Le système-Terre, qui a été dans un état relativement stable durant toute l’époque géologique appelée Holocène, est sur le point de sortir de cet état d’équilibre sous l’influence des transformations que nous lui imposons. Autrement dit, la capacité de la planète d’absorber les pressions humaines atteint ses limites. Au premier rang de ces forçages figurent les émissions de GES, mais aussi l’anthropisation des espaces naturels (occupation et dégradation), la pollution, les flux d’azote et de phosphate, les prélèvements de ressources (eau, bois, animaux sauvages), etc.
Cette conclusion a été présentée mardi 11 octobre 2002 par le professeur Johan Rockström, chercheur au Potsdam Institute for Climate Impact Research en Allemagne, et chercheur bien connu pour ses travaux sur les limites planétaires. Sa présentation a eu lieu dans le cadre d’une conférence intitulée « A safe and just future within planetary boundaries ».
Depuis la naissance de l’agriculture (le Néolithique) jusqu’à l’époque contemporaine, c’est-à-dire durant l’époque géologique appelée Holocène, les conditions climatiques sont restées assez stables. Cet équilibre planétaire, offrant des conditions relativement constantes (malgré ses fluctuations naturelles), a ainsi permis aux êtres humains de prospérer jusqu’à aujourd’hui.
Un tel équilibre planétaire* résulte de mécanismes opposés qui se contrebalancent. On parle ici de rétroactions négatives : dès qu’un processus a tendance à diriger le système dans un nouvel état, un autre processus s’y oppose et vice-versa. Les conditions fluctuent donc très peu autour d’une moyenne constante.
Mais, sous une contrainte persistante comme les émissions actuelles de GES, les mécanismes de stabilisation sont moins capables d’absorber cette pression et peuvent être outrepassés, de sorte que l’état d’équilibre peut ne plus être maintenu. La résilience de la planète s’étiole.
C’est exactement ce à quoi correspond un point de bascule : un seuil au-delà duquel le système ne parvient plus à s’opposer à la contrainte exercée et sort de son état d’équilibre pour se diriger, plus ou moins abruptement, vers un nouvel état. On dit que la capacité « tampon » du système est dépassée, ou encore que le système est saturé.
C’est ainsi que la montée de la température planétaire des dernières décennies, que l’on peut qualifier de fulgurante quand on considère la courte période de temps sur laquelle elle s’opère à l’échelle géologique, risque de sortir la planète de son état d’équilibre. Selon Johan Rockström, la saturation du système-Terre a vraisemblablement été atteinte au tournant des années 1990.
Cette conclusion est soutenue par les résultats récents relatifs aux points de bascule climatiques qui montrent que les possibilités de basculement deviennent possibles pour le réchauffement planétaire actuel, soit 1,2 °C. Ces risques concernant notamment la fonte des glaciers de l’Antarctique et du Groenland, le dépérissement de barrières de corail et le dégel du pergélisol.
Cette hypothèse d’une saturation du système-Terre est également soutenue par la multiplication des événements extrêmes des dernières années, dont l’intensité semble même nous affecter plus tôt qu’anticipé par les scientifiques.
Le concept de saturation vient donc s’ajouter à celui d’Anthropocène, la nouvelle époque géologique dans laquelle la planète est entrée et que de nombreux scientifiques situent au tournant des années 1950. Cette date correspond en effet à ce que l’on appelle dans la littérature scientifique, la Grande accélération, le moment où la croissance phénoménale des activités humaines a accéléré rapidement. L’Anthropocène correspond au moment où les conditions régnant sur Terre sont devenues majoritairement déterminées par l’être humain.
Devant le constat que la planète a sans doute perdu la résilience lui permettant d’absorber nos émissions de GES en particulier, et de manière générale nos prélèvements, nos rejets et notre occupation des espaces naturels, tout doit être mis en œuvre, et toutes les forces doivent être réunies, localement et mondialement, pour contrecarrer cette trajectoire désastreuse et se préparer à nous adapter à un système climatique et des processus écologiques moins propices à la prospérité humaine.
Note :
* En toute rigueur, la Terre n’est jamais tout à fait dans un état stable, mais on peut considérer que c’est le cas sur de courtes périodes de temps à l’échelle géologique quand les conditions ne fluctuent pas trop, comme c’est le cas pour l’Holocène.