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Réchauffement planétaire : le cas du méthane

Le méthane est le deuxième gaz à effet de serre (GES) par sa contribution au réchauffement climatique après le CO2. Sur une période de 100 ans, le forçage radiatif de ce gaz est 25 fois plus élevé que celui du CO2, et sur un horizon de 20 ans, il est 72 fois plus élevé [1,2]. Autant dire que le méthane est GES important, car sa concentration atmosphérique augmente continuellement du fait des activités humaines, et qu’il deviendra un GES d’autant plus critique qu’il pourrait être impliqué dans des boucles de rétroaction climatiques à plus ou moins longue échéance.

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Le cycle du méthane avant la Révolution industrielle

Le méthane, de formule chimique CH4, est le premier GES organique en importance. Son temps de résidence dans l’atmosphère est de 10-12 ans, bien plus courte que celle du CO2. Le méthane est présent naturellement dans l’atmosphère. Les principales sources sont biogènes (c’est-à-dire de source animale ou végétale) et contribuent pour ~ 150 Mt millions de tonnes par an (Mt/an) [4,5]. La principale source est constituée par les tourbières, responsables de l’émission de ~ 109 CH4/an [4,5] du fait de la décomposition de la matière organique immergée dans l’eau [2], c’est-à-dire en conditions anaérobiques. Étonnamment, les termites ont une contribution significative et sont responsables, de par leur digestion [3], de la production de ~ 15 Mt de méthane [4,5] par années. Les océans produisent globalement ~ 11 Mt CH4/an, par l’intermédiaire de bactéries dites méthanogènes, c’est-à-dire des organismes dont le métabolisme forme du méthane en conditions anoxiques [4,5]. Finalement, on attribue aux hydrates (ou clathrates) de méthane – des molécules de méthane emprisonnées dans une « cage » constituées de molécules d’eau, la libération par dissociation de ~ 8 Mt CH4 /an [4,5], mais cette valeur n’a pas été confirmée [5] de sorte que l’on considère parfois les hydrates de méthane ni comme un puits ni comme une source [7].

Methane Tableau Émissions naturelles
Tableau 1. Émissions et déplétions du méthane avant l’ère industrielle. Source : [4] (d’autres sources plus récentes ont revu ces valeurs à la hausse, voir référence [11]).

Tableau 1. Émissions et déplétions du méthane avant l’ère industrielle. Source : [4] (d’autres sources plus récentes ont revu ces valeurs à la hausse, voir référence [11]).

Le principal puits de méthane est constitué par le radical hydroxyle (OH) troposphérique qui est très réactif et qui oxyde ~ 111 Mt CH4/an selon la réaction :

CH4 + OH → H2O + CH3.

Les autres puits sont l’absorption et l’oxydation par des bactéries présentes dans le sol (~ 23 Mt CH4/an), et le transfert et l’oxydation dans la stratosphère (~ 9 Mt CH4/an).

Si on établit un bilan, il apparaît que les déplétions de méthane par les différents puits compensent au cours du cycle biogéochimique du méthane les émissions par les sources naturelles, de sorte que dans un contexte préindustriel, le méthane atmosphérique variait relativement peu. La situation a changé avec l’intensification et l’empreinte écologique élevée des activités humaines.

Émissions de méthane en fonction du temps

Comme le montre la Figure 1, au cours des 650 000 dernières années, la concentration de méthane atmosphérique a fluctué et est restée confinée entre 320 et 790 parties par milliards en volume (ppbv) [1]. Au cours des derniers 10 000 ans, elle a varié entre 500 et 750 ppbv. Les 150 dernières années, sont marquées par une augmentation extraordinairement rapide.

Methane concentrations over time
Figure 1. Variation de la concentration atmosphérique globale de méthane : à gauche au cours des 650 000 dernières années ; à droite, au cours des 10 00 dernières années. Source : [8].
Les émissions naturelles de méthane sont plus élevées dans l’hémisphère nord que dans l’hémisphère sud car on y retrouve la plus grande part des tourbières. Les émissions sont de plus déphasées dans les deux hémisphères, le maximum des émissions de l’hémisphère nord ayant lieu à la fin de l’automne/début de l’hiver, celles de l’hémisphère sud étant maximales 8-9 mois plus tard. La concentration atmosphérique de méthane montre en effet des variations saisonnières du fait que la production de radical hydroxyle de l’atmosphère résulte de processus photochimiques, donc de l’ensoleillement [2,9].

Il est à noter que si la concentration de méthane augmente, la concentration d’hydroxyle diminue, réduisant ainsi sa capacité à éliminer le méthane [7]. Le monoxyde de carbone (CO), qui résulte de l’oxydation du méthane par OH ou de l’émission par la combustion de sources d’énergie fossile, réduit également la concentration du radical hydroxyle atmosphérique.

Concentration de méthane atmosphérique

À l’aube de la Révolution industrielle, la concentration totale de méthane dans l’atmosphère était de 715 ppbv. Depuis lors, la concentration a augmenté de 260 % pour atteindre aujourd’hui 1820 ppbv (Figure 1). Les émissions naturelles ne représentent plus que 40 % du total, les activités humaines représentant le 60 % restant.

Depuis 1750, la contribution du méthane au forçage radiatif compte pour ~ 18 % de celui de l’ensemble des GES [8]. Aujourd’hui, le forçage radiatif du méthane est de ~ 1 W/m2, comparé à 1,7 pour le CO2. À titre indicatif, le forçage radiatif total des GES est évalué à 3,0 W/m2. Si on prend en compte l’ensemble des produits libérés dans l’atmosphère par les activités humaines, y compris ceux qui ont un forçage radiatif négatif, le forçage radiatif global est de 2,3 W/m2.

Les sources anthropogéniques de méthane sont l’exploitation des combustibles fossiles, l’élevage et l’agriculture, l’enfouissement des déchets et la combustion de biomasse [7]. Sur la période 2000-2009, l’exploitation et la combustion représente autour de 100 Mt CH4/an [11]. L’élevage d’animaux conduit à l’émission d’environ 90 Mt CH4/an [11]. L’agriculture, notamment la culture du riz, produit du méthane, car il s’agit d’une culture dans l’eau (en conditions anoxique) par un processus similaire à ce qui se passe dans les tourbières. Elle contribue à hauteur de ~ 36 Mt CH4/an [11]. La décomposition des déchets des sociétés et des rejets humains produisent quant à eux environ ~ 75 Mt CH4/an [11].

La concentration de méthane dans l’atmosphère augmente continument depuis l’ère industrielle. La Figure 2 illustre l’évolution récente entre 1985 et 2013. On peut constater que le rythme des émissions a commencé à plafonner vers la fin des années 80 et qu’un plateau a marqué la concentration atmosphérique de méthane entre ~ 2000 et 2006. Cette stagnation a longtemps intrigué les scientifiques. Une étude récente [12] suggère qu’elle puisse être due en grande partie à une réduction des émissions dans le secteur des énergies fossiles, mais non pas du fait d’un ralentissement de leur combustion ; elle résulterait plutôt d’une diminution des émissions aux sites mêmes d’exploitation. Il s’agit donc d’un ralentissement de la libération dans l’air de méthane et d’éthane, d’une diminution des fuites et de la combustion au-dessus des puits de forage.

Émissions méthane 1980-2010
Figure 2. Concentration globale de méthane atmosphérique en fonction du temps. Source référence [10].
Phénomènes de rétroaction impliquant le méthane

Les hydrates de méthane sont emprisonnés dans les sédiments marins et dans le pergélisol aux hautes latitudes. Ils contiennent la plus grande part du méthane de la planète et représentent 53 % de tous les combustibles fossiles sur Terre [7]. Ces hydrates de méthane sont stables dans certaines conditions de pression et de température. Ainsi, au-dessus d’une certaine température, les clathrates sont susceptibles de libérer d grandes quantités de molécules de méthane [6].

Ainsi, le réchauffement planétaire libère progressivement du méthane par fonte du pergélisol, qui à son tour accentue le réchauffement mondial, qui lui-même libère davantage de méthane [5, 13]. C’est ce que les scientifiques appellent une boucle de rétroaction positive : le méthane entretient sa propre libération du sous-sol par le réchauffement que lui-même provoque. Si le se sol gelé fondait du fait du réchauffement dus à l’ensemble des GES, le méthane pourrait alors accélérer le réchauffement mondial indépendamment des activités humaines et tout à fait hors du contrôle de l’humanité. Néanmoins, et quoique le phénomène soit bien établi dans ses principes, le seuil et l’amplitude de cette rétroaction sont pour l’instant incertains [5, 13] voire controversés [14].

Une autre boucle de rétroaction impliquant le méthane pourrait également contribuer au réchauffement mondial. En effet, le méthane est éliminé en bonne partie par sa réaction avec le radical hydroxyle OH (voir ci-dessus). Mais si la concentration de méthane augmente, la concentration du radical tend à diminuer, ce qui diminue sa capacité à oxyder le méthane, augmentant ainsi la concentration de méthane, qui à son tour fait diminuer la concentration de OH, etc. [15].

Conclusion

Le méthane est naturellement présent dans l’écosphère. Les activités humaines en génèrent de grands volumes, mais le méthane est un gaz dangereux si sa concentration atmosphérique s’éloigne de la teneur naturelle. Bien que controversé, une ou des rétroaction(s) des processus impliquant le méthane risquent en effet d’affecter un peu plus le réchauffement planétaire. Qu’une telle boucle entre en action et le climat pourrait quitter l’équilibre relatif qui a caractérisé l’Holocène, et s’emballer. L’humanité ne peut tout simplement pas se permettre de garder cette épée de Damoclès au-dessus de la tête et doit mettre en œuvre tous les efforts pour qu’un tel phénomène ne se mette pas en action.

Bibliographie

[1] Climate Changes 2007, The Physical Science Basis, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (2007) Cambridge University Press.
[2] Greenhouse Gases and Other Atmospheric Gases, Methane (chp. 4), Japan Meteorological Agency (2012) http://ds.data.jma.go.jp/gmd/wdcgg/pub/products/summary/sum36/sum36.pdf ou http://ds.data.jma.go.jp/gmd/wdcgg/pub/products/summary/sum36/16_04ch4.pdf
[3] Corinne Rouland, Les mécanismes de production de méthane par les termites en forêt tropicale, Revue de l’Office pour les insectes et leur environnement (1995) 99 23-25, Institut National de Recherche Agronomique, http://www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/i99rouland.pdf
[4] Fred MaKenzie, Our Changing Planet, 4e Éd. (2011) Prentice Hall.
[5] Dlugokencky et al., Global atmospheric methane: budget, changes and dangers, Phil. Trans. R. Soc. A (2011) 369 2058–2072 doi: 10.1098/rsta.2010.0341
[6] Ruppel, C. D., Methane Hydrates and Contemporary Climate Change. Nature Education Knowledge (2011) 3 29 http://www.nature.com/scitable/knowledge/library/methane-hydrates-and-contemporary-climate-change-24314790
[7] Climate Science of Methane, in Methane UK, Chp. 2, University of Oxford, http://www.eci.ox.ac.uk/research/energy/methaneuk.php
[8] Atmospheric Concentrations of Greenhouse Gas, Climate Change Indicators in the United States, United States Environmental Protection Agency (EPA), http://www.epa.gov/climatechange/science/indicators/ghg/ghg-concentrations.html
[9] The Hydroxyl Radical, Climate Changes 2007, The Physical Science Basis, Section 7.4.5, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (2007) Cambridge University Press http://www.ipcc.ch/publications_and_data/ar4/wg1/en/ch7s7-4-5.html
[10] The State of Greenhouse Gases in the Atmosphere Using Global Observations through 2012, World Meteorological Organization http://www.wmo.int/pages/prog/arep/gaw/ghg/ghg9-en-online.html
[11] Methane budget 2013, Global Carbon project http://www.globalcarbonproject.org/methanebudget/index.htm
[12] Methane mystery resolved: Long-term atmospheric record shows likely cause of recent stabilization, Institute of Arctic and Alpin Research (INSTAAR) http://instaar.colorado.edu/news-events/instaar-news/methane-mystery-resolved-long-term-atmospheric-record-shows-likely-cause-of/ ; Isobel Simpson et al., Long-term decline of global atmospheric ethane concentrations and implications for methane Nature (2012) 490 488 (doi:10.1038/nature11342) http://www.nature.com/nature/journal/v488/n7412/full/nature11342.html
[13] Sergey Zimov et al. Permafrost and the Global Carbon Budget Science (2006) 312 1612 (doi:10.1126/science.1128908) https://www.sciencemag.org/content/312/5780/1612.short ;
[14] Xiang Gao et al. Permafrost degradation and methane: low risk of biogeochemical climate warming feedback Environ. Res. Lett. (2013) 8 035014 (doi:10.1088/1748-9326/8/3/035014) http://iopscience.iop.org/1748-9326/8/3/035014/
[15] Ivar Isaksen et al., Strong atmospheric chemistry feedback to climate warming from Arctic methane emissions Global Biogeochem. Cycles (2011) 25 GB2002 (doi:10.1029/2010GB003845) http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1029/2010GB003845/abstract

 

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