mercredi, décembre 4, 2024

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Déchets, le cauchemar du nucléaire

Ce long-métrage traite de l’épineux problème des déchets nucléaires et du secret qui entoure leur gestion. Le film est mené comme une enquête policière. Il évoque d’abord l’histoire du nucléaire et des déchets, s’attache à décrire les méthodes utilisées aujourd’hui pour gérer ces déchets, puis termine en évoquant l’avenir tel que l’envisagent les « spécialistes ». Solide et bien construit, le film est éclairant et fournit de surprenantes révélations sur le recyclage des déchets nucléaires. « Déchets, le cauchemar du nucléaire » était présenté au festival du film de Portneuf sur l’environnement 2010.

La première centrale nucléaire

À Hanford, dans l’état de Washington, fut construite en 1943, lors de la seconde guerre mondiale, la première centrale nucléaire de l’Histoire pour créer la bombe atomique (projet Manhattan). Le camp logeait 50 000 personnes, et on y construisit 9 centrales nucléaires et 5 usines de plutonium. La rivière Columbia qui passe juste à côté permettait de refroidir le réacteur tandis que les efflux radioactifs étaient rejetés directement dans la rivière. Depuis lors, le fonds sédimentaire de la Columbia est contaminé. Pourtant, il n’était pas interdit aux résidents de la côtoyer. Les déchets radioactifs les plus dangereux pour leur part ont été confinés à l’époque dans d’immenses cuves de béton qui ont été enfouies dans le sol. Mais, 60 des 170 cuves fuient, contaminant ainsi la nappe phréatique. Les quantités phénoménales de produits radioactifs qui restent s’échappent toujours sans discontinuer. On songe à les vitrifier.

Les centrales en URSS

À partir de 1945, l’URSS a suivi les traces des États-Unis et a construit ses propres centrales nucléaires militaires. En 1957 s’est produit un accident grave au site de Maïak près de Tcheliabinsk en Oural, dû d’une panne du système de refroidissement. Cette panne a provoqué l’explosion d’une cuve de déchets nucléaires très actifs, expulsant des particules à plus d’un kilomètre d’altitude, contaminant environ 15 000 km2 de territoire, tuant 200 personnes et en exposant 270 000 autres aux radiations. L’Occident n’a pas voulu croire à cet accident, notamment pour ne pas faire de tort à l’industrie nucléaire.

Au site de Maïak, les produits radioactifs qui sortent des centrales depuis les débuts des activités sont déversés dans des lacs situés à proximité. Ce sont de véritables sources de radiations à ciel ouvert qui rendent la région extrêmement dangereuse. Des opérations de rebouchage ont finalement été entreprises. Pour ces manœuvres délicates, les ouvriers utilisent des camions blindés avec une épaisse couche de plomb, mais malgré cela, ne doivent rester à proximité des lacs que quelques minutes afin de ne pas être exposés trop longtemps aux doses intenses et ainsi ne pas compromettre leur santé.

Site nuclaire de Tetcha
Site nuclaire de Tetcha (source : Arte).

En fait, la situation est bien plus alarmante. Ces lacs sont situés en amont de la rivière Tetcha qui draine la radioactivité tout le long du cours d’eau. Des mesures faites par la CRIIRAD (Commission de  Recherche et d’Information  Indépendantes  sur la Radioactivité) sur la Tetcha en pleine nature, dans des zones parfaitement accessibles aux riverains, montrent des niveaux de radioactivité particulièrement élevés, équivalents en fait à ceux que l’on retrouve à Tchernobyl. Cependant, dans ce dernier cas, les zones sont fermées, mais pas sur le bord de la Tetcha. Les conséquences sur la population sont terribles. À Muslimovo, une ville proche, les cas de cancer sont innombrables et l’eau est dangereuse. Même le lait des vaches est contaminé. Pourtant, les responsables politiques ne voient pas de problème sanitaire pour les habitants. La reste donc parfaitement accessible et la zone est toujours peuplée. Par ailleurs, le gouvernement offre l’équivalent de 20 000 euros pour déplacer les gens. Mais, cette somme est souvent trop faible pour refaire sa vie ailleurs et les gens restent chez eux. Plusieurs générations ont été ainsi sacrifiées, et cela continue encore aujourd’hui.

La réglementation sur les déchets
Jusqu’en 1993, les états disposant de la technologie nucléaire ne se sont pas gênés pour se débarrasser de leurs déchets en rejetant des fûts en haute mer. En mois de 50 ans, plus de 100 000 tonnes de produits ont été déversés dans les océans, dont 80% sont issus de Grande-Bretagne. Les fûts sont aujourd’hui éventrés et dispersent leur contenu toxique. Depuis un règlement de l’ONU en date de 1993, ces pratiques sont interdites.

Malgré cela, l’usine de retraitement des déchets radioactifs de La Hague, située dans le nord de la France, déverse des efflux radioactifs dans la Manche, et ce en toute légalité. En effet, l’accord international ne vise pas les rejets qui ont lieu depuis le continent… En France, les rejets sont fixés par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) mais n’impose visiblement pas de contraintes particulières. Toute une zone du fond maritime est maintenant contaminée.

L’usine rejette également des vapeurs radioactives qui s’étendent sur toute l’atmosphère de l’Europe de l’ouest. Ces émissions (et les autres) ne sont pas négligeables car les mesures de la radioactivité atmosphérique globale de l’hémisphère nord montre une inquiétante augmentation depuis 1960. Un des problèmes est que des produits comme le krypton 85 sont très difficiles à piéger et qu’actuellement, il n’existe pas de méthode efficace pour le faire. C’est pour cette raison que l’ASN n’impose pas de limite à l’usine de La Hague. Ces rejets gazeux continuels ressemblent donc tout à fait à une situation accidentelle constante et contaminent localement la région. Les responsables de l’usine sont visiblement très gênés quand on évoque la contamination des terrains des villes avoisinantes, et pour cause. Les responsables parlent de traces… Mais, ce n’est rien d’autre qu’une contamination. Le problème est d’autant plus épineux que les normes actuelles de santé publique sont basées sur les irradiations observées à Hiroshima et ne sont pas adaptées. Elles correspondent à une exposition courte mais intense alors qu’il faut considérer ici des doses faibles mais chroniques. Les usines de retraitement contribuent pour 80% des rejets en Europe.

La gestion des déchets aujourd’hui

L’usine de La Hague représente actuellement un premier modèle de gestion les déchets : le retraitement. C’est la méthode utilisée par la France, la Grande-Bretagne et le Japon. Dans une centrale nucléaire, 95% des déchets sont de l’uranium, 1% est du plutonium et 4% sont des déchets ultimes et concentre 99% de la radioactivité. Les déchets ultimes sont vitrifiés et stockés sous le plancher de l’usine. Le plutonium est réutilisable en le mélangeant à de l’uranium. Les responsables de La Hague expliquent qu’une telle installation permet globalement de recycler 96% des rejets, mais impossible de savoir ce que devient l’uranium résiduel. Les auteurs du film ont donc cherché à le savoir. Après enquête, cet uranium parcourt 8 000 km par la route pour se rendre jusqu’à Tomsk en Sibérie. Là, il est censé être enrichi pour revenir sous la forme d’un combustible nucléaire viable. Mais en réalité, 90% de l’uranium français est laissé à Tomsk et devient une propriété russe, ce que confirme EDF. L’uranium appauvri est stocké sous surveillance à ciel ouvert dans des fûts sous la forme d’hexafluorure d’uranium. Dans les faits, l’uranium de l’usine de La Hague n’est donc pas recyclé et le bilan est très différent de celui annoncé. Dans les faits, c’est seulement 10% de la matière radioactive d’une centrale qui est recyclée. Le verre est un parfait contre-exemple puisque 100% de la matière est recyclée dans ce cas.

La seconde grande méthode de gestion des déchets évite le transport ainsi que les dangers, les rejets et les problèmes environnementaux qui y sont liés. Elle consiste à les conserver dans des conditions sécuritaires. Aux États-Unis par exemple, on utilise des containers renforcés dans lequel on place les combustibles usés que l’on stocke à proximité des centrales dans du béton. Les autres pays les conservent dans le fonds de piscines remplie d’eau à l’intérieur de centrales en attendant que l’activité radioactive des combustibles usés diminue et qu’ils refroidissent. Il y a actuellement 450 de ces piscines à travers le monde et on attend une éventuelle solution plus permanente. Ces entrepôts temporaires restent par ailleurs à la merci des attentats terroristes et des crashs aériens. Le risque se multiplie à travers le monde avec le nombre de lieu de stockage.

L’avenir

Le film s’achève sur l’avenir et sur ce que l’industrie propose pour gérer ses déchets dangereux qui, pour certains, vont le rester pendant au moins 200 000 ans. Le 14 juin 2000, l’Allemagne a officiellement mis fin son programme nucléaire, mais les déchets embarrassent encore le pays. En France, à Bure dans la Meuse, on construit actuellement un grand entrepôt à de très grandes profondeurs (500 mètres sous la surface) qui sert de prototype comme site d’enfouissement. Le laboratoire expérimental est construit dans une couche d’argile à laquelle on attribue des propriétés d’imperméabilité intéressantes. S’il s’avère sécuritaire, on construira des sites comparables à celui-ci dans les environs.

Mais qui peut dire si un tel site sera sécuritaire sur d’aussi longues périodes de temps ? On pense que la mémoire de ces sites pourrait être perdue dans 200 à 300 ans. Il faut donc que ces sites soient sûrs et que les déchets ne remontent pas à la surface avant d’être inactifs. Les responsables arguent qu’il faut faire confiance aux lois de la physique, aux Hommes et à leurs calculs… Ils qualifient de « poétique » ou disent que relève de la science-fiction l’indécision quant à savoir si ces sites doivent être tenus secret pour que personne n’ait l’idée d’aller y faire des fouilles dans le futur ou, au contraire, de bien les identifier pour que ces sites soient bien surveillés. Manque de sérieux, laxisme ou inconscience ? La réalité, c’est que nous avons hypothéqué l’avenir de milliers de générations à qui nous devons assurer la sécurité ou qui vont se retrouver à gérer nos déchets nucléaires. Qui peut sérieusement prédire l’avenir de la stabilité d’un sol ou d’une civilisation, surtout sur des milliers d’années d’avance ? En lançant des programmes d’énergie nucléaire, le genre humain a clairement joué à l’apprenti-sorcier.

Historiquement, le secteur du nucléaire a également fait montre d’un manque de transparence patent. Le nucléaire est trop important et trop risqué pour être laissé uniquement aux mains de technocrates, de politiciens ou d’ingénieurs, car nous sommes tous concernés. Nous devrions tous être interpelés.

Conclusion

On l’aura compris, l’histoire des centrales nucléaires et la gestion actuelle montrent que le problème des déchets nucléaires reste entier. C’est un problème grave et ne représente pas nécessairement la solution providentielle face aux changements climatiques. Aucune solution sérieusement viable n’existe pour les déchets nucléaires. Nous ne savons tout simplement pas les traiter. Le nucléaire n’est donc pas viable écologiquement mais, de plus, la gestion de ses déchets ne le rend pas non plus rentable économiquement. Merci aux réalisateurs pour ce film informatif et percutant.

Déchets, le cauchemar du nucléaire (2009)

Durée : 1 h 38 mn

Écriture : Laure Noualhat et Éric Guéret avec la collaboration de Michèle Rivasi

Réalisation : Éric Guéret

Production : Bonne Pioche Productions / Arte France, en association avec Sundance Channel, RTBF, avec le soutien de la Région Ile de France, de Media, de la Procirep, avec la participation du CNC.

Diffusion : Arte (http://www.arte.tv/fr/2766888.html)

Sélections en festivals :

  • Festival Pariscience 2009, Compétition Grand Jury
  • Prix Europa 2009 à Berlin
  • Planet in Focus à Toronto
  • Festival du Vent à CalviRIDM – Rencontres internationales du documentaire de Montréal
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