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La foresterie à l’épreuve du développement durable

L’industrie forestière est un pilier de l’économie du Québec et cette industrie est en crise : crise du bois d’œuvre, diminution de la consommation de bois et hausse de la valeur du dollar, pertes d’emplois majeures et finalement, crise environnementale dénoncée notamment par le film « l’erreur boréale » et commentée dans le rapport Coulombe. Pour sortir de cette situation difficile, l’industrie forestière devra faire preuve d’innovation et d’imagination, car une crise est aussi une occasion de changement à saisir.

C’est ainsi qu’Olivier Boiral, professeur au Département des Sciences de l’Administration de l’Université Laval, a mis en contexte la table ronde sur l’industrie forestière et le développement durable qui s’est déroulée le 22 mars 2010 au pavillon Palasis-Prince. Voici un court résumé de ce qui s’est dit à cette occasion.

Trois conférenciers de marque étaient présents :

  • Avrim Lazar, Président en chef à la direction de l’Association des Produits Forestiers du Canada (APFC);
  • Luc Bouthillier, professeur titulaire en politique forestière au département des sciences du bois de l’Université Laval;
  • Frédéric Verreault, directeur des affaires corporatives et des communications de l’entreprise Chantiers Chibougamau Ltée.

 

Pour les non-spécialistes, conscients que l’industrie forestière est en crise mais peu informés des dessous de l’industrie forestière, cette table ronde a permis de réaliser que le secteur se remet actuellement en question en profondeur, et que le développement durable apparaît comme une approche privilégiée. Si les intervenants en foresterie ne sont pas encore tous convaincus, la majorité l’est et l’idée progresse…

M. Lazar a fait la première intervention. Celle-ci montre que le bilan des dernières années fait par l’industrie est qu’elle est dans une impasse, et que des remaniements majeurs sont nécessaires. Pour bien situer l’ampleur du problème, M. Lazar a rappelé que c’est 80 000 emplois qui ont été perdus lors des dernières années. Pour sortir de cette crise, la solution miracle n’existe pas ; plusieurs solutions sont nécessaires et devront être mises en vigueur en parallèle. Quatre grandes pistes de solutions ont été identifiées pour dynamiser l’industrie forestière :

  • Augmenter la productivité et le rendement, et ce dans l’ensemble de la chaîne de production (à l’usine, dans le transport, etc.)
  • Diversifier les marchés, notamment vers l’Asie
  • Augmenter le rendement environnemental. Par exemple, viser 100% d’utilisation d’énergie renouvelable (la proportion est actuellement de 60%) ; chercher à diminuer l’empreinte environnementale, de la forêt jusqu’au produit final. Il faut évidemment que l’aménagement de la forêt soit tel que le renouvellement des arbres soit infini. De telles pratiques écoresponsables apporteront un atout de taille à l’industrie : une bonne réputation.
  • Changer le modèle d’affaire. Abandonner la vision traditionnelle majoritairement orientée vers la production de bois d’œuvre et de pâtes et papier pour se tourner vers la production de bioénergie et surtout de bioproduits, ce dernier représentant un créneau particulièrement prometteur.

Ces quatre champs restent cependant encore à développer et à explorer. Il est possible que des solutions retenues ne soient que transitoires, et ce parce que de meilleures solutions peuvent apparaître au fil du temps ou simplement parce que la société dans son ensemble évolue rapidement.

Concernant l’aménagement et la gestion des forêts, M. Lazar explique également la complexité du problème de la disponibilité de terres forestières face à la très forte demande pour des terres agricoles du fait de la croissance rapide de la démographie mondiale. Cette demande exerce une pression sur les surfaces forestières et donc aussi sur le coût de la matière première que représente la matière ligneuse.

M. Bouthillier a pris la parole en second. Il reprend à son compte l’analyse de M. Lazar, notamment le fait que la solution permettant à l’industrie de s’adapter à la réalité d’aujourd’hui devra être plurielle. Néanmoins, à l’occasion de cette table ronde, M. Bouthillier veut insister sur un point particulier : l’importance des travailleurs pour le développement de l’industrie forestière, un volet social à ne pas négliger.

Il précise qu’entre 2005 et 2010, 100 000 emplois ont été perdus, parmi lesquelles 40 000 représentent des chômeurs de longue durée. Il s’agit donc d’un bilan social désastreux, mais c’est également un manque pour l’industrie, car 25% de la main d’œuvre ne participe pas à l’économie du secteur. Pour passer à l’économie verte, il est nécessaire de miser sur les travailleurs et conséquemment, il faut que ces derniers aient accès aux connaissances. Or, 56% des travailleurs de l’industrie forestière n’ont qu’un secondaire 3, 4 ou 5, et 18% n’ont pas de formation. Or, nombreux sont ceux à vouloir apprendre, mais pour un apprentissage efficace, il faut développer de nouvelles méthodes, car les façons de faire traditionnelles ne fonctionnent pas. L’apprentissage en usine, en particulier, a fait ses preuves et s’avère une des avenues possibles.

En se basant sur des travailleurs bien formés, il sera alors possible de mettre en place les innovations organisationnelles qui permettront d’améliorer les moyens de production et ainsi augmenter la productivité ainsi que le souhaite M. Lazar. Les gains pourraient atteindre 10 à 20% d’économies si on se base sur le document de Michael Hammer « Deep change – How operational innovation can transform your company » (2004). Reste qu’il faut convaincre les dirigeants de l’industrie de la nécessité et des avantages que peuvent procurer ces nouvelles idées.

M. Verreault, le troisième intervenant, représentait l’entreprise Chantier Chibougamau Ltée, que d’aucun considère comme un modèle de développement durable dans l’industrie forestière. Cette entreprise est spécialisée dans la transformation du bois, notamment de l’épinette noire qui représente 80 à 85% des essences d’arbre qui rentrent dans l’usine. Chantier Chibougamau propose des planches et du bois de colombage, notamment pour le secteur résidentiel. La société a été fondée en 1961 par Lucien Fillion. À l’époque, elle comprenait 5 ouvriers. Elle compte aujourd’hui 600 employés et les cinq enfants de M. Fillion se partagent les parts de l’entreprise. Elle reste donc une entité familiale qui est très bien implantée dans sa communauté puisque les enfants sont originaires de la région ainsi qu’une grande partie des ouvriers. Un tel attachement à la région influence les décisions sur l’avenir de l’entreprise et conduit à développer un modèle d’affaire adapté aux réalités locales. C’est sans doute une partie du secret qui conduit cette entreprise à miser sur le développement durable.

Chantier Chibougamau s’est dotée d’une politique de développement durable forestier dont les points majeurs sont : la préservation environnementale, l’équité sociale et l’efficacité économique. Elle est certifiée ISO 14 001 depuis 2003 et est la première entreprise privée en forêt boréale à être certifiée FSC (Forest Stewardship Council). La philosophie de base de l’entreprise est un modèle dont chacun devrait s’inspirer : «  en faire plus avec chaque arbre qui rentre dans l’usine ». Cette ligne directrice influence les orientations de sorte que l’on essaie de tirer le maximum de chaque arbre, du tronc à la cime en passant par les petites tiges (branches) et les résidus. Les sciures et les copeaux par exemple sont utilisés comme combustibles pour alimenter les séchoirs de l’entreprise. De même, des procédés ont été développés afin de trouver des débouchés pour la cime des arbres dont le diamètre est trop faible pour faire des poutres. Cette partie de l’arbre a ainsi été valorisée par sa transformation en lamelles de 1 po x 2 po.

Ainsi que l’explique M. Verreault, l’expérience de Chantier Chibougamau montre que le développement durable n’est jamais achevé, et que l’on ne peut se reposer sur ses lauriers après la mise en place de mesures environnementales. Le développement durable est une continuelle remise en question et une incitation constante à l’innovation ; le développement durable est un projet toujours en développement. M. Verreault ajoute à juste titre que cette vision nécessite également transparence et rigueur de la part de l’entreprise.

L’application rigoureuse des fondements du développement durable permet à l’entreprise d’assumer parfaitement le fait de couper des arbres et de les récolter. Il faut en effet réaliser que la forêt représente une ressource renouvelable tout comme le vent ou le soleil. Utiliser cette ressource est donc en ligne avec le développement durable et cela ne doit pas être une source de « culpabilité », tout comme le fait de tirer les bénéfices économiques du développement durable. Ce dernier implique le « développement » et doit contribuer au bien-être de la population. Le tout est de bien gérer la forêt pour qu’effectivement la ressource arboricole demeure renouvelable et soit préservée pour les générations futures.

En conclusion, l’exemple de Chantier Chibougamau montre une nouvelle fois que économie et environnement peuvent faire bon ménage (voir également l’exemple de InterfaceFlor). Dans son ensemble, la table-ronde a été vivante et instructive. Elle a permis de se faire une idée des grands boulversements que vit et que s’apprête à vivre l’industrie forestière.

Pour finir, notons que cette table ronde, organisée dans le cadre du MBA en développement durable du Département des Sciences de l’Administration, était suivie d’un cocktail et que l’activité complète se voulait carboneutre : les produits de dégustation étaient locaux, ils étaient servis dans de la vaisselle réutilisable et il y aura compensation des GES émis par le transport des participants grâce à la plantation d’arbres. À ce sujet, Jessica Veillet, membre du comité organisateur, nous a donné une information environnementale intéressante : les GES émis lors de cette soirée prendront 5 ans à être captés par les arbres qui seront plantés !

Félicitations aux organisateurs pour cette activité inspirante !

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