Alors que les citoyens du sud du Québec et du Canada ne ressentent pas ou peu les effets du réchauffement planétaire et qu’ils se protègent de la chaleur à grand renfort de climatiseurs, le Nord du Québec et du reste du Canada se transforme profondément et rapidement, dans une indifférence générale. C’est en effet aux latitudes les plus élevées que les modifications induites par le réchauffement planétaire sont les plus rapides, comme l’atteste par exemple la fonte rapide de la calotte polaire en Arctique. Le Nord canadien n’échappe pas à cette règle. Mais d’autres facteurs modifient le mode de vie des habitants. C’est ainsi qu’à l’occasion de l’exposition « Inuit tautunga iyimut » à la maison des jésuites de Sillery,* Teevi Mackay, éditrice de la revue Inuktitut et Inuit d’origine, Jean-Louis Dorais, professeur associé en anthropologie à l’Université Laval, et Vincent L’Hérault, directeur de l’organisme ARCTIConnexion, nous ont décrits les bouleversements environnementaux et sociaux que vivent des Canadiens au nord du pays, au Nunavik et Nunavut.
Le climat et l’environnement
Du fait du réchauffement planétaire, au Nord, la glace gèle de plus en plus tard en hiver et de plus en plus tôt au printemps. La hausse des températures altère ainsi les patrons de migrations de certaines espèces, notamment des caribous qui sont contraints d’éviter leurs voies migratoires envahies par les eaux ou forcés de les traverser à la nage. Mais les changements climatiques n’affectent pas que la faune et la flore [1]. Ils perturbent les cycles météorologiques et affectent les habitats. Or, les Inuits du Nord canadien ainsi que leur mode de vie sont très dépendants de la nature. Les communautés assistent ainsi, impuissantes, à une transformation de leur environnement dont ils ne sont pas la cause et à une transformation de leur mode de vie.
Les modifications des conditions de glace et de neige, l’évolution rapide du comportement et du déplacement des animaux, de même que la difficulté qu’ont désormais les Inuits à prédire la météo [2] altèrent leurs méthodes traditionnelles d’approvisionnement en nourriture. Certaines espèces animales, comme l’ours polaire ou le renard, se rapprochent des zones habitées constituant ainsi une menace. Par ailleurs, la fonte du pergélisol fragilise les fondations des infrastructures (routes, bâtiments, aéroports, etc.), amollissant implacablement le sol et le transformant en marécage, de sorte que bien des maisons doivent dorénavant être placées sur pilotis ! Pour les résidents, il faut s’adapter ou déménager… Aussi, la pollution émise par les pays riches ne connaissant pas de barrières, pas même les frontières établies par les États [3], l’environnement nordique se retrouve contaminé par des substances chimiques émises et souvent utilisées par le Sud telles que les biphényles polychlorés (BPC). Ces molécules entrent alors dans la chaîne alimentaire et se concentrent dans les organismes situés en haut de la chaîne alimentaire [3].
Le développement industriel et la colonisation
Au-delà des transformations du climat et de l’environnement, l’autre facteur qui bouleverse actuellement la région est le développement industriel, notamment l’exploitation de mines. Ces activités altèrent les habitats et affectent les espèces. C’est en fait la continuation d’un long processus qui a commencé avec la colonisation et qui s’est accéléré après la seconde guerre mondiale, alors que les Inuits subissaient un « tsunami culturel », comme l’explique Teevi Mackay. Les Inuits ont été colonisés et contraints de perdre leur mode de vie traditionnel. Ils sont notamment passés d’une vie nomade à une vie sédentaire. L’intransigeance des Blancs étaient telle qu’ils privaient les Inuits de leurs chiens dressés avec lesquels ils se déplaçaient sur la neige, afin de les forcer à se sédentariser.
Tout comme les Amérindiens et les Maori [4], les Inuits ont subi l’invasion et la colonisation des Occidentaux. Mais il s’agit d’une véritable assimilation qu’ont vécue les Inuits, forcés qu’ils étaient, et qu’ils sont encore aujourd’hui, de suivre le mode de vie occidental. Avec, d’une part ses effets néfastes, par exemple sur la santé (obésité) du fait d’un mode de vie par trop sédentaire et d’une alimentation déséquilibrée ; et d’autre part de maigres bénéfices matériels ou économiques. Pire encore, les enfants inuits ont été arrachés de leur famille et envoyés dans des pensionnats dans le sud du pays des années 50 jusqu’aux années 80, causant des traumatismes indélébiles et interrompant la transmission orales des coutumes et du savoir traditionnel. C’est évidemment sans parler des sévices qu’ont vécus les enfants dans ces orphelinats et qui encore aujourd’hui troublent leur existence.
Encore aujourd’hui, la situation des Inuits reste précaire. Car même si des progrès ont été accomplis dans les deux dernières décennies, notamment par une participation des communautés autochtones aux décisions concernant des projets de développement de la région, fondamentalement ces Canadiens sont laissés pour compte. Dans les pays développés en effet, « les autochtones se retrouvent systématiquement au bas de l’échelle de la plupart des indicateurs de bien-être même dans les pays développés. Ils ont une espérance de vie plus courte et une éducation et des soins de santé moins bons que le reste de la population, et le taux de chômage est plus élevé parmi eux » [5]. Le Canada hélas ne fait pas exception. À titre d’exemples, leur espérance de vie est de 17 and plus faible, le taux de suicide est 11 fois plus élevé, 70 % des élèves des vivant dans une réserve ne terminent pas leurs études secondaires et 60 % pour cent des jeunes aborigènes habitant les zones urbaines vivent sous le seuil de pauvreté [5].
L’avenir
Malgré le lourd passé des Inuits et malgré les injustices qui les veulent regarder vers l’avenir. Ils n’ont en fait d’autre choix que d’intégrer la modernité, mais en s’appuyant solidement sur les principes fondateurs de leur culture, comme le souligne si justement Teevi Mackay. Mais ce n’est pas chose facile. D’une part, les Inuits se heurtent toujours à l’incompréhension des résidents du sud ; d’autre part ils sont encore marqués par la colonisation, l’assimilation et l’acculturation, ce qui se manifeste souvent pour les Inuits par un complexe d’infériorité. Dans le même temps, ils remettent en cause l’autorité des différents niveaux de gouvernement qui ne prennent pas suffisamment en compte les intérêts de la communauté inuit. Comment pourrait-il en être autrement ? Néanmoins, les Inuits savent que pour faire avancer leur cause, ils doivent composer avec le gouvernement, tout en revendiquant leurs droits.
Un des meilleurs moyens de s’émanciper et de se développer passe sans aucun doute par l’enseignement. L’accès à l’éducation est un droit. L’éducation permettra de trouver les solutions les plus adaptées à la région et aux résidents. L’établissement d’une université au Nunavut apparaît comme un projet mobilisateur et essentiel. Déjà des projets de recherche qui impliquent les Inuits et qui répondent à leurs besoins commencent à se faire jour. Aussi des microprogrammes en environnement au Nunavut Arctic College voient le jour et apparaissent comme des prémisses vers la constitution d’une université.
Conclusion
L’Histoire ne peut être réécrite, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il est temps que les gouvernements canadien et québécois ainsi que tous les citoyens aient la volonté de donner aux communautés inuites les moyens de se développer selon leurs aspirations, en faisant valoir leurs intérêts et en respectant leurs traditions. Les Autochtones en général et les Inuits en Il est temps de leur rendre cette justice.
* Exposition Inuit tautunga iyimut – Regard inuit sur un territoire en bouleversement
Maison des Jésuites de Sillery | 2320, chemin du Foulon, Québec, Canada
Du 20 mars au 25 août 2013
Liens :
http://www.ville.quebec.qc.ca/actualites/actualites_arrondissements/fiche_arrondissements.aspx?id=12570
http://www.lefil.ulaval.ca/articles/regards-inuits-maison-des-jesuites-34914.html
Excellente exposition avec de magnifiques photos de Vincent L’Hérault. Une image valant milles mots, la visite de l’exposition s’impose.
Intervenants lors de l’exposition :
• Louis-Jacques Dorais, professeur associé au département d’anthropologie, Faculté des sciences sociales de l’Université Laval
http://www.ant.ulaval.ca/?pid=80
• Vincent L’Hérault, étudiant au doctorat au Centre d’études nordiques et commissaire de l’exposition
http://www.cen.ulaval.ca/nouvelle.aspx?ID=47221&type=0
• Teevi Mackay, éditrice de la revue Inuktitut de l’Association Inuit Tapiriit Kanatami
Inuktitut Magazine : https://www.itk.ca/publication/magazine/Inuktitut
Association Inuit Tapiriit Kanatami : https://www.itk.ca/
Bibliographie
[1] Utikkaaqatigiit – Putting the human face on climate change – Perspectives from Inuit in Canada (2005) Inuit Tapiriit Kanatami (Nasivvik Centre for Inuit Health and Changing Environments) & Ajunnginiq Centre (National Aboriginal Health Organization) [En ligne] https://www.itk.ca/publication/canadian-inuit-perspectives-climate-change-unikkaaqatigiit ; consulté le 9 juillet 2013.
[2] Vulnérabilité et adaptations aux changements climatiques : savoirs et vécus des femmes inuites du Nunavik (2012) Institut en Environnement, développement et société (EDS) [En ligne] http://www.ihqeds.ulaval.ca/14501.html?&no_cache=1&tx_ttnews%5Btt_news%5D=929&tx_ttnews%5BbackPid%5D=14960#.UdyClPnrySo ; consulté le 9 juillet 2013.
[3] La pollution dans tous ses états (2013) Planète viable [En ligne] https://planeteviable.org/pollution/ ; consulté le 9 juillet 2013.
[4] E TU AKE – Maori debout, Exposition du Musée de la civilisation (21 nov. 2012 – 8 sept. 2013) http://www.mcq.org/fr/presse/presse.php?idEx=w3595 ; consulté le 9 juillet 2013.
[5] La situation des peuples autochtones dans le monde (2010) Organisation des Nations Unies [En ligne] http://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/SOWIP_fact_sheets_FR.pdf ; consulté le 9 juillet 2013.