La crise écologique est aussi une crise sociale
Comme bien des individus qui ont compris l’importance des valeurs écologistes, mais encore plus comme Catholique, le pape François sait plus que tout autre que la crise que connaît la civilisation est aussi une crise sociale (§ 6,16,46). Les laissés pour compte du système socioéconomique, les pauvres et les opprimés, sont au cœur de ses préoccupations. Les pauvres sont les plus touchés par la dégradation de l’environnement (§ 25,41,48). C’est ainsi que les pays en développement (PED) sont particulièrement vulnérables car nombre d’habitants dépendent directement de la nature pour leur subsistance (agriculture, forêts, pêches) (§ 25,48) et ont moins de moyens pour s’adapter (§ 52). Les pauvres sont aussi sont les premiers à être affectés par un accès restreint à une eau potable de qualité (§ 29,30).
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Parlant de la disponibilité de l’eau, François estime que « ce monde a une grave dette sociale envers les pauvres » (§ 30) mais cette affirmation est plus générale que le problème de l’eau. Les pays riches ont une responsabilité historique sur la dégradation planétaire, et donc une dette écologique (§ 51). Plus précisément, il est bien établi que la situation planétaire résulte d’une responsabilité commune mais différenciée (§ 170), de sorte qu’il est du devoir des pays du Nord d’aider les pays du Sud, financièrement mais aussi via le transfert technologique (§ 172).
Le pape rappelle également qu’« il est indispensable d’accorder une attention spéciale aux communautés aborigènes et à leurs traditions culturelles » et qu’« elles doivent devenir les principaux interlocuteurs, surtout lorsqu’on développe les grands projets qui affectent leurs espaces » (§ 146). Il prône également une juste et évidente « solidarité intergénérationnelle » (§ 159). Pour autant, nous ne devons pas seulement penser aux pauvres de l’avenir, souvenons-nous déjà des pauvres d’aujourd’hui, qui ne peuvent pas continuer d’attendre (§ 162). Et, citant Benoit XVI : « au-delà d’une loyale solidarité intergénérationnelle, l’urgente nécessité morale d’une solidarité intragénérationnelle renouvelée doit être réaffirmée » (§ 162). Ainsi, pour le Saint-Père, il n’y a tout simplement pas d’écologie sans vision sociale (§ 4,93).
Les solutions : une transition écologique
L’atténuation de la destruction environnementale passe par une transformation de l’aménagement des villes (§ 150), « une bonne gestion des transports », un accroissement de l’efficacité énergétique, l’abandon des énergies polluantes, « le développement d’une économie des déchets et du recyclage » (§ 180) et une agriculture « diversifiée avec la rotation des cultures » (§ 186).
De plus, il est nécessaire « de réfléchir de manière responsable sur le sens de l’économie et de ses objectifs, pour en corriger le dysfonctionnement et ses déséquilibres » (§ 194, citation de Benoit XVI). Il est nécessaire d’inventer de « nouvelles formes de croissances » (§ 193) et de « penser à aussi à marquer une pause en mettant certaines limites raisonnables, voire à retourner en arrière avant qu’il ne soit trop tard » (§ 193). Il faut aussi « une subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur usage ».
Les petits gestes écologiques, ce que François appelle l’écologie de la vie quotidienne (p. 49), sont également très importants pour le virage vert, car nos choix de style de vie peuvent « exercer une pression saine sur ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique et social » (§ 206).
Les processus de gouvernance doivent également être transformés, pour ne plus seulement être dépendants des intérêts à court termes et parce qu’ils doivent être plus transparents (§ 182), et parce qu’ils « ne pas se soumettre à l’économie » (§ 183,189). La vision économique doit avoir être large et suivre « une approche globale en intégrant dans un dialogue interdisciplinaire les divers aspects de la crise » (§ 197).
Nous devons revoir également la façon dont est utilisée la technologie et « redéfinir le progrès » (§ 194). Il ne s’agit pas « d’arrêter la créativité de l’homme et son rêve de progrès mais d’orienter cette énergie vers de voies nouvelles » (§ 191).
Cependant, les solutions proposées ci-dessus ne se mettront pas en place toutes seules. Mêmes les normes et lois seront insuffisants (§ 211). Il faut donc miser en premier lieu sur l’Éducation, car les jeunes sont très sensibles aux enjeux environnementaux (§ 209). À ce titre, le Pape souligne l’importance du rôle de la famille, un lieu de « formation intégrale », qui « constitue le lieu de la culture de la vie » (§ 213) et où s’inculque des valeurs bénéfiques à soi, aux autres et à l’environnement.
Et l’être humain ?
Les transformations économiques et sociétales qui sont requises pour préserver la planète et l’être humain passent nécessairement par un engagement de celui-ci, par une transformation de sa façon de voir le monde et le bonheur. L’être humain doit surtout se tourner vers l’autre plutôt que se centrer sur soi. Or, « plus le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à acheter » (§ 203). Il faut donc « dépasser l’individualisme », « développer […] la capacité de sortir de soi vers l’autre » (§ 208).
François nous invite aussi à la sobriété et à l’humilité. Dans le premier cas, il s’agit d’affaiblir le matérialisme, dans le second d’abandonner ce sentiment de supériorité vis-à-vis de la nature, « de nous reconnaître comme des créatures limitées » (§ 66). Il prône donc une « austérité responsable » (§ 214), car si le pape sait que nous devons transformer notre système économique, réduire notre consommation, il sait aussi que cela doit se faire de façon appropriée, sans répercussions négatives sur les plus démunis. Il rappelle aussi « un vieil enseignement, présent dans diverses traditions religieuses, et aussi dans la Bible », celui qui consiste à réaliser que « moins est plus » (§ 222). Ensuite, il nous propose d’adopter « un style de vie prophétique et contemplatif » (§ 222), « un retour vers la simplicité qui nous permet d’apprécier ce qui est petit » (§ 222). Et le pape a cette phrase essentielle à sa pensée et cruciale pour la transformation de notre civilisation : « la sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice » (§ 223).
Mais l’engagement humain doit aller plus loin. Pour le pape François, nous devons « protéger [le monde] et en développer les potentialités ». Au fond, nous sommes les fiduciaires de ce monde, de sa qualité, de son harmonie (§ 68), un monde au sein duquel « chaque créature a une fonction et qu’aucune n’est superflue » (§ 84). Il s’agit pour l’être humain d’une « terrible responsabilité » (§ 90) à laquelle nous ne pouvons nous soustraire. Pour tous les êtres humains, préserver et faire fructifier la nature, c’est un acte d‘amour envers les autres ; pour les croyants, c’est aussi rendre gloire à Dieu car la nature est l’expression du divin (§ 69).
Par suite, ne pas suivre ces recommandations, aller contre la nature, ne pas la respecter, ne pas la préserver, c’est en fait ne pas respecter Dieu. Et c’est surtout manquer de dignité, car « accomplir le devoir de sauvegarder la création par de petites actions quotidiennes est très noble » (§ 211), et l’ensemble de ces gestes écologiques font « partie d’une créativité généreuse et digne, qui révèle le meilleur de l’être humain » (§ 211). Cette notion de noblesse, de dignité, est d’autant plus importante pour les catholiques que la dignité humaine est infinie du fait qu’elle est accordée par Dieu et du fait de « l’amour très particulier que le Créateur a pour chaque être humain » (§ 65).
Conclusion
L’Encyclique du pape François aborde de façon exhaustive et en profondeur la crise environnementale globale que connaît la Terre, que subisse les être humains et dont ils sont responsables. Pour tout dire, la vision du pape François est en totale adéquation avec l’analyse de Planète viable quant à la description de la situation environnementale mondiale, de ses conséquences ainsi que des causes profondes qui en sont à l’origine. Et par delà quelques aspects propres au catholicisme, l’essentiel du message du Pape peut toucher tout un chacun, des athées, aux agnostiques, en passant par les mystiques et les autres croyants.