Après 10 années de gouvernement conservateur et d’une politique archaïque en matière de lutte au changement climatique, un réel changement de ton accompagne l’arrivée du nouveau gouvernement fédéral canadien. La nomination de Justin Trudeau comme premier ministre est accueillie avec soulagement, suscite l’espoir et est la bienvenue à la veille de la 21e conférence de la CCNUCC (21e conférence des parties ou COP21) à Paris. Mais quelles peuvent être les attentes envers le Canada après avoir pris tant de retard ?
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Un changement de gouvernement bienvenu
Il faut rappeler que jusqu’à récemment, non seulement le Canada avait la pitoyable réputation d’un État qui ne faisait que peu d’efforts pour réduire ses émissions de GES et qui ne basait son économie que sur l’exploitation des combustibles fossiles [1], mais il avait aussi mauvaise réputation parce qu’au cours des négociations menées dans le cadre de l’ONU, le Canada faisait obstruction à la progression des négociations vers des réductions d’émissions plus ambitieuses ; elle les tirait vers le bas.
On peut s’attendre à ce qu’avec Justin Trudeau, le Canada ait meilleure réputation. Le changement de ton et la bonne volonté apparente du nouveau gouvernement sont évidents. Impossible cependant de prévoir le rôle que jouera véritablement le Canada dans le futur sans connaître ses prochaines cibles de réductions de GES et son engagement financier, car son rôle de leadership sera lié à la hauteur de ses ambitions.
Ce que le Canada peut faire tout de suite
Le Canada va se rendre à Paris avec les dérisoires cibles de réductions des GES du gouvernement Harper dans ses bagages [2], même si ces cibles seront bonifiées plus tard. Comme l’avait en effet prévu Catherine Potvin [3] à l’émission Les années lumières [4], on ne peut improviser l’établissement de nouvelles cibles. Celles-ci doivent être réalistes et accompagnées d’un plan de réductions très réfléchi et détaillé (planification, indicateurs appropriés, transparence, reddition de compte), ce qui demande du temps. Un tel plan aura en effet des répercussions sur l’ensemble de la société, notamment au niveau économique. Par conséquent, avant même de connaître les intentions de Justin Trudeau, Catherine Potvin suggérait qu’à défaut de pouvoir aller à Paris avec des cibles ambitieuses, le gouvernement du Canada pouvait (devait) néanmoins poser des gestes qui pourraient redonner une crédibilité au Canada, soient :
- Avoir une contribution plus importante au Fonds vert (destiné à l’aide aux pays en développement pour réduire leurs émissions de GES et s’adapter aux changements climatiques)
- Mettre en place un ministère du développement durable fort, qui puisse donner des directives aux autres ministères
- Participer à la Conférence de Paris accompagné des maires des grandes villes car les changements requis impliqueront de très près les villes
Concernant le point 2, Justin Trudeau semble être allé dans ce sens en intitulant le ministère de l’environnement « Ministère de l’environnement et des changements climatiques ». Ce nouvel intitulé montre que le réchauffement planétaire est (enfin) devenu une priorité pour le gouvernement canadien (en contraste avec le gouvernement précédent). De plus, en plaçant aux affaires étrangères Stéphane Dion, un homme en apparence très soucieux de la préservation de l’environnement, il est possible que cet aspect prenne de l’importance au sein du cabinet des ministres. Puisque l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques va influencer l’ensemble de la société canadienne, dont son économie, il est possible que le nouveau ministère de l’environnement ait plus de pouvoir qu’il en a jamais eu. Cependant, rien ne prouve encore que l’environnement infléchisse véritablement la politique économique du Canada.
Concernant le troisième point, le nouveau premier ministre a déjà fait savoir que les maires des grandes villes canadiennes seront présents à la COP21, ce qui est très pertinent et très encourageant. Mais Justin Trudeau a fait plus. En renouant la semaine dernière le dialogue avec les provinces sur les politiques de réduction des GES après des années de mutisme [5], il donne les meilleures chances au Canada de faire de réels progrès en vue de réduire nos émissions de GES.
Ce que le Canada doit faire à l’avenir
À court terme, le Canada peut donc redonner confiance aux autres États et à l’ONU. À plus long terme, le Canada doit agir. Avec envergure. Comme les autres pays riches, le Canada est en effet un pays qui s’est développé au dépend de la dégradation environnementale, notamment l’émission de GES. Sa consommation de combustible par habitant est encore aujourd’hui une des plus élevée par habitant. Plus globalement, c’est l’empreinte écologique des canadiens qui est une des plus forte au monde. Par conséquent, il est de la responsabilité morale du Canada, comme des autres pays du Nord, de décarbonsier son économie pour réduire la dégradation environnementale et pour montrer qu’une autre voie de développement est possible.
C’est aussi une question économique : plus la transition verte sera tardive, plus elle sera difficile, plus elle coûtera chère, plus on ratera d’opportunité, moins l’économie en bénéficiera. Par exemple, alors qu’il devient inéluctable que la consommation de combustibles fossiles diminue, il devient urgent que le Canada cesse de baser la plus grosse part de son économie sur l’exploitation du pétrole ou du gaz naturel. De même, il devient inéluctable, qu’à plus ou moins longue échéance, la consommation mondiale de ressources baisse. Le Canada devrait donc dès maintenant réfléchir au fait que l’exportation de matières premières représente une grande part de son économie. Avec le temps, le recyclage des matières premières va prendre de l’importance au dépend de leur exploitation. Son rôle sur l’économie sera progressivement supplanté par l’importance du coût écologique.
Les implications économiques des réductions de GES sont telles que la lutte contre les changements climatiques apparaît comme un des meilleurs mécanismes actuels pour lutter contre la dégradation écologique globale. L’ONU semble vouloir profiter des négociations de la CCNUCC pour favoriser la mise en place d’une économie verte. Plus largement, les négociations menées dans le cadre des trois conventions de l’ONU (Convention sur les changements climatiques, Convention sur la diversité biologique et Convention contre la désertification) représentent sans doute un mécanisme permettant à tout d’opérer une transition verte au niveau mondial.
Pour aider les pays en développement (PED) à réduire leurs émissions de GES et à s’adapter aux conséquences des changements climatiques, la recommandation 1 de Catherine Potvin s’avère indispensable. Elle est à prendre très au sérieux. La contribution du Canada au Fonds vert se doit d’être très significative et la population devrait soutenir l’aide au PED. À ce titre, la très récente annonce de Justin Trudeau à l’effet qu’il accordera 2,65 milliards de dollars sur 5 ans à l’aide aux PED va tout à fait dans ce sens [6].
Mais le Canada doit aller plus loin. Ses réductions de GES concernent principalement le transport et l’énergie. Il lui faut notamment limiter l’exploitation du pétrole des sables bitumineux, un secteur extrêmement polluant et qui contribue pour une large part aux émissions de GES canadiennes. Or, on sait que pour limiter le réchauffement planétaire, les combustibles fossiles doivent rester dans le sous-sol. L’exploitation et l’exportation des sables bitumineux doit donc être freinée. S’il est impossible de stopper net leur exploitation, elle doit être réduite radicalement pour nous conduire d’ici 2-3 décennies à une production marginale de pétrole. De même, le Canada doit renoncer à l’exploitation et l’exportation de gaz de schiste.
Et si nous ne le faisons pas pour des raisons économiques, il est possible que nous soyons contraints de le faire pour des raisons juridiques. Comme le soulignaient récemment des juristes dans un article du journal Le Devoir [7], si le Canada ne réduit pas ses émissions de GES de lui-même, ce pourrait être des règles juridiques nationales ou internationales qui le forcent à le faire. À titre d’exemple, les Pays-Bas se sont vus récemment dans l’obligation de réduire leurs émissions de 25% d’ici à 2020 par un tribunal national [8]. Il est réconfortant de savoir que des mécanismes juridiques existent pour inciter les États à conserver leur patrimoine naturel intact et à réduire leur pollution. Que les États et le Canada se le tiennent pour dit !
Notes et références
[1] Depuis les débuts de la CCNUCC en 1992, le Canada n’a jamais été un grand chef de file en termes de réductions des GES et à ce titre était considéré comme un cancre, un mauvais élève. Le Canada et son gouvernement libéral de l’époque n’a ratifié le Protocole de Kyoto qu’en 2002, attendant que les États-Unis le fassent en premier, ce qui n’est jamais arrivé. Mais ce fut bien pire avec le gouvernement conservateur de Steven Harper. Celui a d’abord changé l’année de référence habituelle (1990) pour 2005 de façon à faire croire que ses cibles de réductions étaient plus ambitieuses qu’elles ne l’étaient en réalité.
[2] Les intentions du gouvernement conservateur étaient de réduire les émissions de 30% en 2030 par rapport à 2005. Ce sont des cibles très faibles. À titre de comparaison, l’Union européenne vise une réduction d’au moins 40% en 2030 par rapport aux émissions de 1990.
[3] Catherine Potvin est Pre au Laboratoire d’écologie néo-tropicale de l’Université McGill et initiatrices des Dialogues pour un Canada vert, un regroupement de chercheurs qui a décidé de passer à l’action pour inciter et aider le Canada à négocier une transition écologique. Pour en savoir plus sur cette initiative canadienne, consulter : http://www.sustainablecanadadialogues.ca/fr/vert/agir-changements-climatiques
[4] Émission Bar des sciences de l’émission Les années lumières de la radio de Radio-Canada. Cette émission, intitulée « climat le Paris de la dernière chance ? », a été diffusée le dimanche 1er novembre 2015 et peut être écoutée à : http://ici.radio-canada.ca/emissions/les_annees_lumiere/2011-2012/chronique.asp?idChronique=388055
[5] Justin Trudeau invite les partis d’opposition à la COP21, Joan Bryden, La Presse canadienne, repris sur le site du journal Le Devoir http://www.ledevoir.com/politique/canada/453494/justin-trudeau-invite-les-partis-d-opposition-a-la-cop21
[6] Le Canada consacrera 2,65 milliards pour aider les pays en développement, Bruce Cheadle, La Presse canadienne, repris sur le site du journal Le Devoir (28 novembre 2015) http://www.ledevoir.com/politique/canada/456526/climat-le-canada-consacrera-2-65-milliards-pour-aider-les-pays-en-developpement
[7] Les changements climatiques appellent une obligation juridique, M. Bélanger, K. Péloffy et B. W. Johnston (respectivement président et directrice du Centre québécois du droit de l’environnement, et associé chez Trudel Johnston & Lespérance), Le Devoir http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/456148/changements-climatiques-une-obligation-juridique
[8] Les Pays-Bas forcés de réduire leurs émissions de GES plus rapidement, Le Figaro (24 juin 2015) http://www.lefigaro.fr/sciences/2015/06/24/01008-20150624ARTFIG00231-la-justice-force-les-pays-bas-a-reduire-ses-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre.php