Comment conduire sa vie après avoir réalisé que, par incurie collective, le climat s’emballe irréversiblement, que les écosystèmes s’étiolent, que les ressources s’épuisent et qu’un effondrement sociétal est inéluctable ? C’est cette question qu’aborde le documentaire d’Emmanuel Cappellin Une fois que tu sais.
L’état des lieux
Le film s’ouvre par le vrombissement sourd et puissant d’un cargo, emblème de la frénésie incoercible des activités économiques et industrielles et de la surconsommation. Ce sera un leitmotiv du film.
Le premier chapitre est une cascade de brèves séquences nous lançant des images représentatives des crises écologiques et nous renvoyant à quelques événements marquant des sociétés modernes, comme le nazisme. Après cette course à l’abîme, qui brosse un portrait réaliste et troublant de la situation, le documentaire traite de la conduite qui peut être adoptée « une fois que tu sais ».
Le narrateur et protagoniste, le réalisateur Emmanuel Cappellin, nous entraîne dans une quête consistant à rencontrer différents scientifiques et experts des questions d’effondrement et de transition, pour réfléchir aux options qui s’offrent à nous face à la situation éco-sociétale que nous confrontons.
Comprendre ce que la situation requiert
Le premier intervenant est Jean-Marc Jancovici, spécialiste des questions de décarbonation, qui souligne que nous avons perdu dans les dernières décennies la conscience de devoir vivre avec des contraintes. Nous devons le réapprendre, et vivre dans les limites de ce que peut nous offrir la nature et de ce qu’elle peut absorber.
Avec Pablo Sevigne, spécialiste d’effondrement et de la transition écosociale, nous sommes déjà dans la transition. Il nous avertit qu’il ne faut pas penser qu’elle sera douce : on n’imagine pas la radicalité des mesures qui vont être nécessaires. Il pense que la situation telle qu’elle se présente nécessite de développer une « politique de l’effondrement ».
Aussi, la transition exige de « l’énergie collective », qu’il sera possible de générer par la communauté et la démocratie locale. Pablo Sevigne ajoute qu’il s’agit bien d’un pari puisque nous pouvons échouer, mais que dans les circonstances, nous n’avons tout simplement pas le choix.
Richard Heinberg, spécialiste en écologie, collectivité durable et déplétion énergétique, nous livre un moment fort en émotion alors qu’il avoue de pas avoir voulu d’enfant à cause de la situation actuelle et à venir, tout en étant découragé de constater que même un confort minimal, qui peut sembler bien modeste à première vue (une petite maison, une petite auto), a en réalité un coût environnemental bien trop élevé par rapport aux capacités de la planète.
Apprendre à s’adapter
Saleemul Huq est un professeur bangladais et un chercheur du GIEC. On peut le voir s’affairer lors de négociations d’une des Conférences des parties sur les changements climatiques et défendre les intérêts des pays les plus pauvres, « ceux qui ne goûtent pas au gâteau du progrès mais qui subissent les préjudices [des changements climatiques] ». Il défend avec ardeur le mécanisme de compensation des pertes et préjudices subis par les pays à bas revenu.
Les changements climatiques constituent une réalité quotidienne au Bangladesh à cause de la montée du niveau des océans. Le pays a ainsi dû se doter de ce qui est considéré comme le système d’alerte aux tsunamis le plus avancé au monde. Ils ont également dû surélever leurs maisons.
À cause de la salinisation de l’eau douce, les habitants ont dû ni plus ni moins qu’abandonner leur mode de subsistance basé sur la riziculture pour se tourner vers… la pisciculture.
Tout cela démontre une grande capacité d’adaptation. Malheureusement, l’irrépressible montée des eaux pousse encore les habitants à se renouveler : les crues de plus en plus fortes font déborder les bassins laissant s’échapper les poissons. Les résidents ont alors dû poser des filets pour retenir les poissons.
Les Bangladais ont beaucoup à nous apprendre.
Agir et se transformer
Autre point d’orgue du film : quand on réalise que les habitants du village savent parfaitement à qui incombe la responsabilité de ces calamités… À une journaliste qui lui demande à s’il est inquiet pour les pays qu’il défend, Saleemul Huq rétorque qu’il est surtout inquiet pour les pays riches. « Il est trop tard pour les pays pauvres. En ce qui les concerne, nous avons échoué ».
Selon lui, il n’y a que deux voies possibles : la solidarité ou la divergence.
Pour défendre ses causes, Saleemul Huq est prêt à donner des conférences, à manifester, voire à se faire arrêter. C’est d’ailleurs ce qui arrive à un ensemble de manifestant.e.s, de tous âges et de toutes origines, qui essaient de stopper les activités d’une mine de charbon. On assite alors à leur expulsion par la police des contestataires pacifiques et immobiles. Les gestes de désobéissance civile ne pourront qu’augmenter en fréquence, et peut-être se radicaliser si les États et les entreprises n’en font pas plus.
Avec Suzanne Moser, la dernière figure rencontrée, on entre dans une autre sphère. Devant la réalisation de l’imminence de l’effondrement, il faut simplement se reconstruire. La personne n’est plus la même « après que tu sais », un processus qui peut prendre du temps et être plus ou moins erratique.
Conclusion
Emmanuel Cappellin conclut que devant la perspective d’un effondrement, « il faut accepter l’incertitude, l’inconnu », et qu’« agir nous ramène à la vie ». L’action est sans aucun doute une réponse salvatrice face à la perspective d’un l’effondrement et à l’écoanxiété. Selon lui, nous avons besoin de récits collectifs humbles et joyeux, de faire confiance à ses voisins et d’être dignes de leur confiance.
Une fois que tu sais (2022)
- Réalisation : Emmanuel Cappellin en collaboration avec Anne-Marie Sangla
- Production : Pulp Films
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