropique, on ne peut nier l’impact de l’humanité sur la biodiversité.
Les pressions sur la biodiversité sont reliés aux modes de vie et de consommation, au développement, aux technologiques utilisées et à l’augmentation constante de la population : elle était de 2.5 milliards en 1950, est passée à 6.8 aujourd’hui et probablement atteindra à 9 en 2050 (une décroissance est possible ensuite). La vitesse des changements est également en cause, car les organismes n’ont pas le temps de s’adapter.
Les conséquences de ce qui précède sur la biodiversité sont :
- Destruction ou modification des habitats
- Disparition de nombreuses espèces
- Perte de refuges pour la biodiversité
- Perte de potentiel pour le renouvellement futur de la biodiversité
Qu’en est-il de l’érosion actuelle de la biodiversité ?
Selon le Millennium Ecosystem Assessment (2005), le taux d’extinction des espèces a été dans le passé de 0,1 à 1 espèce par millier d’espèces par millénaire (il s’agit d’une valeur moyenne pour des centaines de millions d’années).
Le rythme actuel est de 100 à 1000 fois plus élevé que cette moyenne, et il sera vraisemblablement 10 000 fois plus élevé en 2050 qu’actuellement selon les estimations ! Si les valeurs exactes sont difficiles à évaluer, les ordres de grandeur ne font aucun doute. Cette accélération du taux d’extinction des espèces, à un rythme qui n’a aucune commune mesure avec ce qui est observé dans les temps géologiques, conduit plusieurs chercheurs à penser que nous assistons à une sixième extinction massive. Nous devons de plus être conscient qu’une grande partie de la biodiversité qui nous est inconnue disparaît sans qu’on le sache, ni sans qu’on en connaisse les conséquences, ce qui ajoute au problème de l’érosion de la biodiversité. Compte-tenu de l’importance de la biodiversité pour les humains, il n’est pas difficile de se rendre compte de la menace qui pèse sur l’humanité.
Pour terminer, et pour bien comprendre l’urgence de la situation voici une citation tirée d’un article paru en 2008 dans la revue The Proceedings of the National Academy of Sciences des États-Unis (Avise et coll. PNAS 105 (2008) 11453-11457) :
“Paul Ehrlich and Robert Pringle (Ehrlich and Pringle (2008) PNAS 10511579–11586.) remind us that ‘‘the fate of biological diversity for the next ten million years will be determined during the next 50–100 years by the activities of a single species’’ (Homo sapiens). With the projected increase by mid-century of 2.6 billion people to an already overcrowded planet, the prospects for preserving substantial biodiversity are dim, unless societal mindsets and comportments change dramatically and quickly.
The authors issue a pluralistic call for action on seven fronts: combat the underlying drivers of biodiversity loss (notably human population growth, overconsumption, and the use of malign technologies); promote permanent nature reserves; provide social and economic incentives to preserve wild populations; better align economies with conservation; restore biodiversity on currently degraded lands; vest human occupants of a region with the desire and capacity to protect nature; and, in general, fundamentally transform human attitudes toward nature and biodiversity.
These calls are ambitious, but positive societal responses to them are not yet beyond the realm of possibility. The current extinction crisis is of human making, and any favorable resolution of that biodiversity crisis—among the most dire in the 4-billion-year history of the Earth—will have to be initiated by mankind. Preserving biodiversity is undeniably in humanity’s enlightened self-interest, but the tragic irony is that a majority of humanity is not yet enlightened to this fact. Little time remains for the public, corporations, and governments to awaken to the magnitude of what is at stake.”
Quand on connaît la prudence habituelle de la communauté scientifique qui ne se risque d’ordinaire pas à conclure trop hâtivement, le fait que des scientifiques tiennent de tels propos devrait faire réfléchir.