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L’officialisation de l’Anthropocène : critères et enjeux

L’Anthropocène est un terme qui a été proposé pour représenter une nouvelle ère géologique, une ère faisant suite à l’Holocène, la période actuelle telle que définie par les géologues. La notion d’Anthropocène s’est imposée d’elle-même du fait que les transformations actuelles de la planète sont marquées par l’action humaine. L’humanité a en effet atteint un stade de développement tel qu’elle est devenue, du fait de ses activités, une force géophysique à part entière. Cette idée a été popularisée par Eugene Stoermer et Paul Crutzen au début des années 20001,2 qui ont remis à l’avant-scène un concept né dans la seconde moitié du 19e siècle par quelques pionniers.

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Mais si ce concept apparaît évident pour qui est conscient de l’empreinte environnementale de l’être humain, l’officialiser représente un tout autre enjeu. Ce n’est pas tous les jours que l’on décide de mettre fin à une époque géologique, l’Holocène. Un Groupe de travail de la Sub-Commission on Quaternary Stratigraphy de la International Commission on Stratigraphy travaille actuellement sur ce sujet.3 Différents critères doivent en effet être considérés avec attention pour s’assurer que l’impact de l’action humaine corresponde bien à celui d’une force globale, d’autant que l’officialisation du terme pourrait avoir des conséquences dans d’autres milieux que le domaine scientifique.

Des critères à remplir

Une empreinte écologique majeure

Un premier critère à considérer concerne l’ampleur des modifications anthropiques de la planète. En fait, cette question apparaît presque résolue, car les activités humaines transforment d’ores et déjà, profondément et globalement la planète (voir l’article relié). Le spectre des transformations est large : érosion et pollution des sols, modifications de la distribution des sédiments, modification de la composition chimique de l’atmosphère et altération du climat, modification des propriétés physico-chimiques des océans et altérations des cycles biogéochimiques (eau, azote, phosphore, soufre).

Un critère incontournable pour les géologues

Une seconde question porte sur le fait que l’empreinte des activités humaines puisse se traduire par une couche sédimentaire distinctive. Les géologues différencient en effet les périodes géologiques successives par les différentes strates du sous-sol. Parmi les effets à prendre en compte, citons l’érosion des sols (élimination de l’humus), le déversement massif, par lessivage, de sédiments dans les rivières et dans les fonds marins côtiers, extraction de matières premières dans les mines et puits de forage, et la pollution (plastiques et micro-plastiques, sites d’enfouissement des déchets et la lixiviation qui s’ensuit, entreposage des déchets nucléaires), etc.

Les géologues doivent également évaluer la persistance sur le long terme des villes et de l’urbanisation dans la couche stratigraphique qui représentera l’Anthropocène à l’avenir (la « strate urbaine »). Selon les scientifiques, l’utilisation massive de fertilisants synthétiques azotés forment d’ores et déjà une couche identifiable dans les sédiments du fond de certains lacs. Ces fertilisants sont également transportés jusqu’aux deltas et estuaires des fleuves formant près des côtes maritimes des zones mortes où les algues en excès étouffent la vie en appauvrissant ces zones en oxygène (zones anoxiques).

Définir un début à l’Anthropocène

Si l’amplitude des variations imposées par l’être humain ne fait pas vraiment de doute, la question se pose de savoir quand faire commencer cette éventuelle nouvelle époque géologique. Par exemple, depuis le début du Néolithique, l’être humain modifie la composition de l’atmosphère par déforestation au profit des terres agricoles. Cependant, l’augmentation de la concentration de CO2 du fait du déboisement reste négligeable. Au cours de la Révolution industrielle, la concentration de CO2 augmente plus significativement, passant de 277 ppm (en volume) en 1750 à 284 ppm en 1824. Néanmoins, cet accroissement reste confiné à l’intérieur des variations naturelles de l’Holocène (la concentration de CO2 est aujourd’hui de 391 ppm !).

De plus, il existe un décalage entre les émissions de CO2 et le réchauffement planétaire qui en résulte car les puits de carbone naturels (océans, plantes et forêts) limitent l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère « retardant » ainsi le réchauffement global.2 Ce phénomène complique l’attribution d’une date du début de l’Anthropocène. Paul Crutzen propose que l’année 1800 soit prise comme origine2 du fait que l’influence humaine a alors commencé à se faire sentir sur la Terre de façon significative à l’échelle mondiale. Cependant, les scientifiques ne sont pas unanimes quant à cette date.

Définir la durée de l’Anthropocène

Les géologues sont aussi amenés à se demander si l’Anthropocène doit être une époque, une période voire une ère géologique. L’Histoire de la Terre est en effet séparée en différents intervalles de temps, soient du plus grand au plus petit : éons, ères, périodes et époques. Ces espaces temporels identifient les différentes conditions qu’a connues la biosphère, représentant les variations du climat planétaire, l’évolution du vivant (type ou nombre d’espèces), les transformations tectoniques ou une activité volcanique intense. Mais, alors que les intervalles de temps en géologie couvrent des millénaires voire des millions d’années, l’ordre de grandeur pour les sociétés humaines se situe à l’échelle du siècle. De plus, bien malin celui peut deviner combien de temps durera le phénomène humain, d’autant plus que dans les conditions présentes, elle n’est pas viable…

Par ailleurs, il faut réaliser que les effets observés aujourd’hui, que ce soit sur le climat, la cryosphère (Arctique, Antarctique, Groenland, pergélisol), sur la biodiversité ou le sol vont perdurer durant des siècles voire des millénaires. À titre d’exemple, les GES émis aujourd’hui ont une durée de vie dans l’atmosphère qui peut aller de quelques siècles (CO2) à plusieurs millénaires (composés fluorés). L’effet réchauffant de ces GES va donc se manifester sur des dizaines de siècles, même si les émissions étaient stoppées net. La plus ou moins longue persistance des effets anthropiques va bien entendu aussi dépendre des mesures d’atténuation ou l’absence d’actions de nos sociétés.

Par contre, les changements imposés par l’Homo sapiens sont si rapides, que l’Anthropocène se heurte à la durée des intervalles de temps généralement considérés en géologie. Ainsi, si l’Anthropocène doit se plier à certains critères caractérisant transformations terrestres naturelles, à l’inverse, il n’est pas impossible que le concept d’Anthropocène remette en cause la définition de certains de ces critères…

Les enjeux de l’officialisation

Des conséquences inattendues

Devant les bouleversements qu’impose l’Homo sapiens à la planète, l’officialisation du terme Anthropocène s’avérera sans nul doute très utile aux géologues pour se repérer dans le temps. Étonnamment, elle pourrait également s’avérer utile dans un secteur a priori inattendu, à savoir en gouvernance internationale de l’environnement. En effet, la gouvernance des océans se cantonne jusqu’à présent principalement aux eaux territoriales. Ainsi, la gouvernance des océans voit émerger aujourd’hui la notion de « responsabilité pour les océans » afin de contrer la détérioration qu’ils subissent, notamment dans les vastes zones qui n’appartiennent à aucune juridiction. L’officialisation de l’Anthropocène pourrait ainsi venir soutenir une gestion des océans plus durable telle qu’appelée de ses vœux par l’ONU. De façon générale, la notion d’Anthropocène rejette directement sur l’être humain la responsabilité de la dégradation de l’environnement mondial, et devrait par le fait même aider la gouvernance mondiale de l’environnement en incitant les États et les populations à prendre des mesures ou des résolutions pour inverser la tendance.

Des embûches à prévoir

Pourtant, dans la population générale et certains États, il est à prévoir que l’officialisation du terme Anthropocène, ou simplement le concept, se heurte à de vives réticences parce qu’elle remet en cause les fondements des sociétés occidentales et les légitimes aspirations des pays émergents. Déjà, par le passé, la théorie de Darwin de l’évolution des espèces mit très longtemps avant d’être acceptée et elle ne l’est encore pas aujourd’hui dans certains milieux, 150 ans plus tard. L’évolution des espèces remet en effet profondément en cause des croyances religieuses, notamment l’Histoire de l’humanité telle que racontée par la Bible ou les autres textes religieux.

Plus récemment, l’acceptation a été et est encore difficile dans le cas des changements climatiques à cause des croyances ou des valeurs des individus, quand ce n’est pas pour des raisons bassement intéressées. Mais pour l’Anthropocène, l’acceptation risque d’être extrêmement difficile car ce concept remet en cause la notion de progrès et le confort matériel de nos contemporains. Il remet aussi en cause le système économique capitaliste actuel et la place de l’humanité au sein de la nature.3

Conclusion

Mais que le terme soit officialisé ou non, l’impact de l’humanité sur la nature est une réalité et affecte de manière globale plusieurs aspects de la terre et de son fonctionnement. À terme, c’est le fonctionnement des sociétés elles-mêmes et le bien-être des populations qui à risque. En bout de ligne, l’Anthropocène nous rappelle que c’est tout simplement l’avenir de l’humanité qui est hypothéqué.

Lire l’article sur la présentation de l’Anthropocène >>

Références

1 P. Crutzen & E. Stoermer « The “Anthropocène” » Global Change Newsletter (2000) 41 17-18.

2 P. Crutzen, « Geology of mankind » Nature (2002) 415 23

3 W. Steffen, J. Grinevald, P. Crutzen et J. McNeill « The Anthropocène: conceptual and historical perspectives » Phil. Trans. R. Soc. A (2011) 369 842-867.

Voir la vidéo « Welcome to the Anthropocene » de Planet under pressure

 

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