Il y a 440 réacteurs nucléaires civils dans le monde, dont la moitié se trouve en Europe. Il est peu connu que l’entretien des centrales françaises est réalisé à 80% en sous-traitance. Ces travailleurs prennent des risques constants pour leur santé et ont les conditions de travail difficiles. C’est ces travailleurs de l’ombre et leur rôle pour la sûreté nucléaire que, Alain de Halleux, réalisateur de « RAS nucléaire, rien à signaler », a voulu mettre en lumière. Ce film documentaire percutant et original a été présenté samedi 17 avril au Festival du Films de Portneuf sur l’Environnement 2010.
En juillet 2006, le monde est passé à 7 min de l’explosion d’un réacteur nucléaire à Forsmark en Suède. Un nouveau Tchernobyl a failli avoir lieu. Les responsables de la centrale y ont vu le signe d’une bonne efficacité des mesures de sécurité, mais les employés déplorent plutôt l’inconscience des dirigeants qui n’écoutaient pas les messages d’alertes qu’on leur envoyait. Ceux-ci ont attendu la dernière limite pour provoquer un arrêt de la centrale pour des raisons économiques. Mais s’il avait fallu qu’un un accident aussi grave se produise, les conséquences pourraient alors être bien pires à Tchernobyl qu’en Occident, car personne ne serait aller s’exposer aux radiations extrêmes pour réparer les dégâts comme de fut le cas en Ukraine. Personne ne serait aller se sacrifier pour refroidir le réacteur et décontaminer la zone.
C’est à partir de ce constat que Alain de Halleux a voulu montrer la réalité des travailleurs de l’industrie nucléaire en France, et par le fait même, les dessous de la gestion d’une centrale au quotidien. Alors que les centrales étaient auparavant gérées par le public, elles sont passées aux mains du privé. L’entretien des centrales se fait lorsque la centrale est en arrêt, lors des « arrêts de tranches ». Ceux-ci doivent être limités en durée car toute interruption du réacteur coûte cher. Également par souci de rentabilité, l’industrie nucléaire fait appel à la sous-traitance. Un témoin explique globalement la situation : « de la philosophie du risque 0, on est passé à la philosophie du risque calculé ».
Les employés qui travaillent en sous-traitance ont des conditions de vie difficiles : ils sont toujours en déplacements, changent souvent d’employeur et n’ont pas de gros salaires malgré risques pour leur santé. Ils interviennent sur les différents réacteurs au gré des arrêts de tranches. Ces travailleurs sont exposés à des doses régulières de radiations plus ou moins dangereuses. Certains on développé des leucémies. Mais ils ne peuvent demander de prestations de maladie, soit parce que cela fait trop longtemps qu’ils ont arrêté de travailler soit parce qu’ils ont travaillé pour plusieurs entreprises et qu’il est impossible de déterminer l’employeur légalement responsable. Pour des raisons de santé, la quantité d’irradiations que reçoivent ces travailleurs tout au long de leur vie ne doit pas dépasser une certaine limite. Si la dose est atteinte avant l’âge de la retraite, il faut changer de métier… Des employés spéciaux du nucléaire, les « jumpers », sont particulièrement exposés puisqu’ils doivent pénétrer dans des recoins de la centrale situées très près du cœur du réacteur. Les interventions doivent alors être les plus courtes possibles, moins de 1 min 30 à 2 min.
Un des problèmes soulevé par le film est que ces travailleurs subissent des pressions énormes. Par les contrôles qu’ils effectuent, ils ont la sûreté des centrales entre leurs mains et n’ont pas droit à l’erreur. Mais leurs résultats ne sont pas nécessairement compatibles avec les contraintes économiques. Leurs conclusions sont donc parfois remises en cause par leurs collègues des centrales ou par les responsables. C’est ainsi qu’un contrôleur technique qui a détecté ce qui pouvait être une fissure potentiellement dangereuse ou simplement une rayure a été invité à écrire « RAS » sur son rapport. Ces pressions sur les salariés, la précarité d’emploi et le peu de reconnaissance qu’ils reçoivent provoquent des cas de dépressions, d’épuisements professionnels voire des suicides parmi ces travailleurs.
Ce film nous révèle un aspect peu connu de la gestion des centrales nucléaires. Ce manque est maintenant comblé. Les travailleurs de la sous-traitance sont un des piliers de la sécurité nucléaire, mais leurs conditions de travail se détériorent régulièrement. Pourtant, la sécurité des centrales est trop importante pour être négligée. Un accident serait un accident de trop, car les conséquences seraient dramatiques.
« RAS nucléaire, rien à signaler »
(2009) Belgique/France
Réalisé par : Alain De Halleux
Écrit par : Alain De Halleux
Production : Crescendo Films & Iota Productions
(voir le dossier de presse avec l’entrevue de Alain De Halleux)
Sélections en festival :
- Festival International de documentaire « Visions du réel » de Nyon, 2009 (Section investigations)
- Festival DOK de Leipzig, 2009
- Rencontres Internationales du documentaire de Montréal (RIDM), 2009
- Festival du Film militant d’Aubagne, 2009
- Kassel Doc Film, 2009
- Festival international du Grand Reportage d’Actualité et du documentaire de société (FIGRA), 2010
- Festival image Santé de Liège, 2010
- Festival de films de Portneuf sur l’environnement, Québec, 2010