L’histoire de ce film se déroule en Thaïlande, dans la province de l’Isaan au nord-est du pays. La région, agricole, est en prise avec un étrange et grave problème de salinisation des sols, qui ronge les cultures de riz et rend la terre stérile. Des scientifiques étudient le phénomène et cherchent des solutions. C’est cette recherche qu’explique avec une grande clarté ce film scientifique et environnemental, du réalisateur Bernard Surugue. Le long-métrage a été primé (avec raison) en 2009 au festival du film de Portneuf de l’environnement (FFPE) et a été projeté à nouveau hors-compétition en 2010 pour notre plus grand plaisir.
Une situation préoccupante
La population de la province de l’Isaan vit majoritairement de la culture du riz, une tradition qui remonte à 2000 ans. Les habitants avaient mis au point un système complexe de diguettes et de canaux d’irrigation, qui est encore utilisé aujourd’hui, montrant que cette civilisation avait une totale maîtrise de l’agriculture. À une certaine époque, cette région était même considérée comme le grenier de l’Asie.
Cependant, la population paysanne est confrontée aujourd’hui à une diminution inquiétante des récoltes, car les plants sont malades et le sol infertile à cause de la remontée de sel du sous-sol. L’eau qui surgit à la surface est plus salée que l’eau de mer et provoque un durcissement de la terre.
La zone géographique de l’Isaan a vu le dépôt de sel s’effectuer à des époques remontant à 100 millions d’années. La mer a envahi alors le continent et s’est retirée en laissant un dépôt de sel, et le processus s’est répété plusieurs fois au cours des cycles géologiques.
Mais pourquoi ce sel, le sel de la terre, remonte t-il ainsi ? Le problème est complexe. Des scientifiques de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) français et du Land Development Department (LLD) thaïlandais ont fait des études minutieuses et scrupuleuses pour comprendre le phénomène et trouver des solutions. Bernard Surugue a filmé ce travail et les multiples analyses qui ont été entreprises.
Des recherches et des solutions
Ce que les chercheurs ont montré, c’est que le déboisement intensif des collines et des flancs de collines avoisinantes a accru énormément la remontée d’eau salée dans les rizières. En Thaïlande, 90% du territoire était autrefois recouvert de forêts, mais ce pourcentage est passé à 15% pour des raisons économiques, en particulier pour la culture intensive du manioc. Cette disparition des bois et forêts a exposé les rizières aux vents et au drainage des terrains par l’eau et, plus grave encore, cela a modifié de manière importante le régime des eaux souterraines.
Au bout de 6 ans d’étude, deux solutions complémentaires ont émergé :
1) Monter la hauteur des les diguettes à 10 cm, au lieu de 5 cm. Les diguettes sont des casiers à riz qui permettent de garder l’eau de pluie qui hydrate les racines des plants. En élevant les diguettes, on augmente la quantité d’eau de pluie retenue, ce qui accroît la pression de l’eau douce dans le sous-sol, et empêche la remontée de l’eau salée qui ainsi n’atteint plus les racines et permet la libre croissance des cultures. Cependant, monter les murets des diguettes impose une surcharge de travail pour la paysan.
2) Reboiser les collines devrait permettre dans le même temps de rééquilibrer le système hydrologique qui a été perturbé par la déforestation. De surcroît, en plantant des arbres qui peuvent également avoir un intérêt commercial, l’hévéa (caoutchouc), on peut assurer un revenu supplémentaire aux agriculteurs. Cet arbre présente l’avantage d’avoir des racines profondes qui s’étendent aussi horizontalement pour bien maintenir le sol. La présence de ces arbres aura vraisemblablement une incidence sur le climat local grâce à l’évaporation des arbres qui va stimuler le cycle de l’eau. Et de fait, les arbres jouent un rôle important dans le cycle de l’eau, car en absorbant l’eau par ses racines et en la faisant remonter jusqu’aux feuilles, les arbres permettent à l’eau de s’évaporer (ce qui ultimement permet à la sève de monter).
Les équipes de chercheurs actuellement en place évaluent, à la demande du gouvernement thaïlandais, la durabilité de l’approche issue de ces travaux pour combattre la salinisation de l’Isaan.
Conclusion
« Le sel de la terre » est certes un film scientifique et environnemental, mais c’est un film didactique, et surtout, c’est un film humaniste. Son auteur, Bernard Surugue, nous a parlé de son film après la projection et il a répondu à nos questions. Il nous a ainsi fait mention du fait qu’il était scientifique de formation et que la caméra, pour lui, était une « arme » formidable pour faire passer des messages. L’efficacité de son arme ne fait aucun doute
« Le sel de la terre »
(2008) France 59 min.
Réalisation : Bernard Surugue
Assistant réalisation : Franck Renaud
Direction scientifique : Olivier Grünberger
Production : Institut de recherche pour le développement (IRD) en partenariat avec le LDD (Thaïlande)
Version : française, anglaise et thaïe
Format de tournage : HDV 16/9
Voir l’entrevue avec Bernard Surugue sur Terre.tv >>
Prix et distinctions :
- Prix du Ministère de l’Environnement de la République Slovaque, Ekotopfilm 2008
- Prix du meilleur film étranger, Festival de films de Portneuf sur l’Environnement, Québec, Canada, 2009
- Lauriers de bronze, XXIIème Festival International des Médias Audiovisuels Corporate, Le Creusot, 2009