L’Histoire nous l’a appris, la dégradation de l’environnement, la pénurie de ressources, le climat et/ou la détérioration des relations avec les voisins sont des facteurs qui peuvent provoquer l’effondrement d’une société ou d’une civilisation [1]. Avec l’avancée des connaissances, il devient maintenant possible de simuler numériquement l’émergence, le développement et l’effondrement d’une société [2]. De tels travaux nous font mieux comprendre comment une société finit par disparaître et ils nous renseignent sur les différents paramètres, et leurs interactions, qui l’influencent sa chute. Espérons que la société techno-scientifico-capitaliste dans laquelle nous vivons saura tirer parti de telles connaissances…
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Simuler la dynamique éco-sociale d’une civilisation
Le modèle, tel que l’ont développé Scott Heckbert et son équipe du Alberta Innovates Technology Futures [2], est composé d’une population dont la démographie varie avec le temps, et de cellules qui découpent la région considérée – forêts, terres agricoles ou cités – et représentent les différents lieux où les individus s’établissent. Ces cellules sont connectées entre elles par des liens commerciaux et finissent par constituer un réseau d’échange. Au cours de leur évolution, chacune des cellules est caractérisée par ses conditions climatiques, le pourcentage de couvert forestier et la qualité de ses sols. Ce modèle a été appliqué à la civilisation Maya, d’où son nom, « MayaSim » [2].
L’avantage d’un tel système est qu’il est possible d’étudier (et d’avoir le contrôle) sur divers paramètres aussi bien sociétaux (la démographie, le revenu par habitant, les liens commerciaux) qu’environnementaux (climat, forêts, sol) et qui interagissent entre eux [2]. On peut ainsi essayer de reproduire l’évolution d’une société qui a réellement existé ou, en jouant sur ces paramètres, d’en inventer d’autres qui s’avèrent durables ou non, et de comprendre pourquoi. On peut aussi intégrer le fait que la déforestation se produit très rapidement alors que la régénération des sols est extrêmement lente, ou que la valeur du commerce peut changer rapidement alors que la démographie peut suivre avec un décalage de plusieurs années [2].
L’ancienne civilisation Maya a connu trois phases distinctes au cours de son histoire, soient l’ère pré-classique (-1000 à +250 ans ap. J.-C.), l’ère classique (de +250 à 900 ans après J.-C.) et l’ère post-classique (de +900 à 1500 ans après J.-C.). Elle a connu son apogée lors de l’époque classique, vers 700 ap. J.-C. À cette époque, la région abritait 10 millions d’habitants, bien plus qu’aujourd’hui, mais elle s’est effondrée rapidement par la suite, quelques 200 ans plus tard. Parmi les raisons invoquées, les historiens mettent de l’avant des sécheresses prolongées, des gouvernements cupides, une influence étrangère ou la déforestation, d’autres explications étant aussi possibles. Cette civilisation représente donc un modèle intéressant à simuler [2].
Simulation de la civilisation Maya
Durant la phase initiale du calcul, la région commence à se peupler. Dès 250 av. J.-C., on voit l’émergence de peuplements en différents point qui se répartissent sur l’ensemble du territoire. Il s’agit en premier lieu de zones qui offrent le plus de services écosystémiques et qui ont un potentiel pour l’agriculture. La population qui augmente le plus vite se trouve dans les zones de peuplements les plus denses et ils se forment progressivement des réseaux d’échange locaux. Les terres agricoles prennent graduellement la place de la forêt tandis que la demande en bois d’œuvre et en combustible ajoute au déboisement. Dans la phase initiale du développement, les services écosystèmes représentent la principale source de revenu, mais vers -500 av. J.-C., leur valeur est dépassée par celle de l’agriculture [2].
Les enseignements à tirer
L’analyse de cette simulation montre qu’il existe des « spirales d’effondrement » (collapse traps) dans lesquelles les sociétés peuvent tomber [2]. Une de ces spirales est donnée par une société pour laquelle le système commercial est enflé sur une trop longue période de temps, ce qui épuise les sols de certains nœuds du réseau et anéanti ces centres de production alimentaire. L’exode qui s’ensuit induit la rupture des liens avec le reste du réseau commercial, ce qui peut faire s’effondrer, par effet domino, l’ensemble de l’enchevêtrement.
Le modèle permet d’étudier quel(s) variable(s) il faudrait modifier pour rendre le système soutenable. Les tests effectués montrent qu’il faut transformer un minimum de 3 variables pour rendre la civilisation Maya soutenable, en maîtrisant par exemple la qualité des sols, le couvert forestier et la croissance démographique [2]. Certaines interventions dans le modèle peuvent aussi donner des résultats surprenants. On peut ainsi créer virtuellement des sociétés qui sont parfaitement viables mais qui ne parviennent jamais à se développer et qui sont marquée essentiellement par une agriculture sur brûlis [2].
Il est fascinant de constater qu’un tel modèle puisse quantifier la dynamique des relations éco-sociales d’une société et de reproduire des mécanismes de soutenabilité ou d’effondrement. Ces efforts devraient être poursuivis pour mieux comprendre l’influence des différentes variables qui interviennent dans le fonctionnement des sociétés et pour en ajouter d’autres. Cependant, nous savons d’ores et déjà que, lorsqu’une civilisation est étroitement connectée dans un réseau commercial tissé serré comme l’est le nôtre, une perturbation du système économique peut induire une réaction en chaîne d’effondrement irréversible, si la capacité de résilience du système naturel a été trop profondément compromise. Qu’on se le tienne pour dit !
Bibliographie
[1] Jared Diamond, Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (2005) Gallimard, Folio Essais. ; La dégradation de l’environnement et l’effondrement des sociétés, Planète viable (2012) https://planeteviable.org/degradation-environnement-effondrement-societes/.
[2] Scott Heckbert, Lessons from a simulated civilisation, Global change (2013) 81 28-31, International Geopshere-Biopshere Programme (IGBP)
http://www.igbp.net/news/features/features/lessonsfromasimulatedcivilisation.5.64c294101429ba9184d4ba.html