jeudi, novembre 21, 2024

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Quand l’humanité marche sur la tête

Voilà un article que j’aurais voulu n’avoir jamais à écrire. Mais la coupe est pleine, la goutte de pétrole à fait déborder le baril ! Comme tout écologiste, la dégradation environnementale globale me préoccupe, de même que la transformation progressive de l’écosphère qui l’accompagne, et je m’inquiète pour le futur de l’humanité. Ainsi, ai-je hâte de voir enfin la mise en œuvre par nos gouvernements de mesures d’envergure visant à réduire l’empreinte écologique de nos sociétés. Jusqu’à récemment, je piaffais d’impatience devant une désespérante absence de décisions, à tous les niveaux. Aujourd’hui, je suis atterré, car des tendances lourdes, en totales contradiction avec la préservation de l’équilibre de la planète, sont en train d’accroître, sous nos yeux, l’impact de nos activités et de prendre le pas sur le bon sens.

Tendances mondiales

En matière de changements climatiques, il est bien connu, et on ne le répétera jamais assez : les décisions prises aujourd’hui par nos sociétés auront des répercussions durant des centaines voire des milliers d’années. Alors, après les coups de semonce lancés par le film « Inconvenient truth » ou par les rapports du GIEC de 2001, de 2007, puis récemment d’octobre dernier, on aurait pu s’attendre à ce que les consciences s’éveillent. Las ! il n’en a pas été ainsi. Jusqu’à il y a deux ou trois ans d’ici, on aurait pu encore croire, ou espérer, que les gouvernements eussent pris, au mieux des mesures abandonner progressivement l’utilisation des combustibles fossiles afin de réduire quelque peu leurs émissions de GES, au pire qu’ils eussent été « neutres » et se complaire dans l’inaction.

Mais, que n’apprend-t-on pas ces jours-ci ? Alors que le charbon se faisait oublier et qu’on aurait pu penser qu’il appartenait au passé, cette source d’énergie deviendra la première au niveau mondial dès 2020 [1]. On le savait pourtant, la Chine possède quelques 1500 centrales thermiques au charbon [2] et on prévoit qu’elle en construise deux nouvelles par semaines dans les années qui viennent [3]. L’Inde a également une forte croissance et est très gourmande en énergie. Ainsi, la demande des pays émergents s’accroissant rapidement, et alors que le charbon s’avère être une ressource énergétique peu dispendieuse, elle devient par le fait même la filière énergétique par excellence. C’est aussi vers elle que se tourne l’Allemagne depuis qu’elle a abandonné son programme d’énergie nucléaire.

Le gaz est également « à l’honneur ». L’incroyable et fulgurant développement du gaz de schiste aux États-Unis depuis une quinzaine d’années bouleverse le marché de l’énergie. C’en est au point que les États-Unis sont devenus le plus gros producteur de gaz devant la Russie [4] et tendent à devenir indépendant énergétiquement. Et comme ça ne suffisait pas, les États-Unis donnent des idées à d’autres nations, comme la Pologne par exemple. Le Québec était quasiment parti pour s’engager dans cette voie lui aussi. La vive réaction des citoyens y a mis un frein, mais rien n’est encore décidé. Et si les visées du gouvernement actuel se confirment, il n’est pas impossible que l’on exploite ici aussi des shales gazifières.

Le Québec et le Canada

En effet, en se laissant influencer par les tendances mondiales décrites ci-dessus, et plutôt que d’adopter une position innovante, un rôle de chef de file, tout porte à croire que le Québec va encore laisser la part belle aux combustibles fossiles dans les années à venir. Trop de rentrées d’argent sont en jeu. Et alors que la Commission des enjeux énergétiques du Québec entendait il y a peu les citoyens, les ONG et le secteur privé sur leurs vision du secteur énergétique, on a l’étrange et désagréable impression que les dés étaient pipés et qu’un parti-pris existait avant la tenue des audiences.

Les retombées potentielles de l’exploitation du pétrole ou du gaz, de source conventionnelle ou non, et certaines allusions du gouvernement laissent penser que l’on va donner une place centrale aux combustibles fossiles dans la politique de la province, que l’on pense au développement du gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent et au pétrole en Gaspésie, à Anticosti ou dans le Golfe du Saint-Laurent. Tous ces projets potentiels sont des non-sens pour une société progressiste et visionnaire digne de ce nom. L’économie ne peut servir de prétexte à l’aggravation de la dégradation l’environnement de la province (et du monde). Ces projets vont aussi à l’encontre des objectifs de réduction des GES que le gouvernement s’est lui-même fixés.

Au Canada, c’est pire encore, car l’exploitation du pétrole des sables bitumineux n’est plus un projet depuis longtemps ; il a lieu ici, maintenant, et on cherche à le développer tout azimut en niant le réchauffement planétaire et le coût environnemental de cette filière. Toutes les énergies sont concentrées sur l’exploitation de cette ressource, mais pour un coût environnemental démesuré. Néanmoins, la partie n’est pas si simple à gagner car les États-Unis [5] et l’Europe [6] ont fait comprendre au gouvernement fédéral qu’ils n’étaient pas dupes de ses allégations sur le caractère polluant de ce type de pétrole. Pendant ce temps, le Québec met ses œillères économiques et se laisse bercer par les sirènes que lui chantent les retombées financières potentielles des oléoducs qui risquent fort de transporter le pétrole des sables bitumineux à travers la province.

Conclusion

Pétrole, gaz, charbon. Alors qu’on entend parler depuis plusieurs décennies de pénuries de ressources, nous réalisons que nous avons environ un siècle et demi de réserve de combustibles fossiles, les nouvelles réserves étant de source non conventionnelle. Alors, le monde poursuit dans la facilité, retombe dans les mêmes travers. Dans ce contexte, les pays riches apparaissent extrêmement mal placés pour faire quelque reproche que ce soit aux pays émergents qui aspire à se développer et à atteindre le même niveau de vie. Nous, pays riches, n’avons aucune crédibilité pour donner des leçons à quiconque, non seulement parce que la dégradation environnementale actuelle est principalement de notre responsabilité, mais aussi parce que nos stratégies actuelles ne font que poursuivre les mêmes pratiques.

Pétrole, gaz, charbon. Nous accélérons notre consommation des énergies fossiles quand nous devrions nous en détacher au plus vite. Cette accentuation de l’utilisation des combustibles fossiles va nous rendre plus dépendant encore de ce type d’énergie. Et puisque les sociétés modernes peuvent être très longues à transformer du fait d’une forte inertie, nous aurons d’autant plus de mal à nous en départir, ce qui signifie que le sevrage vis-à-vis des GES n’en sera que plus long et plus coûteux. Tout porte donc à croire que le réchauffement planétaire va suivre les prévisions les plus pessimistes des scientifiques, et que l’augmentation prévue est peut-être même sous-estimée. Je me permets donc cette catastrophique prédiction : la situation atteindra un point tel dans le futur que la géoingénierie va tranquillement devenir une solution qui s’imposera d’elle-même, à nos risques et péril. Nous allons décidément donner un bel avenir aux générations futures… L’Homo sapiens est ainsi fait…

Ainsi, quoique tout le monde le sache, ou devrait le savoir, la situation environnementale se dégrade au point qu’elle met en péril le fonctionnement normal de la planète. Nos gouvernements semblent ne pas vouloir comprendre qu’une société viable d’un point de vue de l’environnement l’est aussi économiquement. À s’entêter dans des pratiques contraires à la viabilité de la société, pire, en adoptant des politiques qui accélère l’impact de notre empreinte environnementale, l’humanité montre qu’elle marche tout simplement sur la tête.

 

Bibliographie

[1] Florence Tan (Marc Angrand pour le service français) – Agence Reuters, Le charbon, première source d’énergie mondiale d’ici 2020 http://fr.news.yahoo.com/le-charbon-premi-source-d-074945188.html

[2] Les centrales au charbon inquiètent Greenpeace, Radio-Canada http://www.radio-canada.ca/nouvelles/environnement/2010/09/15/001-chine-charbon-pollution.shtml

[3] Planetoscope http://www.planetoscope.com/nucleaire/536-nombre-de-nouvelles-centrales-thermiques-construites-par-la-chine.html

[4] Le top 10 des tendances énergétiques mondiales d’ici 2020, Frost & Sullivan, http://www.frost.com/prod/servlet/press-release.pag?docid=222768231

[5] K. Mayrand Obama, Le pétrole et le Canada : l’État de la désunion, Le Devoir
http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/381793/obama-le-petrole-et-le-canada-l-etat-de-la-desunion

[6] L. Dupin, Sables bitumineux : les pétroliers de l’Alberta en guerre contre l’Europe, L’usine nouvelle http://www.usinenouvelle.com/article/sables-bitumineux-les-petroliers-de-l-alberta-en-guerre-contre-l-europe.N205848

A. Shields, 21 prix Nobel demandent à l’Europe de tourner le dos aux sables bitumineux, Le Devoir http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/389380/21-prix-nobel-demandent-a-l-europe-de-tourner-le-dos-aux-sables-bitumineux

 

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