jeudi, novembre 21, 2024

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Les catastrophes environnementales : une responsabilité différenciée mais largement partagée

Selon le Bureau de la sécurité des transports (BST), le déraillement du train à Lac-Mégantic pourrait être la catastrophe la plus dévastatrice du Canada [1]. Il s’agit d’une terrible tragédie humaine ; un drame qui n’aurait pas dû se produire. Elle est aussi à classer parmi les catastrophes environnementales au même titre que le déversement de BPC à Bhopal, l’accident nucléaire de Tchernobyl ou l’explosion de la plateforme Deep Horizon. Le fait que des personnes y aient péri les distingue des catastrophes telles que la marée noire de l’Exxon Valdez ou de l’Amoco Cadiz par exemple, mais elles appartiennent fondamentalement à la même famille d’accident. En plus de son trop lourd bilan en vies humaines fauchées, Lac-Mégantic aura vu le déversement de 5,7 millions de litres de pétrole dans l’environnement [2]. Comme d’autres, cette catastrophe montrera probablement qu’elle résulte d’une combinaison de problèmes : économie sur la mise en œuvre des normes de santé-sécurité, réglementation complaisante dans ses normes et son application, et erreurs humaines. Mais elle relève également de l’incohérence collective de nos actions.

Redéfinir notre gestion des matières dangereuses

Les commentaires actuels sur la tragédie de Lac-Mégantic portent surtout sur l’amélioration du transport du pétrole par train et sur les mesures de précautions, de surveillance et de sécurisation à mettre en place. Comme toujours dans nos sociétés, plutôt que de s’attaquer à l’origine réelle des problèmes, nous mettrons probablement en place des demi-mesures, des « plasters » qui donnent bonne conscience et qui ne bouleversent pas trop nos façons de faire. Bref, plutôt que de guérir, on soulagera. Pourtant, la catastrophe devrait conduire à une réflexion et à des changements plus profonds sur nos choix de sociétés. D’ailleurs, pourquoi attendre que de tels désastres se produisent et ne pas faire en sorte de les prévenir ?

Ainsi, les événements de Lac-Mégantic devraient nous amener à revoir non seulement le transport du pétrole, par train mais surtout celui des matières dangereuses en général, et ce quel que soit le moyen de transport utilisé (train, camion, bateau). Il faudrait donc revoir les normes et mesures de sécurité dans le transport en général. Les camions en particulier constituent une menace importante car ils traversent les villes et sont, plus que tout autre moyen de transport, propices aux erreurs humaines, celle du conducteur ou d’un autre usager de la route. Il serait donc approprié de proscrire le passage des matières dangereuses dans les zones urbanisées, car le risque vis-à-vis de la sécurité des populations n’est pas acceptable. Et pourtant, force est de constater que ce risque semble pourtant parfaitement accepté, y compris par les villes et les populations.

Plus généralement, les usines qui stockent, transforment ou traitent des matières dangereuses devraient être tenues éloignées des zones urbaines. Plus globalement encore, les voies de transport et les usines devraient aussi éviter les aires qui sont en relations directes et qui alimentent les centres urbains (lacs et rivières par exemple). Imagine-t-on en effet les conséquences de la contamination d’une source d’eau potable pour des villes comme Montréal, Sherbrooke ou Thetford-Mines ?

Au fond, nous devrions prévenir plutôt que guérir. Mais on oppose souvent des arguments économiques, par exemple que détourner les voies de chemin de fer coûterait trop cher ! Mais combien coûte une seule vie humaine ? Combien de vies bouleversées par nos choix de sociétés ? Et combien coûte financièrement ce genre de tragédie ? Faites la somme : frais funéraires + soins médicaux + soins psychologiques + frais de récupération du pétrole, de nettoyage et de décontamination (de la ville et des cours d’eau) + frais de démolition des structures instables + frais de reconstruction des infrastructures, des bâtiments et des maison + frais de dédommagements + frais de redémarrage des entreprises + etc. La facture humaine, sociale et monétaire sera salée.

Transport ferroviaire ou oléoduc ?

Dans un contexte où la production de pétrole du Canada augmente, la controverse entourant les événements de Lac-Mégantic se déplace par ailleurs sur les avantages de l’oléoduc par rapport au transport ferroviaire, le premier étant vanté pour ses vertus plus sécuritaires. Les oléoducs passent en effet rarement dans les centres urbains, ils ne mettent donc pas la vie immédiate des populations en danger. Mais, que l’on ne s’y trompe pas : ils sont loin d’être inoffensifs pour les habitats, la faune et la flore. Le nombre de déversements accidentels, par fuite ou rupture, constitue une menace pour les résidents et l’environnement [3]. Le pétrole, l’accident de Lac-Mégantic nous l’a hélas rappelé, contient aussi de nombreux composés toxiques. Comme les infrastructures ferroviaires, les oléoducs vieillissent, peuvent subir les contraintes extérieures, notamment météorologiques ou géologiques, ils peuvent comporter des défauts ou être sujet aux erreurs humaines [3].

Et plus notre production de pétrole augmente, plus nous en transportons, et donc plus nous augmentons la probabilité d’un accident, que ce soit par train ou oléoduc. Et quand la quantité d’hydrocarbure à transporter ou à transformer devient trop grande, la probabilité de conséquences néfastes augmente. Comme le mentionne un rapport du Parlement du Canada [3], selon l’EUB (Energy and Utilities Board) de l’Alberta, il y a eu 4 769 déversements d’hydrocarbures liquides dans cette province entre 1990 et 2005. De ce nombre, six impliquaient de 1 million à 10 millions de litres d’hydrocarbures (voir aussi [4]). Sur la même période, 4 717 déversements étaient inférieurs à 100 000 litres. Le nombre total de déversements est passé de 168 par an en 1990 à 311 par an en 2005, et ce nombre reste relativement inchangé depuis 10 ans.

En nombre de déversements d’hydrocarbures par unité de longueur d’oléoduc, la sécurité des oléoducs s’améliore, mais la longueur des oléoducs augmentant, le nombre de déversements demeure quasiment constant [3]. Selon le même principe, les voitures sont de plus en plus efficaces, mais le parc automobile s’accroît, de sorte que globalement la demande en pétrole augmente. L’état de la planète ne peut évidemment se contenter de genre de stagnation ou  de régression et exige une réduction de la pollution qui ne sera atteinte que par une réduction de notre consommation de pétrole.

La production totale de pétrole brut au Canada, principalement les sables bitumineux, était en 2010 de 2,9 Mb/j (milliers de barils par jour), soit 1 millions de barils par an. Selon Ressources naturelles Canada, elle pourrait excéder 4,5 Mb/j au Canada d’ici 2025 [5]. Devant Cette forte poussée exercée par la croissance de la production de pétrole des sables bitumineux, les lobbys vont se monter très persuasifs et plus insistants encore pour transporter un pétrole dont on doit pourtant s’affranchir et pour faire accepter les projets d’oléoduc tel que Keystone XL aux États-Unis et le Northern Gateway au Canada.

Or, ces projets vont à l’encontre de l’intérêt public. L’augmentation actuelle de la production de pétrole (sables bitumineux) en Amérique du Nord ainsi que l’augmentation de son utilisation est totalement anachronique et même absurde dans un contexte où il devient impérieux de se défaire de notre dépendance au pétrole. Cette tendance à l’augmentation va non seulement à l’encontre du bien-être futur des citoyens, mais elle s’oppose aux intérêts économiques à long terme du pays. Et pour qui veut s’opposer à la construction et l’utilisation des oléoducs, la meilleure réponse à apporter, en plus de militer activement pour faire connaître son point de vue, reste de réduire sa consommation.

La responsabilité du consommateur

Comme souvent dans ce genre d’événement tragique, l’enquête montrera probablement que la cause de l’accident de Lac-Mégantic résulte d’un faisceau de problèmes : réduction des coûts et/ou négligence de l’entreprise, faiblesse de la réglementation en cours, voire laxisme, et erreur humaine. Cette dernière étant inévitable, le risque zéro n’existe pas. Nous ne savons pas exactement quelles personnes ou organismes seront finalement blâmés, mais la responsabilité d’un accident environnemental, si elle incombe à divers intervenants chacun dans des proportions différentes, elle est dans les faits bien plus largement partagée encore. En effet, un dernier facteur accroît la probabilité d’une catastrophe environnementale : la (sur)consommation.

Dans le cas du pétrole, notre utilisation collective grandissante accroît la demande en hydrocarbures, donc leur transport et par suite, la probabilité qu’un accident ait lieu lors du transport ou de la phase de transformation. Nous ne sommes donc bien sûr pas individuellement coupables, ni même responsable au même titre que les institutions et les personnes qui jouent un rôle clé dans le transport des matières dangereuses, mais nous avons collectivement et en tant qu’individu une part de responsabilité. Ce raisonnement s’applique à toutes les autres matières dangereuses qui sont utilisées pour la production des produits commerciaux que nous consommons. On ne peut pas se plaindre que trop de pétrole soit transporté et continuer de l’utiliser sans se remettre en question, sans essayer de réduire sa consommation ! On ne pas blâmer les responsables directs d’une catastrophe écologique et ne pas se remettre soi-même en cause, du simple fait qu’en tant que membre de la société, nous sommes tous les utilisateurs de ces produits. La demande, c’est encore nous qui la créons, même si notre style de vie nous obligent à nous plier à toutes sortes de contraintes. Nous faisons preuve d’une grande incohérence (ou tout au moins d’un grand paradoxe) entre nos demandes en matière de sécurité ou nos exigences écologiques, et nos actions quotidiennes (ou plutôt notre absence d’action de réduction).

Comme le dit Ian Tattersall dans son ouvrage L’émergence de l’homme [6], « Ainsi, nouvelle contradiction, nous avons conspué la société Exxon, lors de la marée noire due à l’Exxon Valdez, un accident éminemment statistique, tout en sachant, si nous avions bien voulu nous l’avouer, qu’en termes de chaîne de responsabilité, les vrais coupables, c’était nous tous chaque fois que nous mettions en route le moteur du filtre de notre piscine ou celui de notre voiture ». Bien que sans nuance, cette affirmation est fondamentalement justifiée et devrait susciter réflexion et action.

Bibliographie

[1] Point de presse, Jean Laporte, Administrateur en chef des opérations, Bureau de la sécurité des transports (BST) du Canada (12 juillet 2013) http://www.bst-tsb.gc.ca/fra/medias-media/discours-speeches/2013/07/r13d0054/r13d0054-20130712.asp

[2] Lac-Mégantic : quantités de pétrole déversées et récupérées, Ministère du développement durable, de l’environnement, de la faune et des parcs (22 juillet 2013) [En ligne] http://www.mddep.gouv.qc.ca/infuseur/communique.asp?no=2537 ; consulté le 27 juillet 2013.

[3] Les oléoducs : considérations environnementales, Tim Williams, Division de l’industrie, de l’infrastructure et des ressources, Parlement du Canada (2012) [En ligne] http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/ResearchPublications/2012-37-f.htm ; consulté le 24 juillet 2013.

[4] Gros plan sur la sécurité et l’environnement – Analyse comparative du rendement des pipelines – 2000-2009, Office nationale de l’énergie, (décembre 2011) [En ligne] http://www.neb-one.gc.ca/clf-nsi/rsftyndthnvrnmnt/sfty/sftyprfrmncndctr/fcsnsfty/2011/fcsnsfty2000_2009-fra.html#s3_5 ; consulté le 27 juillet 2013.

[5] Pétrole brut, gaz naturel et produits pétroliers canadiens : Revue de 2009 et perspectives jusqu’en 2030, Direction des ressources pétrolières Secteur de l’énergie, Ressources naturelles Canada (2011).

[6] Ian Tattersall, L’émergence de l’homme (1998) Folio essais, Gallimard.

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