Le système économique actuel aggravant la dégradation déjà avancée de l’environnement et ne réduisant ni inégalités ni la pauvreté dans le monde, il doit être radicalement transformé. Dans ce contexte, l’économie sociale (les coopératives, micro-entreprises et associations de travailleurs autonomes) peut apporter une contribution significative. L’économie sociale répond en effet à des besoins de la communauté, place l’intérêt commun en priorité et est très ancrée dans le territoire. Ceux qui y participent ont souvent des moyens de subsistance qui relèvent directement de la nature et ont donc à cœur la protection de leur environnement. L’économie sociale répond donc plus adéquatement que le système actuel aux enjeux sociaux et écologiques auxquels les sociétés font face. Malgré un poids économique pourtant significatif (environ 10% du PIB mondial), l’influence politique de l’économie sociale reste négligeable bien qu’elle tende à s’accroître. Un plus grand rayonnement de l’économie sociale pourrait aider à rendre les sociétés riches soutenables.
Le système socioéconomique actuel n’est pas viable
Les activités humaines sont à l’origine de la dégradation environnementale de la planète, mais notre système socioéconomique, et de façon plus générale notre « culture », influence fortement l’ampleur de cette détérioration. Ainsi, le système économique actuel est-il basé sur une consommation maximale, ce qui accentue les rejets polluants et amplifie la pression exercée par l’être humain sur les habitats et sur les ressources, aussi bien matérielles qu’énergétiques.
Une croyance répandue veut que le développement des populations ne puisse être assuré que par la croissance économique. Cette théorie est erronée, car évidemment sur une planète de dimensions finies, la croissance ne peut perdurer indéfiniment. Le modèle économique actuel, l’économie capitaliste de marché, est basée sur ce mythe de la croissance économique perpétuelle et sur la surconsommation. Les impacts de ce système tant très dommageables pour l’environnement, ils menacent à terme le bien-être des individus et des sociétés. Au demeurant, la dégradation des écosystèmes (océans, forêts, rivières, mangroves, etc.) et du climat ainsi que l’épuisement des espèces vivantes ou des ressources minérales se font déjà sentir fortement.
En plus d’aller à l’encontre des intérêts environnementaux, le système économique actuel n’a pas non plus réussi à réduire la pauvreté dans le monde, la précarité et les inégalités sociales. Au contraire. En plus de la crise écologique, il faut ajouter la crise sociale, les multiples crises économiques et financières des dernières décennies, jumelées à la récente crise de la dette et du chômage en Europe, qui toutes remettent en question le système économique actuel. N’étant clairement pas viable, celui-ci doit être remplacé par une « économie verte » ou économie viable. Dans ce contexte, l’économie sociale peut contribuer significativement à changer de modèle et mettre en place une société soutenable.
L’économie sociale
Le terme d’économie sociale regroupe un pan de l’économie moderne qui est peu ou pas reconnu.1 Il rassemble les coopératives (telle que la Fédération des caisses populaires et d’économie Desjardins), les associations, les mutuelles, les entreprises collectives et l’économie dite « informelle » ou « populaire ».1 Cette dernière, la contribution la plus méconnue de l’économie sociale, est une économie du travail à part entière, très présente dans les pays du Sud. Elle est reconnue par le Bureau international du travail (BIT) depuis 1972. C’est une économie de survie constituée de millions de travailleurs autonomes ou de micro-entreprises dans laquelle on favorise une stratégie d’embauche familiale et qui ne bénéficie d’aucune aide de l’État ni n’est régie par sa réglementation.1
L’économie sociale dans son ensemble est caractérisée par une démocratie d’associés répondant à des besoins de la communauté. Elle se met en place à l’échelle locale et est très ancrée dans le territoire. Les principaux secteurs activités de l’économie sociale sont l’agriculture et le secteur forestier, mais aussi le secteur financier, énergétique ou médical, etc. Elle place l’intérêt commun au cœur de ses activités plutôt que les profits, contrairement aux objectifs du capitalisme.1 Les plus démunis et les plus pauvres ayant souvent des moyens de subsistance qui relèvent directement de la nature,2 les participants de l’économie solidaire ont à cœur la protection de leur environnement. Ces intervenants locaux sont également les mieux placés pour gérer et préserver les écosystèmes. L’économie sociale répond donc plus adéquatement que le système actuel aux enjeux sociaux et environnementaux auxquels les sociétés sont confrontées.
Quelques exemples
Un premier exemple concret d’économie sociale nous est donné par les « mutuelles de solidarité » de Mékhé au Sénégal, une coopérative rurale qui permet d’alimenter en électricité d’origine photovoltaïque les paysans de la région.1 L’accès à l’énergie est un paramètre qui est bien connu pour permettre aux populations des pays en développement de sortir de la pauvreté et d’atteindre rapidement un plus haut niveau de vie.3 Ainsi, l’accès à l’électricité permet aux populations locales sénégalaises d’irriguer leurs propres terres, transformer les produits agricoles, conserver et stocker les aliments, éclairer les rues, etc.
En Belgique, des citoyens se sont regroupés en une dizaine de coopératives représentant 50 000 membres, au sein de la Fédération des associations et coopératives de citoyens pour l’énergie renouvelable.1 Constatant d’une part l’impasse environnementale, et d’autre part la libéralisation du secteur énergétique, le désengagement de l’État, la privatisation des services publics et l’accès inéquitable à l’énergie, des citoyens ordinaires ont décidé de s’alimenter en énergie de source éolienne, biogaz, hydraulique ou photovoltaïque, tout en défendant les intérêts des citoyens dans la transition énergétique.4 Leur vision est d’appliquer les principes de sobriété et d’efficacité énergétique dans le cadre d’un développement durable du territoire. Cette réussite permet aux citoyens de s’approprier les ressources d’énergie renouvelables et d’éviter les spéculations des investisseurs privés. Cet exemple inspirant pour les sociétés riches montre comment l’épargne de la collectivité pouvait atteindre une échelle industrielle et bénéficier à tous.1
Un dernier exemple vient de l’Inde. SEWA (Self Employed Women Association) est à la fois une coopérative, un syndicat et une banque qui regroupe plus d’un million de travailleuses autonomes pauvres, notamment dans le secteur de l’artisanat et du textile.1 Son but principal est d’aider les femmes indiennes à s’assurer de moyens de subsistance viable ainsi que de leur autonomie et leur capacité d’agir.5 SEWA offre un accès plus large au crédit, une aide à la mise en marché des produits et a instauré des institutions pour gérer les processus de marché.1 Parmi ses réalisations, SEWA a donné une rémunération minimale aux rouleuses de bâtons d’encens et de bidis (cigarettes indiennes), une régulation des prix, une convention collective pour les travailleurs indépendants, les vendeurs de rues ont obtenu des emplacements commerciaux, des garderies ont été ouvertes, etc.1
Exercer son pleinement influence
Paradoxalement, alors qu’elle est placée à la marge de l’économie mondiale, l’économie sociale prise au sens large représente près de 10% du PIB, 10% des emplois et 10% de la finance à l’échelle internationale.1 Au niveau des coopératives, elles regroupent 1 milliard de membres dans plus de 90 pays. Les 300 coopératives les plus importantes représentent la dixième économie en importance dans le monde et elles créent 100 millions d’emplois, soit 20% de plus que les multinationales.1 Cette importance ne peut négligée et elle doit être reconnue et valorisée.
Car ce poids économique ne se reflète pas au niveau sociopolitique. L’économie sociale s’est surtout attachée à assurer le développement économique des plus pauvres – et pour cause – et a consacré moins d’énergie à développer son influence politique. Sa contribution économique ainsi que son rôle dans la mise ne place d’une société plus juste et plus écologique ne sont pas non plus reconnus. Un mouvement pour remédier à cette faille est désormais en marche.1 Un des moyens d’y parvenir est de fédérer l’ensemble de ces initiatives. Dans ce contexte, l’Alliance coopérative internationale (ACI), qui regroupe quelques 800 000 coopératives de par le monde, au Nord comme au Sud, exerce son influence pour faire reconnaître le rôle de l’économie sociale dans le monde auprès des grandes des pouvoirs publics et des institutions internationales, notamment auprès des Nations unies.1 Celle-ci soutient pour sa part nombre d’initiatives d’économie populaire et a déclaré 2012 Année internationale des coopératives. Ce n’est pas un hasard.
L’objectif principal est donc de promouvoir une autre économie, une économie dont le profit n’est pas la raison principale qui motive les activités. Il s’agit de garantir un niveau de vie acceptable et l’équité sociale pour le plus grand nombre tout en offrant une alternative soutenable au système économique dominant. Bien que d’autres principes doivent être ajoutés à l’économie sociale pour rendre l’économie mondiale totalement viable, notamment le développement et la systématisation du recyclage, son apport est sans conteste.
Le Forum international des dirigeants de l’économie sociale et solidaire (FIDESS) avait soumis ses doléances auprès des Nations unies à l’approche de Rio+20 en juin 2012. Bien que ne lui accordant pas la place réelle qui lui revient, le Document de résultats de la Conférence, « The Future We Want », mentionne clairement le rôle de l’économie sociale (explicitement celui des coopératives) dans l’éradication de la pauvreté (§ 70) et dans le développement d’emplois « verts » et décents (§ 154).6 C’est peu, mais c’est déjà ça…
Bibliographie
1 Les réflexions, les arguments et les données de cet article sur l’économie sociale sont principalement basés sur le livre « La transition écologique de l’économie – La contribution des coopératives et de l’économie solidaire », Louis Favreau & Mario Hébert (2012) Presse de l’Université du Québec.
2 « Des liens entre l’érosion de la biodiversité et la pauvreté endémique », Planète viable (2012) https://planeteviable.org/liens-erosion-biodiversite-pauvrete-endemique/
3 « Une énergie viable pour toutes et tous » In Compte rendu du Forum sur la science, la technologie et l’innovation pour le développement durable, Thierry Lefèvre (2012) Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société http://www.ihqeds.ulaval.ca/forumicsu.html
4 RESccop, Fédération des associations et coopératives de citoyens pour l’énergie renouvelable en Belgique, www.REScoop.be
5 SEWA, Self Employed Women’s Association, www.wesa.org
6 “The Future We Want”, Nations unies (2012) http://www.un.org/en/sustainablefuture/