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L’être humain et la surconsommation

Acheter est un plaisir et peut conduire à des comportements extrêmes

Alors qu’elle constitue le moteur principal de la croissance et du développement économiques, la consommation représente aussi un des facteurs économiques qui contribue le plus à l’aggravation de notre impact environnemental. Or, l’être humain, l’Homo emptor (du latin emptor, « qui achète »), a une propension naturelle à consommer, c’est-à-dire à acheter et posséder. Bien que n’ayant pas été clairement démontré scientifiquement en tant que tel à ma connaissance, un faisceau d’évidences (voir les références de cet article) semble indiquer que l’être humain éprouve un plaisir naturel à acheter, un phénomène qui représente pour l’instant un des importants blocages à l’instauration d’une société viable.

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Qui en effet n’a jamais ressenti ce contentement, cette satisfaction, ce plaisir presque jubilatoire d’acheter un article dont il a brusquement envie ou dont il rêvait depuis longtemps ? L’attrait irrésistible de consommer se traduit notamment par le plaisir que prennent certaines personnes à magasiner durant des heures, quand ce n’est pas un véritable passe-temps. Le plaisir que procure l’achat semble donc être très fortement ancré en chacun de nous, et malgré la rationalité dont nous sommes dotés et qui devrait nous inciter à n’acheter que ce dont on a réellement besoin et est économiquement justifié, nous dépensons souvent exagérément, voire contre nos propres intérêts, et dans certains cas jusqu’aux problèmes financiers. Et dans certaines situations extrêmes, notamment en cas de perturbation psychologique, la consommation peut conduire à de véritables pathologies.

Différents types de troubles lié à la consommation, que l’on regroupe parfois sous le terme d’achats « excessifs », ont été répertoriés [1], Chacun peut conduire à de graves problèmes d’ordre financier, psychologique ou familial [1,2]. On distingue ainsi l’acheteur compulsif (qui achète de façon chronique, parfois en état de dépendance), l’acheteur impulsif (qui est régulièrement sujet à un urgent et intense besoin d’acheter), le « collectionneur » (qui achète des articles pour assouvir une passion particulière), « l’accumulateur » (qui achète à l’excès certains types articles et les entrepose sans même ne plus savoir où les mettre), l’acheteur obsessif (qui a un intérêt exagéré pour une catégorie d’articles) et l’acheteur possessif (qui achète à répétition certaines catégories d’articles selon des critères particuliers) [1]. En dehors de leurs spécificités propres, ces troubles sont considérés comme une automédication [3,4] visant à désamorcer des perceptions psychologiques négatives comme la mésestime de soi, l’anxiété, la tension nerveuse ou un vide émotionnel, et ils répondent à des degrés divers aux mêmes déterminants. La description de ces comportements extrêmes sort du cadre de cet ouvrage, mais l’exemple de l’achat impulsif sera détaillé. Il s’avère en effet particulièrement pertinent puisqu’il représente un type de comportement que chacun ou presque peut expérimenter occasionnellement ou plus régulièrement.

L’acheteur impulsif et l’acheteur ordinaire

L’achat impulsif est un achat non planifié, réalisé alors que l’acheteur ressent un urgent et intense besoin de d’acheter quelques chose, un impératif souvent déclenché à la suite d’un stimulus comme la confrontation visuelle avec un article ou une promotion [2]. Le processus d’un tel type d’achat est un phénomène psychologique complexe conduisant l’acheteur à ressentir une impression ambivalente. Celle-ci consiste d’une part en une perception positive et spontanée que l’achat procure, suivie d’autre part d’une évaluation rationnelle, normative et négative de cet achat [1,2,6]. La première impression consiste en effet en un plaisir, une excitation ou une satisfaction suscitée par l’achat, dont l’intensité peut surpasser ou non l’appréciation cognitive subséquente qui, elle, se traduit par le regret, la culpabilité, la honte et/ou la contrariété, en particulier d’avoir perdu le contrôle de soi ou d’avoir dépensé inutilement. Ces deux sentiments contradictoires rentrent ainsi en conflit, et selon le cas, l’ambivalence qui en résulte est plus ou moins forte. Néanmoins, il est très difficile de résister à l’impulsivité dont on est le sujet du fait de l’expérience plaisante qui est anticipée [6].

La fréquence ou la probabilité d’occurrence de l’achat impulsif est de plus influencée par la personnalité, l’humeur et le style de vie de l’individu [1,2,4,6]. Par exemple, la peine, la déprime, une disposition favorable à se gratifier ou le désir de se récompenser pour se réconforter sont des facteurs prédominants dans les achats impulsifs. De façon similaire, les valeurs matérialistes ont évidemment tendance à promouvoir ce type d’achats [4,7]. Il semble de plus qu’une des motivations réside dans la volonté de l’acheteur d’exprimer ou d’affirmer son identité par l’acquisition des produits en question [1,7]. Ces mêmes facteurs psychologiques et culturels peuvent également exacerber le comportement des acheteurs compulsifs [8](70) quoique les valeurs matérialistes semblent peu déterminantes dans ce cas [3].

Il est clair que les facteurs présentés ci-dessus dépassent le cadre de l’achat excessif et s’étendent à l’acheteur « ordinaire ». Contrairement à ce que l’on imagine, nous ne sommes pas « des consommateurs rationnels, réfléchis qui agissent avec discernement et qui rassemblent de l’information pertinente avant d’acheter des biens selon des considérations coûts-bénéfices » [7,9]. C’est pourquoi on achète parfois (souvent ?) plus ce dont on a envie que ce dont on a besoin. Il est en effet communément admis qu’il existe un continuum entre le comportement, les facteurs déclencheurs et les conséquences que vit l’acheteur impulsif [2,4,7] ou l’acheteur compulsif [3] et ceux que vit l’acheteur moyen. Nous sommes tous des acheteurs impulsifs en puissance, autant que nous sommes des acheteurs compulsifs potentiels. D’ailleurs, si on considère le fonctionnement de la société actuelle dans sa globalité, force est de reconnaître qu’elle est constituée de consommateurs qui achètent avec constance de grandes quantités de biens. De ce point de vue, si on considérerait la société comme un individu, on pourrait diagnostiquer qu’elle présente tous les symptômes qui rappellent ceux des acheteurs pathologiques.

La plupart d’entre nous avons vécu à un moment à un autre un manque de jugement pour certains achats [7]. Le fait que les mécanismes qui déterminent le comportement de l’acheteur impulsif et de l’acheteur ordinaire soient similaires explique en partie que plus de la moitié des achats réalisés sont non planifiés [10]. Sans être des acheteurs excessifs (ou pathologiques) pour lesquels l’action d’acheter et la possession sont au cœur de leur vie (et peuvent à l’extrême nuire à la personne) [1], les achats occupent une place importante dans la vie des consommateurs ordinaires. En fait, les mêmes mécanismes psychosociaux que ceux qui affectent les acheteurs impulsifs influencent le comportement des acheteurs ordinaires, même si ces derniers exercent un meilleur contrôle sur leurs actions [7].

Notes et références

[1] M. Bose, A. C. Burns, J. A. G. Folse, “My fifty shoes are all different!” Exploring, defining, and characterizing acquisitive buying. Psychol. Market. 30, 614–631 (2013).
[2] D. W. Rook, The buying impulse. J. Consum. Res. 14, (1987).
[3] T. C. O’Guinn, Faber, Compulsive buying: A phenomenological exploration. J. Consum. Res. 6, 147-157 (1989).
[4] S. H. Xiao, M. Nicholson, A multidisciplinary cognitive behavioural framework of impulse Buying: A systematic review of the literature. Int. J. Manag. Rev. 15, 333–356 (2013).
[5] R. J. Faber, G. A. Christenson, In the mood to buy: Differences in the mood states experienced by compulsive buyers and other consumers. Psychol. Market. 13, 803-819 (1996).
[6] L. Miao, Guilty pleasure or pleasurable guilt? affective experience of impulse. Buying in hedonic-driven consumption. J. Hosp. Tour. Res. 35, 79-101 (2011).
[7] H. Dittmar, J. Drury, Self-image – is it in the bag? A qualitative comparison between « ordinary » and « excessive » consumers. J. Econ. Psychol. 21, 109-142 (2000).
[8] H.-Y. Lo, N. Harvey, Shopping without pain: Compulsive buying and the effects of credit card availability in Europe and the Far East. J. Econ. Psychol. 32, 79–92 (2011).
[9] Traduction de Planète viable
[10] L. G. Block, V. G. Monvitz, Shopping lists as an external memory aid for grocery shopping: Influences on list writing and list fulfillment. J. Consum. Psychol. 8, 343-375 (1999).

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2 Commentaires

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