Il existe un lien direct entre le capital manufacturé et le capital naturel, puisque les ressources dont sont composés les produits industriels sont toutes prélevées dans la nature. De plus, leur extraction et leur utilisation dictent l’anthropisation des territoires et l’intensité de la pollution. Connaître l’évolution des quantités de produits utilisés dans nos sociétés revêt dont une grande importance. Une étude récente rapporte l’évolution des quantités de divers produits industriels utilisés aux États-Unis au cours du dernier siècle. Les données montrent une augmentation de la quantité, de la diversité et de la complexité du capital manufacturé de ce pays. Si on étend ce résultat à l’ensemble des nations du même type ou à celles qui s’en rapprochent, on comprend mieux pourquoi le monde accroît continuellement son utilisation de matière.
Bien que l’on connaisse les mécanismes de détérioration de la nature par l’être humain, il faut toujours (hélas devrait-on dire) disposer d’études scientifiques qui appuient les évidences par des données quantitatives. Elles sont en effet nécessaires pour convaincre les décideurs ou confondre les sceptiques… Il a été question dans ce blogue du rôle de certains traits technologiques sur notre empreinte écologique. Cet impact, qui doit être replacé dans le contexte des dérives de notre système économique, se traduit par une évolution rapide des produits industriels (donc leur remplacement du fait de leur désuétude), leur multiplication dans les foyers et leur complexification (plus de matériaux qui les composent, plus d’énergie pour leur fonctionnement).
Même si ces constatations semblent évidentes, elles manquent d’appui quantitatif. Alors quel réconfort de voir que ces thèses sont confirmées par les données scientifiques ! Les auteurs d’une étude [1] ont en effet rapporté l’évolution du nombre de plusieurs produits industriels aux États-Unis, certains regroupés en familles. L’article est articulé autour de la notion de « stock de produits utilisés » (in-use capital stocks) dont il a été question ailleurs. Ce paramètre est important car la fabrication, le renouvellement, la maintenance et l’utilisation des stocks de produits utilisés déterminent le cycle anthropique des matériaux. Les États-Unis peuvent être considérés comme un pays occidental typique.
Pour certains produits (par ex. les locomotives), on remonte plus de 100 ans en arrière. On s’aperçoit que l’évolution des divers produits industriels étudiés suit différents patrons [1]. Cependant, il ressort globalement que pour un produit industriel donné, le stock d’utilisation de ce produit finit par stagner puis par décroître : ou bien le produit devient désuet (inutile), ou bien il est remplacé par une version plus moderne. On peut ainsi observer au fil du temps des « vagues » successives qui voient l’essor des différents produits (leur apparition sur le marché) et leur stagnation, puis une décroissance (pour les produits les plus anciens) comme on peut le voir sur la figure ci-dessous.
Les résultats de cette étude confirment ce que d’aucuns aura remarqué et compris intuitivement : on observe dans nos sociétés une augmentation au fil du temps des stocks de produits utilisés. Ce résultat n’est pas seulement dû à l’augmentation de la population, car le nombre d’un produit donné augmente au sein même des foyers (téléviseur, autos).
De plus, les produits industriels se diversifient. Donc, nous achetons/utilisons/jetons de plus en plus de produits différents. Résultat : les quantités de matière utilisée par les sociétés augmentent. Ce phénomène est accentué par une augmentation de ce que les auteurs appellent la qualité des produits, et ce que j’appelle leur complexification. Il s’agit de la modernisation de certains appareils. À titre d’exemple, une voiture contemporaine comporte plus d’accessoires que les précédentes. Pensons aux systèmes électrique d’ouverture des fenêtres, au démarrage à distance, aux systèmes pour chauffer ou refroidir les sièges, ouvrir le coffre avec le pied, stationner en mode automatique, bientôt une conduite entièrement autonome, etc.).
Cette augmentation de la masse de matière utilisée est inquiétante car l’impact écologique qui en résulte s’accroît à la même vitesse. Et comme on l’a vu plus haut, elle augmente plus vite que la population. C’est donc dire que notre mode de vie n’est pas soutenable. Ce mode de vie résulte du système économique, qui pousse à produire et consommer toujours plus, mais aussi de cette croyance que les biens matériels font le bonheur. Voilà des questions sur lesquelles nous devrions nous pencher très très vite afin d’éviter une dégradation environnementale trop sérieuse…
Référence
[1] Wei-Qiang Chen et T. E. Graedel, In-use product stocks link manufactured capital to natural capital, Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA 112 (2015) 6265–6270 http://www.pnas.org/content/112/20/6265.abstract
Tous conscients : vers la décroissance démographique et consumériste . Stop gaspillage, obsolescence programmée, transports avion bon marché , aides à la consommation, allocations familiales au-dessus de 2 enfants…