Durabilité, viabilité, soutenabilité. Avec la réalisation par l’humanité que la dégradation écologique menaçait à terme le fonctionnement des sociétés, est né le concept de développement durable (DD) et avec lui tout un vocabulaire. Voyons quelques-uns de ces termes.
La civilisation n’est pas viable
La science nous apprend que le taux de pollution, de prélèvement des ressources naturelles et de transformations des habitats dépasse la capacité de résilience de la planète, ce qui altère le fonctionnement normal du système planétaire, et donc menace le fonctionnement des sociétés.
Autrement dit, la civilisation actuelle n’est pas viable (elle ne peut vivre selon son mode de fonctionnement actuel à long terme), elle n’est pas soutenable (la planète n’a pas la capacité de la soutenir sur le long terme), donc elle n’est pas durable (elle ne peut durer (selon son mode de fonctionnement)).
Au-delà de subtiles distinctions dans leur définition, on peut tout aussi bien dire que notre civilisation, n’est pas viable, ni soutenable ni durable. Par suite, durable, soutenable et viable apparaissent comme des synonymes indifférenciés permettant de qualifier la civilisation, une société et même un système économique. Pour devenir viable, il est nécessaire d’opérer une transformation majeure de la société, car actuellement l’environnement et le progrès social sont subordonnés aux critères économiques. Il faut donc opérer une transition écologique ou transition verte.
Évidemment, toute civilisation finit tôt ou tard par disparaître, mais pas nécessairement pour des raisons essentiellement écologiques. Ainsi, aujourd’hui, quand on discute de viabilité, il est important d’utiliser le terme civilisation et non pas celui d’humanité, car si l’humanité entière est menacée à mesure que se dégrade la planète et risque de voir sa qualité de vie diminuer, c’est la civilisation dominante, c’est-à-dire son modèle de développement et son système socio-économique qui la caractérise, qui sont en cause. Bien des peuples ne sont pas à l’origine de la dégradation environnementale, il la subisse plutôt.
Le développement durable (DD)
Bien qu’il existe une longue histoire de la pensée occidentale entourant la prise de conscience de la détérioration de l’environnement par l’être humain, cette constatation a mené en 1987 à la fondation du concept de développement durable dans le rapport Brundtland de la Commission mondiale de l’environnement et du développement [1]. Ce concept constitue une tentative de réponse à la dégradation planétaire et au fait que la civilisation n’est pas viable. Comme indiqué dans le rapport, le DD consiste à répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité de satisfaire ceux des générations futures [2].
L’idée de base est donc très noble, juste et judicieuse puisqu’elle est basée sur les besoins humains, sur la justice et le respect envers l’autre. Sa noblesse, son bien-fondé et son équité n’appellent donc a priori aucune remise en question. Dans les faits, le DD représente une société basée sur un équilibre entre le pilier économique (qui permet le développement), le pilier environnemental (la préservation de la nature et du fonctionnement des écosystèmes) et le pilier social (l’équité entre les êtres humains). Le problème c’est que dans notre civilisation l’environnement a toujours représenté jusqu’à présent la part du pauvre. Il faut donc rétablir l’équilibre et l’économie doit s’adapter.
Critique du DD et système économique
La notion de DD a par la suite été très critiquée. Certains voit en cette dénomination un oxymore car le développement, sous-entendu le développement économique, ne peut être durable. Cette conclusion est notamment fondée sur le fait que la croissance économique est nécessaire à la santé économique des sociétés, donc au développement des populations. Or, la croissance économique est basée sur une production et une consommation croissantes, ce qui entraîne la dégradation de l’environnement (pollution, pénurie de ressources, destruction des habitats).
En fait, les critiques du DD ont fait valoir que DANS LES FAITS ce projet de société tendait à poursuivre le même type de système socioéconomique, le même type de fonctionnement sociétal, simplement en prenant en compte quelques considérations environnementales mais juste du point de vue économique. Le DD est ainsi associé à l’économie verte. Cette économie est rejetée par les écologistes car elle appartient à la classe des économies de l’environnement.
Les défenseurs de ce type d’économies stipulent que les mécanismes qui les régissent permettent intrinsèquement de limiter les dégradations environnementales et la surexploitation des ressources. Elles sont notamment basées sur l’hypothèse, fausse, que la technologie peut en toute circonstance se substituer aux fonctions remplies par la nature. On appelle cette hypothèse le principe de soutenabilité faible.
De plus, puisque ces économies sont basées sur une croissance infinie, ce type d’économie ne permet pas de limiter la dégradation écologique. Même en prenant en compte des critères environnementaux, ce type d’économie s’avère insuffisant pour réduire suffisamment la dégradation écologique. Afin de préserver la nature et lui permettre de nous fournir les services nécessaires à l’humanité sur le long terme, l’économie doit être subordonnée à l’écologie. Il faut donc recourir à ce que l’on appelle une économie écologique ou économie hétérodoxe (basée sur un principe de soutenabilité forte).
Au-delà du terme développement durable
Malgré ces critiques, le concept de DD représente une avancée pour l’humanité. Ce concept signifie qu’il faut changer de mode de développement puisque celui-ci nous conduit dans un mur. Le terme a peut-être été maladroitement choisi et/ou détourné de son sens premier, notamment pour des motifs économiques, mais ne perdons pas de vue que les bases du concept sont justes et appropriées. Peut-être pourrions-nous simplement le rebaptiser développement humain durable (DHD) ? Ce terme aurait l’avantage de lever l’ambiguïté sur ce que sous-tend développement en précisant qu’il s’agit du développement de l’être humain (et non pas de l’économie) et qu’il doit être au cœur de tout projet de société. Cette proposition rejoint l’idée que la qualité de vie doit être mesurée par d’autres indicateurs que le PIB et doit inclure des critères sociaux et environnementaux.
Au fond, le message sous-jacent au concept de DD et ce que nous apprend la science, c’est que la civilisation, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, n’est tout simplement pas viable (ou soutenable ou durable). Or, force est de constater que nous manquons d’adjectifs pour caractériser des politiques, des lois ou des réglementations qui viseraient à rendre la société viable. Une politique visant la protection de l’environnement peut être dite « environnementale », une politique visant le progrès social peut être qualifiée de « sociale », mais une politique visant la viabilité (de la société) ne peut être qualifiée de « viable », « soutenable » ou « durable », car en français, cela signifierait que c’est la politique elle-même, et non pas son objectif ou son champ d’application, qui est viable, soutenable ou durable.
Comment alors qualifier une telle politique ? Difficile de trouver un terme idéal et direct. Il existe des termes indirects. Puisque le défi consiste à intégrer les trois piliers du DD, l’adjectif intégré pourrait s’avérer adapté. On pourrait alors parler de démarche intégrée ou de loi intégrée, de la même façon que l’on parle de cuisine intégrée, une cuisine « dont les éléments sont conçus pour former un ensemble homogène » [3]. Intégré pourrait signifier « qui contient tous les éléments nécessaires ou indispensables pour rendre quelque chose viable ou soutenable ».
Encore mieux, on pourrait utiliser l’adjectif intégral, qui signifie « qui n’est l’objet d’aucune diminution, d’aucune restriction, entier, complet » [3]. Une politique intégrale, une vision intégrale seraient donc complètes, exhaustives, pour instaurer la viabilité dans la société. Elles prendraient en compte tous les aspects visant la soutenabilité. Néanmoins, le terme parfait n’existe pas à notre connaissance. Des suggestions ?
Note et références
[1] Our Common Future (« Rapport Brundtland »), Commission mondiale de l’environnement et du développement (1987) http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N87/184/67/IMG/N8718467.pdf?OpenElement
[2] “Humanity has the ability to make development sustainable – to ensure that it meets the needs of the present without compromising the ability of future generations to meet their own needs. The concept of sustainable development does imply limits – not absolute limits but limitations imposed by the present state of technology and social organization on environmental resources and by the ability of the biosphere to absorb the effects of human activities” – Our Common Future (§ 27)
[3] Dictionnaire Petit Robert 2015.