Ou comment une entreprise peut atteindre une empreinte écologique nulle.
Cet article présente une entreprise exemplaire qui illustre parfaitement que le développement durable n’est pas un obstacle à l’essor d’une entreprise, mais au contraire, qu’il est avantageux économiquement.
Le 18 novembre dernier a eu lieu au pavillon Palasis-Prince de l’Université Laval, une conférence de Claude Ouimet, vice-président sénior et directeur général d’InterfaceFLOR au Canada et en Amérique latine. Cette conférence était organisée par la Faculté des Sciences de l’Administration, notamment par Olivier Boiral, Professeur au département de management. Il est à souligner que l’organisation a posé des gestes concrets pour minimiser l’impact de la conférence. Félicitations pour cet effort utile et important !
C’est un conférencier inspirant et inspiré qui s’est présenté devant son auditoire. M. Ouimet a présenté avec enthousiasme comment la société Interface a pris le virage vert et comment elle tend à rendre nulle son empreinte écologique dans l’ensemble de ses activités. Cette conférence passionnante nous a en fait résumé les fondements de la démarche environnementale et nous a rappelé pourquoi cette démarche est incontournable.
L’épopée d’Interface en développement durable commence en 1994 quand le fondateur de l’entreprise, M. Ray Anderson, prend conscience de l’importance de la diminution de son empreinte écologique à la lecture du livre « the Economy of Commerce » de Paul Hawken. On peut dire que cet ouvrage a eu l’effet d’un raz-de-marée sur M. Ray Anderson, et par suite, sur son entreprise, Interface. En effet, à partir de cette prise de conscience, Interface et ses employés, ont totalement changé leurs pratiques de production et de gestion. Et bien leur en a pris, car non seulement Interface a aujourd’hui une empreinte écologique réduite (son objectif est d’atteindre une empreinte nulle en 2020), mais en plus ses bénéfices ne cessent d’augmenter. Son exemple prouve que le développement durable représente un avantage économique certain et que toute entreprise est capable de suivre ses traces (voir le site Internet de Interface).
Changer notre manière d’être et de penser
M. Ouimet a parfaitement illustré le changement de société que nous devons tous opérer chacun à notre niveau, une conversion sociétale inéluctable que beaucoup ont commencé à mettre en œuvre et dont on espère une généralisation dans toutes les sphères de la société très bientôt. C’est ce chemin qu’a suivi l’entreprise Interface. M. Ouimet rappelle que pour ceux qui sont un tant soit peu clairvoyants, ce qui compte maintenant, ce n’est plus combien il va en coûter de prendre le virage du développement durable, c’est combien il va en coûter de ne rien faire. La première voie est archaïque et dépassée. Le monde moderne (encore minoritaire) est déjà rendu ailleurs, car la situation planétaire l’exige. Mais pour réussir l’aventure environnementale, il ne suffit pas d’agir selon les règles du développement durable simplement « parce qu’il faut le faire », il faut en être convaincu. M. Ouimet cite cette phrase très à propos : « the beginning of wisdom is the recognition and the acceptance of the reality » (le commencement de la sagesse commence par la reconnaissance et l’acceptation de la réalité). Donc, changer ses pratiques ne suffit pas, il faut absolument et complètement changer sa manière de penser.
Comme le souligne M. Ouimet, il faut avoir un esprit ouvert, sans idées préconçues et avoir une vue d’ensemble. Nous devons faire table rase des vieilles façons de fonctionner et repenser totalement nos façons de faire, car les pratiques actuelles ne sont pas viables. Au fond, ce qu’il faut réellement changer, c’est « l’essence de qui nous sommes » ; l’environnement suivra alors tout seul. Par exemple, nous devons arrêter de croire qu’avoir de beaux souliers ou une belle voiture fait de nous de meilleures personnes. Finalement, prendre le virage demande du courage. M. Ouimet pose ainsi la question : « allez-vous avoir le courage de changer vos habitudes ou allez-vous attendre d’être obligé de le faire ? »
Le cas d’Interface, ses actions pour réduire son empreinte écologique
Interface produit des tapis modulaires. Pour réduire son empreinte écologique, l’entreprise a d’abord mis en place des indicateurs pour les quantifier. Elle s’est ensuite attaquée à l’ensemble des facteurs qui ont des impacts négatifs sur l’environnement, de la conception à la livraison, en passant par la production et la gestion de l’entreprise. Citons quelques exemples concrets :
- Réduction des déchets (avec une réduction substantielle des coûts qui y sont associés !). L’entreprise génère 78% moins de déchets solides qu’en 1994 !
- Réduction des rejets des usines (élimination des cheminées)
- Utilisation d’énergies renouvelables. Le coût de ces énergies est de 6 à 8% plus élevé que pour les énergies basées sur la combustion de carburants fossiles, mais cela est négligeable par rapport au 68% d’économie que l’entreprise fait par ailleurs ! L’entreprise alimente notamment une succursale en électricité grâce à la valorisation de gaz issus de la décomposition de matières résiduelles d’un site d’enfouissement (d’ailleurs, sous l’impulsion de l’entreprise, tout le parc industriel en bénéficie). Résultat : la durée de vie du site a été accrue de 15 ans ! Utilisation de l’eau en circuit fermée dans certaines succursales. Pour l’ensemble de l’entreprise, on utilise aujourd’hui 72% moins d’eau !
- Recyclage des fibres de nylon des tapis (ceux fabriqués par Interface et ceux des autres compagnies) et utilisation de fibres recyclées pour la production des tapis neufs. Il s’avère que le cycle de vie d’une fibre recyclée est très avantageux par rapport à la fibre vierge.
- Compensation des GES résultant du transport.
Comme le souligne M. Ouimet, « si une compagnie qui fabrique des tapis a réussi à accomplir cela, toutes les entreprises sont capables de le faire »!
Quels sont les bénéfices d’appliquer le développement durable ?
Ce que montre les bilans financiers, c’est que l’entreprise a économisé 405 millions de dollars US et que les profits ont augmenté de 223 millions en 2003 à 372 millions de dollars US en 2008. Les revenus des ventes, eux, ont augmenté de 493 millions en 2002 à 1.082 milliards en 2007 !! Ainsi, le chiffre d’affaires de l’entreprise ne cesse de croître, ce qui confirme de façon éclatante que le développement durable est excellent économiquement. Le développement durable n’est donc pas seulement un choix incontournable pour l’avenir de l’humanité, c’est aussi un avantage économique par rapport aux concurrents.
Les avantages de promouvoir le développement durable pour une entreprise sont en fait nombreux. D’abord le monde change. Les clients commencent à préférer faire appel à une entreprise « verte » qu’à une entreprise « brune ». Ceci ne va aller qu’en s’amplifiant. Au sein même de l’entreprise, l’engagement environnemental de Interface attire davantage les compétences qu’une autre entreprise. Par conséquent, Interface se dote d’un personnel particulièrement compétent, ce qui favorise sa compétitivité. Quand Interface a pris son virage environnemental, des employés n’ont pas suivi et sont partis ; aujourd’hui, tous les employés de Interface sont engagés dans la même voie que l’entreprise, ce qui renforce son efficacité.
Suivant ses propres principes, Interface change ses pratiques. Elle innove en s’inspirant de la nature tout en minimisant son impact environnemental. Par exemple, les motifs géométriques réguliers usuels des tapis d’Interface ont été abandonnés au profit de motifs inspirés de la nature qui permettent de remplacer un seul des modules d’un tapis sans que cela ne se remarque. On s’abstient ainsi de changer le tapis au complet.
Non seulement Interface est un exemple pour la gestion de ses propres impacts, mais en plus, elle essaie d’amener ses clients, ses sous-contractants et ses fournisseurs vers le développement durable. En plus d’être un chef de file en environnement, Interface partage également ses façons de faire avec les autres. Cette volonté de généraliser les bonnes pratiques environnementales et d’éliminer une compétition négative en cette matière montre la profondeur de l’engagement de Interface. Et de fait, pour être efficace et améliorer le sort de la planète et de ses habitants, ne vaut-il mieux pas partager ses connaissances ? En conclusion, il ressort que Interface a choisi de faire partie de la solution plutôt que de faire partie du problème.