L’évaluation de l’empreinte environnementale des nations est essentielle pour déterminer de manière équitable les contributions nationales à la réduction de l’impact anthropique. Différents indicateurs sont utilisés en basant le calcul sur la production (exportations) ou sur la consommation (importations). Cette question soulève l’enjeu de la responsabilité des impacts environnementaux, du partage des ressources et du fardeau de la réduction des crises écologiques, notamment celui des changements climatiques.
Les indicateurs d’impact environnemental
L’impact des sociétés se manifeste de différentes façons : prélèvements de ressources (minerais, hydrocarbures, eau, biomasse), utilisation de territoires, et rejets/polluants (marins, continentaux ou atmosphériques). Pour mesurer cet impact, on utilise la notion « d’empreinte ». Il en existe différents types.
L’empreinte écologique, par exemple, représente la superficie de territoire nécessaire à une société ou un pays pour assurer sa production et sa consommation (ressources, énergie, alimentation), et pour assimiler ses rejets. On peut appliquer cette notion au résident d’un pays donné. Dans ce cas, à son empreinte propre, on ajoute l’empreinte moyenne des services et des infrastructures dont ce résident bénéficie au sein de sa société. On peut même étendre ce concept au nombre de planètes Terre qu’il serait nécessaires d’occuper pour répondre aux besoins d’une humanité hypothétique vivant selon le mode de vie de tel pays ou de telle société. C’est ce que fait par exemple le Global Footprint Network.
Un ensemble d’autres indicateurs sont également calculés afin de caractériser plus en détail des impacts particuliers : utilisation d’eau, utilisation de ressources (organiques et/ou inorganiques), émissions de CO2. Dans ce dernier cas, un indicateur est tout particulièrement requis pour négocier de manière équitable les réductions de GES dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
L’évaluation des quantités de ressources naturelles utilisées par un État et des quantités de polluants qu’il émet a des conséquences éthiques. Il existe en effet de grandes disparités selon les pays. Certains polluants, ayant des effets sur l’ensemble des Terriens, les GES en tête, il est nécessaire d’évaluer le niveau de responsabilité de chacun.
De même, les ressources non renouvelables étant finies, un juste partage des ressources est inévitable, ce qui nécessite un inventaire de leur utilisation par les différents pays. On pourrait ainsi imaginer que la responsabilité financière de la dépollution des « continents de plastique » puisse être attribuée au prorata de l’utilisation de polymères, présente et passée, par les différentes nations.
Les indicateurs de producteur
Comme indicateur, on répertorie souvent les quantités de ressources naturelles extraites ou de matières rejetées à l’intérieur des frontières territoriales d’un État. Un tel indicateur est qualifié de « territorial », « national » ou « intérieur » (domestic), par exemple les extractions intérieures de minerais. Comme une partie des matières intérieures sont exportées, ce type d’empreinte représente plutôt l’aspect « producteur » d’un pays.
Si ce critère a une certaine rationalité puisqu’il concerne les activités directes d’un État, il néglige un aspect important : le fait que les échanges commerciaux sont mondialisés et que la part des exportations et des importations est loin d’être négligeable face aux activités territoriales. Or, l’importation de biens doit responsabiliser les pays qui y ont recours puisqu’elle contribue à leur consommation.
Or, il est bien connu que, plus que les autres, la consommation des pays développés repose de manière significative sur leurs importations, notamment en provenance de l’Asie. Autrement dit, on a vu au fil du temps la pression environnementale des pays développés être partiellement transférée chez les pays émergents.
Pour rendre compte de cette réalité, un autre indicateur a été développé en ce qui a trait à l’utilisation de matière : aux extractions nationales (ou intérieures) de matières, on ajoute les biens qui sont physiquement importées et on soustrait ceux qui sont physiquement exportées. On parle alors de consommation matérielle intérieure.
Bien que le bilan se rapproche alors de la réalité de l’utilisation de matières en tenant compte des échanges commerciaux, elle néglige un point crucial : le fait que la production des biens matériels demande beaucoup plus de matériaux que ceux qui constituent physiquement ces biens. Par exemple, pour extraire les minerais d’une mine, il faut des infrastructures routières et de la machinerie, ce qui nécessite des matériaux supplémentaires.
Les indicateurs de consommateur (empreinte)
Cette contribution des matières qui ne traversent pas les frontières n’est pas négligeable. Au contraire, elle est souvent plus importante que la contribution des matières qui forment les biens échangés. De la même manière, les biens physiquement importées/exportées n’incluent pas l’eau et les GES qui ont été nécessaires à leur extraction et leur production. Dans le domaine de l’eau douce, on parle d’eau virtuelle.
Par suite, afin de mieux refléter les transferts réels d’impact environnemental, d’autres indicateurs ont été définis. Ils incluent ces impacts « virtuels » incorporés dans les importations et excluent ceux incorporés dans les exportations. Ce type d’indicateur renvoie la responsabilité de l’impact sur les consommateurs (importateurs). C’est ce type d’indicateur que l’on nomme « empreinte » à proprement parlé : empreinte carbone (émissions de CO2), empreinte matérielle (utilisation de matières) et empreinte hydrique ou empreinte eau (utilisation d’eau). Autrement dit, l’empreinte d’un impact donné s’écrit :
Empreinte de l’impact = Impacts intérieurs (ou territoriaux) – Impacts incorporés dans les exportations + Impacts incorporés dans les importations
Les indicateurs spécifiquement territoriaux et ceux qui n’incluent pas les impacts « virtuels » renvoient la responsabilité d’un impact sur les producteurs (exportateurs) [1]. Ce sont ceux utilisés par la CCNUCC pour évaluer les émissions de GES ou par les États pour évaluer les quantités de matières qu’ils utilisent et pour déterminer si l’objectif de découplage entre l’impact environnemental et la richesse est atteint. Cependant, l’évaluation du découplage dépend du type d’indicateur que l’on utilise.
Les figures ci-dessous illustrent la différence d’impact pour le Canada, la Chine et les États-Unis selon que l’on utilise un indicateur strictement territorial (Int.), un indicateur basé sur la production (Prod.) ou sur la consommation (Cons.). On l’applique à l’utilisation de matière (en 2016) et aux émissions de CO2 (en 2004). La comparaison est décrite en valeurs brutes (à gauche) et per capita (à droite).
On constate que l’empreinte carbone et l’empreinte matérielle du Canada et des États-Unis est supérieure à l’empreinte basée sur la production (sauf pour les émissions de CO2 du Canada). C’est l’inverse pour la Chine. On voit sans surprise que les indicateurs calculés per capita sont plus grands pour le Canada et les États-Unis que pour la Chine.
La responsabilité de l’empreinte environnementale
Le débat actuel consiste ainsi à évaluer si les pays sont majoritairement importateurs ou exportateurs. Les pays développés (États-Unis, Canada, Europe, Japon) sont essentiellement des importateurs, de sorte que leur impact a été déplacé dans les pays exportateurs (pays émergents surtout). Le terme de « fuite » de CO2 a ainsi été utilisé dans la littérature scientifique pour décrire ce phénomène [2] mais il a été récemment contesté [3].
La responsabilité qui incombe aux pays majoritairement importateurs ne doit cependant pas déresponsabiliser les pays principalement exportateurs. En tant que producteurs, ils tirent également des bénéfices économiques de leurs exportations et ont aussi la responsabilité de réduire leur impact.
Cependant, les pays développés ont aussi une responsabilité historique dans l’empreinte environnementale. Par conséquent, les indicateurs doivent tenir compte de cette réalité : ils doivent comptabiliser une période de temps représentative et pas seulement l’année en cours [4]. Donc, si la détérioration environnementale est une responsabilité partagée, elle ne l’est pas de manière indifférenciée.
Au-delà de la responsabilité des différents États et des questions éthiques, il faut considérer de manière globale le « poids » environnemental du commerce international. Celui-ci est très conséquent puisqu’à lui seul il représentait environ 29 gigatonnes (29.109 t = 29 Gt) de matières utilisées en 2008 (soit 41 % de toutes les matières prélevées), un volume d’eau douce d’environ 1762 km3/an sur la période 1996-2005 (soit 19% de la consommation d’eau douce totale) et de un quart à un tiers des émissions de CO2 [5].
Bibliographie
[1] Il se trouve que la consommation matérielle intérieure est souvent proche des extractions intérieures. Voir T. Wiedmann et al. The material footprint of nations Proc Nat. Acad Sci USA 112 (2015) 6271–6276
[2] G. Peters et E. Hertwich CO2 Embodied in International Trade with Implications for Global Climate Policy Envir Sci Technol 9 (2008) 1401-1407 https://pubs.acs.org/doi/10.1021/es072023k
[3] A. Franzen et S. Mader Consumption-based versus production-based accounting of CO2 emissions: Is there evidence for carbon leakage? Envir Sc Policy 84 (2018) 34–40 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1462901118300200
[4] A. Mayer, W. Haas et D. Wiedenhofer How countries’ resource use history matters for human well-being – An investigation of global patterns in cumulative material flows from 1950 to 2010 Ecol Econ 134 (2017) 1–10
[5] T. Wiedmann Impacts Embodied in Global Trade Flows In Taking Stock of Industrial Ecology (chp 8), Eds. R. Clift & A. Druckman Springer (2016) 159-180 https://www.springer.com/us/book/9783319205700