Adoptée en 1992, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a entre autres comme objectif d’éviter « toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique » (Nations Unies, 1992)(1). Pour informer décideur.euse.s et citoyen.ne.s de ces risques, des données aussi fiables que possible sont requises. Il faut donc quantifier les effets biogéophysiques que le réchauffement planétaire induit et induira, par exemple la montée du niveau des océans, et déterminer si certains phénomènes peuvent devenir irréversibles. Or, si les liens entre émissions de GES et réchauffement sont bien établis et les tendances globales bien connues, la variabilité naturelle du climat masque l’évolution des processus et limite les prévisions. D’autres incertitudes viennent d’un manque de connaissance détaillée des mécanismes biogéophysiques en cours et de la nécessité d’inclure dans les modèles divers scénarios hypothétiques d’émissions anthropiques.
Malgré les incertitudes et la complexité du système-Terre, les observations montrent des modifications progressives de certains processus planétaires comme la fonte de la banquise du Groenland. Des modèles suggèrent que ces processus pourraient devenir irréversibles ou s’emballer à partir de certains seuils critiques. Des scientifiques avancent que c’est le climat mondial lui-même qui pourrait changer radicalement et irréversiblement. Dans cet article, nous abordons ces risques et nous présentons les éléments de réponse à la question : est-il trop tard pour éviter des bouleversements climatiques ?
Processus planétaires et basculement
Le réchauffement des basses couches de l’atmosphère a diverses répercussions sur la circulation atmosphérique et océanique, sur la cryosphère et sur les biomes. On assiste ainsi à des modifications des régimes de précipitations, un déplacement vers le nord de la trajectoire des cyclones et un affaiblissement du courant dans l’Atlantique (IPCC, 2013)(2). La cryosphère est soumise à un dégel progressif, notamment le pergélisol, les glaciers montagneux, la mer de glace Arctique, et les inlandsis (glaciers continentaux) de l’Ouest de l’Antarctique et du Groenland. Enfin, les écosystèmes et les espèces sont affectés par le réchauffement, en particulier les barrières de corail ou la forêt amazonienne ou boréale. On appellera processus planétaires*1 les phénomènes à large échelle altérés par le réchauffement anthropique.
Prenons l’exemple de la circulation océanique dans l’Atlantique. Celui-ci est parcouru du sud au nord par un immense courant chaud de surface, qui plonge à des latitudes élevées où il s’enfonce dans les profondeurs, repart en sens inverse vers le sud, puis remonte dans l’hémisphère sud pour fermer une boucle appelée circulation océanique thermohaline. Dans sa portion méridionale, la stabilité de ce courant dépend fortement des froides températures nordiques et de la présence d’une forte salinité qui rend l’eau plus dense et le fait s’enfoncer par gravité dans les fonds marins. Le terme thermohaline réfère à l’origine motrice du processus qui est dû à la température (thermo) et à la salinité (haline).
Ce processus est influencé par le réchauffement particulièrement prononcé des régions nordiques qui tend à l’affaiblir. Aussi, les déversements d’eau douce résultant de la fonte progressive de l’inlandsis du Groenland et de la mer Arctique « allègent » l’eau salée, réduisant davantage le flux d’eau océanique. La circulation en Atlantique méridional semble ainsi s’être affaiblie au cours du 20e siècle et continuera de le faire au 21e siècle si les émissions de GES se poursuivent (Steffen et al., 2018 (3); IPCC, 2019(4)). Ultimement, la circulation pourrait s’arrêter de manière abrupte, une éventualité néanmoins très improbable avant 2100.
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Glossaire
Basculement
Transformation abrupte d’un processus planétaire*, le faisant passer d’un régime de fonctionnement, ou état, à un autre. Ce mécanisme peut aussi s’appliquer au climat lui-même. Le point de basculement correspond à la température planétaire à partir de laquelle se produit une transformation abrupte. Le phénomène de basculement est souvent lié au déclenchement d’une boucle de rétroaction*. Les principaux processus planétaires susceptibles de suivre un mécanisme de basculement sont représentés à la Figure 1.
Hystérésis
Caractère partiellement irréversible* d’une transformation dont l’inversion nécessite que la contrainte qui l’a causée soit renversée avec une plus grande ampleur que celle qui a permis la transformation.
Irréversible
1) Se dit d’un phénomène qui ne peut être renversé.
En termes climatiques, la réversibilité sous-tend qu’une transformation induite par le réchauffement anthropique puisse être inversée par une diminution de la température planétaire. Un tel scénario semblant irréaliste pour notre civilisation, la majorité des processus planétaires transformés par le réchauffement anthropique semblent irréversibles à l’échelle de temps de notre civilisation.
2) Se dit d’un phénomène qui est irrépressible (qui atteint un point de non-retour).
Certains phénomènes pourraient ne plus pouvoir être arrêtés à partir d’un certain niveau de réchauffement planétaire, par exemple la fonte de la banquise. Du fait de l’inertie climatique, même si l’humanité arrêtait du jour au lendemain ses émissions de GES, la température augmenterait encore un peu, rendant certains processus potentiellement irrépressibles.
Processus planétaire
Phénomène ou système naturel d’ampleur régionale ou continentale qui est transformé ou déclenché par le réchauffement anthropique. Citons par exemple les régimes de précipitations, les courants atmosphériques et océaniques, les barrières de corail, la forêt amazonienne ou boréale, et le dégel du pergélisol, des glaciers montagneux, de la mer de glace Arctique, et des inlandsis de l’Ouest de l’Antarctique et du Groenland.
Rétroaction ou boucle de rétroaction
Mécanisme par lequel un processus a tendance à s’auto-atténuer (rétroaction négative) ou s’auto-amplifier (rétroaction positive). Dans une rétroaction négative, la réponse du processus atténue la contrainte qui en est la cause, ce qui a tendance à garder le processus à l’équilibre. Dans une rétroaction positive, la réponse du processus amplifie la contrainte qui en est la cause, ce qui a tendance à accélérer l’évolution du processus.