La planète se détériore rapidement sous la pression des activités humaines. La principale raison est que les fondements de notre système socio-économique s’opposent à la préservation de la nature. Une transition sociétale est donc indispensable si l’on ne veut pas que la dégradation environnementale n’altère le fonctionnement même de la civilisation et la santé humaine. Puisque nos sociétés peinent, voire rechignent, à implanter cette transition écologique, on peut de demander si cette transition est, ou sera, difficile à mettre en œuvre. Le simple fait que rien de majeur n’ait été entrepris alors que l’on connaît le danger de la dégradation environnementale pourrait laisser supposer que cette transition est difficile.
Une transition de grande ampleur est nécessaire urgemment
La question de la difficulté de la transition écologique n’est en fait pas aussi simple qu’elle n’en a l’air.
Une transition est nécessaire, cela ne fait pas de doute. La planète en témoigne, les scientifiques le rapportent depuis des décennies dans leurs travaux. Et puisque la civilisation contient de manière intrinsèque les attributs à l’origine de la dégradation environnementale, la transition doit s’attaquer au cœur de son fonctionnement. Cette perspective peut laisser penser que a transformation ne sera pas facile.
Nous ne devons pas cependant perdre de vue que la transition écologique sera d’autant moins difficile et coûtera d’autant moins chère qu’elle débutera rapidement et avec envergure. Ce fait est illustré par le célèbre rapport Stern concernant le coût de l’atténuation et de l’adaptation aux changements climatiques [1]. Cela signifie que nous aurions dû commencer à modifier le système socioéconomique il y a plusieurs décennies, au moins après le Sommet de la terre en 1992… Au minimum, nous devrions agir tout de suite, tandis que la situation économique est favorable, pendant que nous sommes à l’aise financièrement : ce sera plus facile et plus rapide, surtout devant l’incertitude des soubresauts économiques possibles de la transition écologique.
L’absence de transition écologique
Alors, pour savoir si la transition écologique est complexe, encore aurait-il fallu avoir commencé réellement, délibérément et énergiquement à opérer une transformation de la société. Or, à date, très peu a été fait par rapport à ce qui est requis pour minimiser notre impact. Comment donc savoir ou conclure sans avoir rien entrepris de significatif ?
Pour l’instant, les États n’ont pris que des mesures cosmétiques, rien qui ne remettre fondamentalement en question les activités économiques. De leur côté, les entreprises font leur possible et les individus aussi, mais leur action reste limitée en nombre et en ampleur.
Un exemple typique de mesure superficielle est la taxe carbone, censée diminuer les émissions de CO2 mais qui permet in fine aux plus riches d’acheter un permis de polluer tout en laissant notre système délétère poursuivre ses activités économiques au détriment de la nature. Un autre exemple vient de nous être donné par ce mouvement visant à éliminer les pailles de plastiques, qui est presque anecdotique tant les pailles ne représentent qu’une fraction minime du plastique jeté dans la nature, et surtout parce que cette vogue ne remet pas en cause l’usage des produits jetables de la restauration rapide : forcément ! Les ustensiles et contenants jetables sont un des pivots de cette industrie.
Jusqu’à présent donc, on n’a fait que ce qui ne dérange pas trop (quand on a fait quelque chose !). Car on n’ose pas toucher aux fondements mêmes de notre société techno-industrielle matérialiste. Peut-être cela semble-t-il trop compliqué ? Trop dangereux (économiquement) ? Les dirigeants sont-ils trop frileux, négligents ou mercantiles ? Sont-ils trop obnubilés par leur idéologie ? La réglementation n’est peut-être pas toujours à la hauteur. L’économie impose partout son joug et l’incurie ou l’appât du gain prennent souvent le dessus sur le reste.
Quoiqu’il en soit, les paradigmes qui sous-tendent la croissance économique n’ont pas été modifiés d’un iota. La transition semble hors de portée et complexe.
Une transition complexe ?
Ainsi, pour l’instant, malgré les efforts des citoyens, et dans une moindre mesure ceux des entreprises et des élus, la dégradation de la nature n’a pas fléchi. Il faudrait que l’action citoyenne soit décuplée et institutionnalisée. Nous avons besoin d’une transformation d’envergure, d’une modification du système socio-économique, d’une révolution de la manière dont on industrialise les développements technologiques.
La transition nécessite de décroitre économiquement. Ou de croitre autrement, c’est-à-dire sans dégrader la nature. Est-ce possible ? C’est en tout cas « Difficile », sinon « impossible », tant qu’on reste cloisonné dans un système capitaliste. Nous devons repenser nos institutions qui ont perdu leur capacité à protéger le bien commun. Les citoyens doivent quant à eux composer dans leur vie quotidienne avec les villes qui ont été bâties inadéquatement, qui se sont étalées à grand renfort de béton et de goudron et en expropriant la nature.
La transformation de la société est rendue également complexe du fait de l’internationalisation qui exige que les États agissent simultanément et s’accordent aux plans économique et politique, et du fait que les individus n’ont pas le loisir de s’occuper des préoccupations environnementales ou sociales, pris qu’ils sont par leur routine quotidienne : chacun fait ce qu’il peut pour s’en sortir, parfois pour survivre.
Bref, on peut supposer que les objectifs d’une transition sont ambitieux et qu’ils seront difficiles à atteindre. On peut même avancer qu’aucune société n’a jamais eu à entreprendre une transition d’une telle ampleur ni aussi rapidement. Donc, jamais transition n’aura été aussi difficile, semble-t-il.
Si l’on en juge par les exemples donnés par Jared Diamond [1], certaines sociétés ont réussis à vivre en harmonie avec leur environnement mais des exemples de société qui ont modifié leur structure pour la rendre compatible avec la nature sont rares. Mais, jamais une civilisation globalisée comme la nôtre n’a eu à le faire. Et pour cause, jamais civilisation n’a atteint ce degré d’interconnexion et de complexité : nous constituons une civilisation de dimension planétaire. Cet argument pourrait suffire à démontrer que la transition est extrêmement complexe à réaliser.
Mais ce n’est pas parce que ça n’a jamais été fait que c’est impossible ou difficile ! Surtout si c’est pour le mieux.
Une transition faisable et impérative
Si la transition écologique semble ardue a priori, elle n’en n’est pas moins réalisable. Il n’y a rien d’impossible dans ce qu’il est nécessaire d’accomplir. Il faut surtout avoir la volonté d’agir. Certain(e)s dans la société ont déjà fait montre de cette détermination.
De toute évidence, des avancées ont quand même été réalisées : les thématiques environnementales prennent lentement de l’importance, certains comportements négligents commencent à être considérés avec réprobation, les produits biologiques et éthiques se démocratisent, les voitures électriques voient le jour, la surconsommation est pointée du doigt, la réalité des changements climatiques est (enfin) acceptée, certaines entreprises ont mis en place une démarche responsable. Mais surtout, d’innombrables initiatives citoyennes et communautaires ont été lancées et suscitent de l’espoir. Tous ces progrès peuvent même laisser penser que la transition a commencé un peu partout sur la planète. Doucement. Certains de ces changements modifient la société en profondeur, à petite échelle.
Et si on regarde la société aller, on peut même se dire que, peut-être, la transition écologique est en réalité déjà en marche. Car, malgré leur faible impact jusqu’à présent, les nombreuses initiatives citoyennes, mais aussi gouvernementales, industrielles ou commerciales, commencent à être bien implantées. Et comme tout geste écologique, elles comptent et sont essentielles.
S’inspirant de celles-ci (et d’autres), un grand nombre de mesures simples peuvent être instaurées à grande échelle qui amorceraient un changement significatifs : incitatifs économiques, subventions, taxes, réglementations, etc. Pour ne donner qu’un exemple, les incitatifs financiers pourraient viser les loisirs ou le tourisme qui font la part belle aux sports actifs plutôt que de promouvoir les sports motorisés. Si on généralise à l’ensemble des secteurs, on comprend que de nouveaux secteurs de l’économie se développeront tandis que d’autres déclineront. C’est l’effet « vases communiquant ».
Marginal aujourd’hui, le commerce local et une agriculture soutenable pourraient être encouragés, pour (re)devenir la norme. Les paniers bio sont un bel exemple d’action efficace. En plus favoriser une agriculture et des produits sains et d’éviter le transport d’aliments sur de longues distances, il donne du poids à l’économie locale et transforme profondément les circuits économiques (moins de grandes chaînes, moins d’intermédiaires), et donc transforme l’économie elle-même.
Aussi, notre inaction pour protéger la nature suggère que nous n’avons pas vraiment conscience collectivement de la menace que fait peser le dérèglement planétaire. Alors, si nous avions collectivement et individuellement une conscience lucide de l’urgence de la situation, nous réagirions davantage. Il y a donc de l’espoir dans la perspective que des citoyens et des gouvernements informés et convaincus finissent par agir de manière citoyenne.
Enfin, à force de promouvoir les secteurs les plus verts de la société et de faire en sorte qu’ils se généralisent, ils pourraient imprégner suffisamment la société pour enclencher un mouvement irréversible, atteindre un point de bascule. On ne peut donc pas affirmer hors de tout doute que la transition sera facile, et sans doute sera-t-elle difficile, mais il n’y a rien d’insurmontable. Commençons par ce qui est faisable immédiatement, puis poursuivons. Qui sait si de nouvelles opportunités ne se présenteront pas alors. Grâce à une conscientisation grandissante et par l’exemple qu’ils donnent aux autres, les comportements écoresponsables pourraient devenir la norme et percoler à travers toute la société. La transition écosociale est peut-être à notre portée ! Mais il faut s’y mettre. Tout de suite.
Références
[1] J. Diamond, Effondrement. Folio essais Gallimard, (2005).