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Quel climat futur pour l’Antarctique ?

Selon les prévisions communément admises, le réchauffement anthropique du climat Antarctique devrait induire une boucle de rétroaction positive dans cette région. Cependant, les travaux qu’a présentés le 5 juin dernier à l’Université Laval Ghislain Picard, Professeur à l’Université Joseph Fourier de Grenoble, montrent que si l’on considère également les précipitations neigeuses, une rétroaction négative pourrait avoir un effet contraire et contrebalancer la première.

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 Dans les régions recouvertes de neige, le blanc manteau joue un rôle important sur le climat régional. En effet, la neige apparaît blanche parce qu’elle réfléchit toute le spectre de la lumière visible du Soleil. Cette propriété fait que la neige réfléchit la majeure partie de la lumière qu’elle reçoit (au-delà de 80%) : on dit qu’elle a un albédo élevé. En réfléchissant la majeure partie de la lumière solaire, elle en absorbe peu et l’échauffement local dû au Soleil est limité. Au contraire, le bitume, par exemple, absorbe une grande partie de la lumière du soleil, ce qui le réchauffe considérablement (et parfois le fait fondre !).

Or, la valeur de l’albédo de la neige change selon le type de neige (sèche ou humide) ou selon la taille des cristaux, ce qui peut avoir un impact sur le climat régional. En Antarctique, la surface est constituée en grande majorité d’une neige sèche, car la température ne dépasse jamais 0°C. La neige, également, est pure, quasiment exempte d’impuretés, ce qui limite davantage encore l’absorption de la lumière solaire. L’Antarctique représente donc d’un modèle idéal pour étudier les effets de neige sur le climat, notamment celui de la taille des cristaux, aussi appelée taille de grains.

Pour mesurer la taille des cristaux, M. Picard et son équipe ont utilisé la télédétection d’ondes micrométriques émises par la surface enneigée de l’Antarctique à Dome C, une zone du plateau de l’Antarctique culminant à plus de 3 000 mètres. On mesure ainsi le rayonnement thermique de la neige, ce qui renseigne sur la taille de grains, car plus les cristaux de neige sont gros, moins l’albédo est élevé, ce qui, par suite, a un effet de réchauffement.

Le télédétecteur qu’a utilisé l’équipe de Ghislain Picard permet de faire les mesures passives à deux fréquences, soient 89 et 150 GHz, et permet de mesurer la température de la surface mais la profondeur sondée varie selon la fréquence : environ 20 cm à 89 GHz et 4 cm à 150 GHz. La température mesurée de la surface est donnée par :

Texp = <є(z)>.<Ts(z)>,

où є(z) est l’émissivité de la « surface » à la profondeur z, qui elle-même dépend essentiellement de la taille de grains pour de la neige sèche, Ts(z) est la température de la surface et < > signifie que l’on calcule la valeur moyenne sur l’épaisseur échantillonnée.
La profondeur de pénétration étant différente aux deux fréquences, c’est donc dire que les mesures réalisées à 150 GHz nous renseignerons davantage sur la surface et seront davantage sensibles à la taille de grains du couvert neigeux surfacique tandis que les mesures effectuées à 150 GHz seront essentiellement influencée par la température qui règne dans la région. Ces propriétés permettent de définir un « index de grain » GI (grain index) donné par :

GI = (T89exp – T150exp)/ T89exp

T89exp est une grandeur normalisée et augmente avec la taille de grain. La série temporelle de GI entre 2000 et 2010 est montrée sur la figure ci-dessous :

Taille de gain CNRS
GI en fonction du temps entre 1999 et 2011. Source : ©LGGE 2012

On peut observer que GI varie selon un cycle plus ou moins régulier. Une augmentation rapide a lieu en décembre et janvier (soit, l’été antarctique) tandis qu’une décroissance, plus lente, s’étale de février à novembre (l’hiver en Antarctique).

La décroissance ne peut être due à un changement de structure des cristaux de neige. Seul le dépôt de grains nouveaux par les précipitations de l’hiver peut expliquer la diminution du GI : l’apport de grains plus petits fait diminuer GI. Le profil de décroissance de GI correspond d’ailleurs très bien au régime de précipitations de neige observé annuellement.

L’augmentation observée en l’été est, elle, causée par l’augmentation de la taille de grain due au transport de grain à grain de la vapeur d’eau. En effet, la disponibilité de la vapeur d’eau augmente avec la température et elle est ainsi multipliée par 250 entre l’hiver (où la température est d’environ -70°C) et l’été (où la température d’environ -25°C).

Un modèle a été développé pour simuler la vitesse de croissance de GI. Dans ce modèle, la croissance de la surface du grain est proportionnelle au gradient vertical de la pression de la vapeur d’eau, qui lui-même dépend du gradient vertical de température. L’effet est d’autant plus important que le gradient est très élevé. Le gradient résulte de l’effet de serre solide : la neige est normalement réchauffée par les rayons du soleil, mais dans toute la première couche de la surface, du fait de l’émission de rayonnement infrarouge par la surface, la température est en réalité plus froide que plus profondément, d’où le fort gradient de température.

Globalement, le cycle de la série temporelle GI montre que deux types de rétroaction peuvent coexister en Antarctique. L’hiver est dominé par la boucle de rétroaction négative : une augmentation de la température fait augmenter les précipitations, ce qui se traduit par une diminution de la taille de grain, ce qui augmente l’albédo de la surface, ce qui en fin de compte a tendance à refroidir le climat. La rétroaction positive stipule qu’un réchauffement fait croître la taille de gain, ce qui augmente l’albédo et finalement réchauffe le climat.

Deux types de rétroactions
Descriptions des deux types de rétroactions ayant lieu en Antarctique.

Selon les estimations de Ghislain Picard et son équipe, une augmentation globale de la température planétaire de 3°C telle que suggérée par certains scénarios climatiques pour le 21ième siècle, conduirait à des précipitations accrues de 20%, soit une augmentation de l’albédo de  0,04 unité, et donc à une diminution de la température moyenne des basses couches de l’atmosphère de 0,3°C. Par ailleurs, si on considère le même scénario, le changement d’albédo provoqué par l’augmentation de la taille de grain serait de 0,03. Autrement dit, l’augmentation de la température moyenne de la région par le phénomène de rétroaction positive serait quasiment compensée par celle due à la rétroaction négative.

Ces résultats montrent la complexité des phénomènes rétroactifs climatiques, et démontrent que des travaux sont encore nécessaires pour en comprendre tous les rouages.

 

Sources :

  • Conférence conjointe CEN-Takuvik de Ghislain Picard « Climat futur de l’Antarctique: comment les transformations physiques de la neige permettent de prédire une rétroaction négative neige-albédo-précipitations-climat » | Jeudi, le 5 juillet 2012, Pavillon Abitibi-Price, local 1111
  • G. Picard, F. Domine, G. Krinner, L. Arnaud et E. Lefebvre, Inhibition of the positive snow-albedo feedback by precipitation in interior Antarctica, Nature Climate Change, Publié en ligne le  1er juillet 2012 | (doi: 10.1038/nclimate1590) Résumé  sur le site du journal

 

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