Les personnalités du Québec ont signé mercredi 8 janvier un manifeste [1] appelant à explorer et exploiter le pétrole de la province afin d’enrichir la société. Pour Planète viable, cette initiative est dépassée, anachronique et va à l’encontre des intérêts du bien commun.
L’argumentaire des signataires, désespérément pauvre et prévisible, se développe en trois points : 1) le pétrole potentiellement contenu dans le sous-sol du Québec peut nous éviter d’importantes dépenses en importations et pourrait enrichir la société québécoise ; 2) le pétrole ne disparaîtra pas demain de nos sociétés et nous en utiliserons pour des décennies encore, alors pourquoi ne pas faire fructifier nos ressources fossiles ? 3) il est légitime d’exploiter nos ressources si on le fait en « respectant l’environnement » selon « de hauts standards de protection de l’environnement ». En conclusion, il serait déraisonnable de ne pas exploiter ce qui nous appartient.
Ce manifeste est très clairement un manifeste économique. Il ne vise pas la viabilité de la société, ce dont nous avons pourtant urgemment besoin, comme le sait qui s’est un peu sérieusement penché sur les dégradations environnementales et sociales. Les signataires ont saupoudré une misérable pincée de poudre aux yeux environnementale pour se donner bonne conscience vis-à-vis des changements climatiques et de la pollution. Leurs arguments sont réducteurs et représentatifs d’une courte vue, puisqu’ils passent sous silence la diversité des crises écologiques, soient, faut-il encore leur rappeler, la dégradation des océans (acidification, hypoxie, disparition des ressources halieutiques), l’érosion des espèces et des services écosystémiques, l’altération des cycles biogéochimiques (azote, phosphore), la diminution de la qualité des sols, la pollution, la pénurie des ressources et la déforestation. L’exploitation du pétrole n’aurait pas qu’une influence sur le réchauffement planétaire.
Le principal défaut de ce manifeste arriéré est de vouloir placer l’exploitation des combustibles fossiles au cœur de l’économie québécoise et, ce faisant, de détourner cette dernière des transformations radicales que la transition vers une société viable requiert. Certes, le Québec ne peut agir seul, mais il est plus que temps pour une société qui se veut moderne d’instaurer des mécanismes originaux, et de promouvoir des secteurs d’activité innovants, qui nous placeront enfin sur l’orbite de la soutenabilité. Ce n’est pas seulement une question de qualité de l’environnement, c’est aussi une question hautement économique. Depuis le rapport Stern [2] et ces nombreux suivants [3], nous savons en effet pertinemment que les inévitables mesures d’adaptation et d’atténuation des dégradations environnementales coûteront d’autant plus chers qu’on les mettra en place tardivement. Il y a un coût économique à dégrader l’environnement et les gouvernements devraient le prendre en compte.
Alors, si l’État québécois et certains « intellectuels » avaient de la vision, plutôt que de ressasser sempiternellement la litanie éculée selon laquelle le pétrole sera nécessaire demain, il deviendrait un chef de file mondial et prioriserait une fois pour toute la mise en place dans tous les secteurs de la société des politiques visant à réduire notre dépendance au pétrole. Voilà qui nous ferait faire des économies substantielles tout en réduisant notre empreinte écologique ! Hélas, ce n’est pas l’exploitation de « notre pétrole » qui permettra d’atteindre ces objectifs, et encore moins s’il s’agit de pétrole non conventionnel ou difficile, voire périlleux à extraire. D’ailleurs, qu’on ne se fasse pas d’illusions, même en ayant « les meilleurs standards », cette exploitation engendrerait forcément une dégradation environnementale et son lot de déversements accidentels. C’est dans l’ordre des choses ; chez l’humain, le risque zéro n’existe pas.
Le manifeste néglige d’ailleurs l’impact qu’auraient l’exploitation et les futurs déversements sur les activités dont dépendent les régions « riches » en pétroles. Ce que l’on gagnerait d’un côté pourrait être perdu, au moins partiellement, de l’autre. De la même façon, si on se concentrait enfin sur les secteurs d’avenir (la diminution de la consommation d’énergie, l’efficacité énergétique et les énergies vertes), l’économie serait stimulée au moins autant que l’exploitation des combustibles fossiles ne le ferait, tout en diminuant notre impact environnemental et en se positionnant avantageusement pour le futur. Et ceci est vrai même si les réserves de pétrole et si leur rentabilité sont avérés, ce qui est très loin d’être le cas…
Planète viable n’est pas totalement fermée à l’idée d’exploiter du pétrole, mais modérément, seulement de source conventionnelle, exploitable sans danger pour les citoyens et les écosystèmes et surtout, uniquement après avoir réellement priorisé la mise en place des actions, des institutions et promu des secteurs d’activités qui réduiront notre consommation globale, en particulier celle de combustibles fossiles. Nous ne devons pas oublier que nous, l’État et la population québécoise, n’avons que peu de « droits » sur les ressources naturelles et sommes essentiellement des fiduciaires pour les générations futures.
Au fond, ce que les signataires du manifeste n’ont pas compris, c’est que nous ne pouvons nous contenter d’avoir des activités « qui respectent l’environnement ». Nous devons instaurer un changement profond du système socio-économique qui nous fasse sortir de la logique suicidaire croissance = richesse, et qui réduise notre empreinte écologique. Ces brillantes personnalités ne pourraient-elles faire preuve d’originalité et contribuer à trouver des voies alternatives au système actuel ?
Comme tous les pays industrialisés, le Québec s’est développé au dépend de son environnement et de celui des pays en développement. La crise écologique globale que connaît la Terre est historiquement la responsabilité des pays industrialisés. Nous avons donc un devoir moral de mettre en place les premiers une société qui fonctionne avec une empreinte écologique moindre et qui devienne un exemple à suivre pour les autres nations du monde. Devant la complexité de ce défi, le manifeste pêche par un déplorable défaitisme et un regrettable manque d’ambition. On y préfère la facilité, la mise en danger du Golfe du Saint-Laurent ou de l’Île d’Anticosti et la précarisation du gagne-pain ou de la qualité de vie des résidents locaux…
Références
[1] Collectif, Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole (2014) http://www.petrolequebec.ca/
[2] N. Stern, The Economics of Climate Change (2006) HM Treasury, Londres.
[3] Voir par exemple :
L’Économie des écosystèmes et de biodiversité, intégration de l’économie de la nature (2010) The Economics of Ecosystems and Biodiversity (TEEB), Pogramme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).
Le prix à payer : les répercussions économiques du changement climatique pour le Canada (2011) Institut en environnement, développement et société de l’Université Laval, compte rendu de la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie http://www.ihqeds.ulaval.ca/no_cache/accueil/actualites/details/archive/2011/september/article/le-prix-a-payer-les-repercussions-economiques-du-changement-climatique-pour-le-canada/?tx_ttnews[backPid]=14485#.UtKkq_TuKSo