Cet article est paru le 28 mars 2020 dans le journal Le Soleil
Lettre ouverte à monsieur le Premier ministre François Legault
La pandémie de la COVID-19 prouve à quel point le leadership gouvernemental est important en temps de crise. Comme beaucoup de Québécois, j’ai remarqué en ces temps d’urgence sanitaire votre diligence, celle de votre gouvernement, de vos conseillers-experts et celle de la santé publique pour gérer cette crise. Beaucoup applaudissent la capacité d’anticipation dont vous avez fait preuve. « Gouverner, c’est prévoir », dit la maxime. Vous l’illustrez en les circonstances et au nom de tous je vous en remercie.
Rarement dans l’histoire récente, nous n’avions eu l’occasion de voir à la fois autant de fermeté et de bienveillance, d’envergure et de transparence dans la mise en place de mesures gouvernementales. La situation l’exigeait. Heureusement, vous basez votre action sur la science. Vous exhortez la population à se comporter en citoyens responsables et à être solidaires face à la crise, en demandant de ne pas contaminer les autres, de se rapprocher de nos aînés et de donner du sang ou en sollicitant d’anciens employés du secteur de la santé.
Dans ces moments critiques, vous essayez de ne pas laisser en chemin les plus vulnérables et ceux qui sont particulièrement touchés par la crise, notamment les foyers à faible revenu, les sans-abris, les individus souffrant de maladie mentale, les chômeurs. Comme au fédéral, vous avez promptement débloqué des sommes d’argent considérables pour aider les particuliers et les entreprises à passer à travers cette difficile et durable pause économique.
L’ampleur de vos actions est impressionnante. Il est néanmoins frappant de constater que toutes les mesures que vous mettez en place de manière temporaire, les écologistes les réclament depuis des années pour l’urgence environnementale, notamment l’urgence climatique. Pour eux, la détermination dont vous faites preuve en ce moment fait rêver !
Faisant montre depuis son élection d’une encourageante faculté d’ajustement, votre gouvernement semble intégrer graduellement les enjeux environnementaux. Mais vos politiques précédant la crise de la COVID-19 laissent penser que l’urgence climatique et écologique n’a pas acquis un caractère si impérieux à vos yeux. La pandémie doit aujourd’hui capter toute notre attention. Mais, comme vous le dites vous-mêmes « c’est temporaire » et plus tôt que tard, il faudra nous atteler à d’autres impératifs très sérieux.
La « pause » économique et la contraction qui l’accompagne représentent une catastrophe pour nombre d’entre nous, mais aussi une opportunité collective unique. Nombre de citoyens se demandaient comment freiner, voire arrêter le système actuel et instaurer une économie qui soit enfin assujettie aux contraintes écologiques. À quelque chose malheur est bon, le temps semble être venu. Profitons de l’opportunité que représente ce coup d’arrêt pour créer un système qui initie la transition écologique et transforme nos façons de faire délétères pour la nature et nous-mêmes, et qui bénéficie à tous les Québécois ainsi qu’aux générations futures.
Un nombre croissants d’études montrent que les dégradations environnementales comme les émissions de GES sont principalement dictées par la croissance du PIB. Il était impossible de dématérialiser l’économie dans le système d’avant-crise, c’est la conclusion logique de nombre de scientifiques. Cette « pause » est l’occasion de repenser notre système socioéconomique en profondeur et se libérer de cette croissance continue, principale source de nos maux. Nous n’avons au mieux que quelques décennies pour accomplir cette mission collective, l’aide des scientifiques de toutes les disciplines nous sera très précieuse. Ne vous laissez pas berner par les sirènes du (potentiel) rebond économique et ensemble soyons créatif !
Les scientifiques confirment que l’électrification des transports ou le recours à la technologie sont insuffisants pour atténuer la transformation du climat. La transition écologique requerra des changements sociétaux d’envergure : une réforme de la gouvernance pour se fixer des cibles sociales et écologiques appropriées et inaltérables ; une réforme de l’économie et des modes de production et de consommation pour les rendre compatibles avec les limites planétaires ; une réforme de l’agriculture faisant en sorte qu’elle enrichisse la biodiversité et les sols tout en absorbant du CO2 plutôt que l’inverse ; un changement de culture pour modifier la perception que c’est le bien matériel qui assure le bonheur.
La société vous écoute et vous suit en grande partie. Voyez comme elle applique vos recommandations et s’est unie autour de vos appels. C’est à une mobilisation remarquable à laquelle nous assistons : les banques, les fournisseurs d’internet, de téléphone et de réseaux câblés, les musées, Hydro-Québec, les distilleries, les couturières, tous offrent des services ou suppriment des pénalités. Cette mobilisation presque inconditionnelle vous donne une grande responsabilité, ne trouvez-vous pas ?
Comme pour la pandémie, l’anticipation est cruciale pour le climat : les actions prises en amont sauveront des vies et des emplois. Alors, comme M. Arruda l’a dit, « je vous en supplie », quand le calme sera revenu après cette tempête pandémique, ne négligez pas le tsunami social et économique qu’engendreront la détérioration du climat et des écosystèmes. Votre gouvernement à la capacité d’intégrer cette nécessité à sa démarche. Soyez visionnaire monsieur Legault, nous vous suivrons !
Comme j’aimerais vous voir assis prochainement faisant le point sur la situation écosociale et l’urgence environnementale avec à votre droite, un expert de la trempe de Jérôme Dupras, professeur en économie écologique à l’UQO, et à votre gauche, une conseillère de la trempe de Caroline Halde, professeure en agroécologie à l’Université Laval !