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Le réchauffement planétaire est-il irréversible ?

On entend souvent dire que même en cessant du jour au lendemain nos émissions de GES, le réchauffement climatique causé par nos émissions passées est inéluctable et que le climat continuera de se réchauffer pendant des siècles. Cette affirmation est-elle vraie ou s’agit-il d’une mauvaise interprétation de la science ? La réponse est importante car elle peut influencer notre perception vis-à-vis des réductions des émissions de GES que nous devons réaliser. Elle pourrait par exemple nous faire croire que nos efforts visant à diminuer nos émissions de CO2 sont sans effets. Alors qu’en est-il réellement ? La science répond que le réchauffement déjà atteint est irréversible mais que nos réductions ont un impact immédiat et positif sur le bilan énergétique de la Terre. Nos efforts visant à réduire nos émissions de GES ne sont donc pas inutiles. De plus, dans le cas d’un arrêt complet et hypothétique de nos émissions, le système planétaire serait placé dans une situation de statu quo où la température planétaire atteinte conserverait cette valeur pendant au moins 1000 ans. Ce résultat implique que nous devons réduire nos émissions de façon radicale au plus vite pour éviter un réchauffement trop élevé et permanent.

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L’inertie thermique des océans

Il est bien établi que le système planétaire ne répond pas instantanément à une modification du forçage radiatif résultant d’une augmentation de CO2. Les océans absorbent la chaleur mais ils représentent une masse d’eau gigantesque qui a une capacité calorifique élevée, de sorte que la température des océans augmente lentement et qu’ils peuvent stocker une grande quantité de chaleur. Par suite, les océans constituent une sorte de réservoir thermique qui tamponne les fluctuations naturelles de température. L’inertie des océans à absorber la chaleur est la principale cause du délai existant entre une perturbation thermique et la réponse du système climatique terrestre.
L’effet d’inertie thermique des océans a en effet tendance à ralentir la hausse de la température planétaire résultant du CO2 anthropique, car il répond avec un certain délai. Il garde ainsi du réchauffement « pour plus tard ». Mais, contrairement à ce que pourrait laisser supposer ce résultat, cela ne signifie pas que le climat mondial continuerait de se réchauffer même si on stoppait totalement nos émissions aujourd’hui. En fait, les scientifiques ont montré que la hausse de la température planétaire résultant des émissions de CO2 passées est effectivement irréversible sur une période de mille ans au minimum (à notre échelle, cela signifie permanent). [1,2] Cependant, les modèles du climat montrent aussi que si nous n’émettions plus de CO2 du jour au lendemain, la planète conserverait une température constante égale à celle atteinte au moment de l’arrêt des émissions pendant un millénaire. Si par exemple cette interruption avait lieu aujourd’hui, la température resterait de façon permanente constante à sa valeur actuelle, soit 0,6-0,7°C au-dessus la valeur de 1880. Ces travaux montrent de façon similaire que si nous diminuions nos émissions de CO2 dès aujourd’hui, le rythme d’augmentation de la température planétaire ralentirait immédiatement.

L’inertie du cycle du carbone

Mais, si l’inertie thermique des océans « garde du réchauffement pour plus tard », pourquoi le climat ne continue-t-il pas de se réchauffer quand on annule les émissions de CO2 ? C’est parce qu’on néglige un second phénomène d’inertie, relié celui-ci au cycle du carbone. La concentration de CO2 dans l’atmosphère est déterminée par ses sources (volcans, photosynthèse, décomposition de la matière organique, émissions anthropiques) et ses puits ou réservoirs (photosynthèse, océans, formation des hydrocarbures). Or les océans absorbent le CO2 sur le long terme diminuant la concentration atmosphérique de CO2 et réduisant ainsi le forçage radiatif (mais cette absorption conduit à l’acidification des océans). Il se trouve que l’inertie climatique des océans qui tend à réchauffer la planète est de même amplitude mais opposée à l’inertie du cycle du carbone. [1-3] Résultat : les effets s’annulent de sorte que l’arrêt des émissions de CO2 se traduirait par le statu quo.

Inertie du climat
Schéma des différents effets d’inertie influençant le climat et conséquence sur l’évolution de la température planétaire pour différents scénarios d’émissions à partir d’aujourd’hui. Courbe verte : arrêt complet et immédiat des émissions de GES ; courbe bleue : réduction élevée des émissions de GES ; courbe orange : réduction faible des émissions de GES ; courbe noire : mesure de la température moyenne de la Terre entre 1950 et aujourd’hui. (D’après Matthews & Solomon Science 340 (2013) 438).

Conséquences

Ces travaux sur l’irréversibilité du réchauffement climatique conduisent aux conclusions suivantes :
• Toute quantité de CO2 ajoutée à l’atmosphère, chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire, aura un impact pour une période minimale de 1000 ans. Autrement dit, chaque décennie, chaque année et chaque semaine d’inaction vis-à-vis de la réduction des émissions ou d’action inappropriée ou insuffisante aggrave pour au moins un millénaire le réchauffement climatique. La responsabilité de la dégradation du climat futur ne peut donc pas être uniquement rejetée sur les générations passées.
• Pour arrêter complètement la hausse de la température planétaire, il faut réduire nos émissions à zéro ou presque. Cela signifie que si on vise par exemple à limiter la hausse à 2°C, on ne peut attendre d’avoir atteint cette température pour commencer à réduire nos émissions en espérant réduire la température en quelques décennies. L’objectif de réduction se planifie le plus tôt possible et doit être le plus ambitieux possible.
• On ne peut et on ne pourra jamais réduire nos émissions de GES, même drastiquement, afin d’inverser le réchauffement planétaire. Le réchauffement atteint est permanent (sur 1000 ans).

Ces recherches ont d’importantes conséquences sociopolitiques car elles montrent qu’il n’y a pas de fatalité en matière de réchauffement climatique. Bien que la situation actuelle soit irréversible, un réchauffement supérieur n’est pas inéluctable et le futur n’est pas dicté par le passé. Autrement dit, le réchauffement supplémentaire qui aura lieu (ou qui n’aura pas lieu) dans l’avenir résultera uniquement des émissions produites (ou évitées) entre aujourd’hui et le point du futur considéré. Nos réductions d’émissions de CO2 auront ainsi un effet immédiat sur le climat. Il est évident que le climat que subirons les générations futures est un legs qui sera déterminé par nos actions et notre inaction et ceux des générations passées. Au fond, le réchauffement climatique à venir ne dépend pas de l’inertie du système terrestre, il ne dépend que de l’inertie politique et socioéconomique de nos sociétés. [4]

Bibliographie

[1] Matthews & Caldeira « Stabilizing climate requires near-zero emissions » Geophys. Res. Letter 35 (2008) L04705
[2] Solomon et coll. « Irreversible climate change due to carbon dioxide emissions » Proc. Nat. Acad. Sci. 106 (2009) 1704.
[3] Matthews & Solomon « Irreversible does not mean unavoidable » Science 340 (2013) 438.
[4] Lindsay Wilson « How Big is the Climate Change Deficit? » Serendipity
http://www.easterbrook.ca/steve/2013/02/how-big-is-the-climate-change-deficit/

 

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2 Commentaires

  1. Les climatologues semblent oublier systématiquement les boucles de rétroaction positives qui, une fois mises en action, feront augmenter la température, QUOI QUE L’ON FASSE. Ex: le pergélisol émet du méthane qui augmente la température et qui fait fondre d’avantage le pergélisol. Même chose pour l’augmentation de la température des mers qui provoque une plus grande évaporation qui contribue à l’augmentation de la température, ce qui cause encore plus d’évaporation. Même chose pour la fonte des glaciers qui annule l’albédo, ce qui provoque l’augmentation des eaux de surface. Feux de forêts intenses partout sur la planète, désertification etc. etc.

    • Merci de ce commentaire intéressant. Les boucles de rétroaction positives sont en effet très importantes dans ce domaine, et je ne pense pas que les climatologues les négligent. Je pense au contraire qu’elles sont intégrées dans les modèles climatiques. De plus, à ma connaissance, nous ne sommes pas encore rendu à un point où les rétroactions que vous citez s’auto-entretiennent et soient hors de contrôle. Nos actions ont donc encore une influence déterminante. Autrement dit, il reste essentiel de réduire nos émissions de GES aussi vite que possible et le plus radicalement possible. Mais il est vrai que ces rétroactions représentent de lourdes menaces.

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