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La fixation de l’azote atmosphérique dans le sol : une affaire de métal

Parce que la chimie est la science qui décrit les réactions entre molécules, elle est parfaitement placée pour décrire les phénomènes moléculaires ayant lieu dans la nature. Elle est de ce fait au cœur des sciences environnementales. C’est ce qu’a souligné Jean-Philippe Bellenger, professeur au département de chimie de l’Université de Sherbrooke, lors d’une conférence organisée en 2011 par le département de chimie de l’Université Laval. Le Pr Bellenger a illustré ce message en présentant ses travaux relatifs au cycle de l’azote et nous en a dévoilé les processus chimiques, qui mettent en scène enzymes, métaux (fer, molybdène et vanadium) et ligands.

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L’azote est un nutriment essentiel des plantes du sol terrestre. La source d’azote principale est l’atmosphère dont le principal constituant est le diazote (N2), mais peu d’organismes sont capables de le convertir en une espèce chimique assimilable, soit le cation ammonium (NH4+).

Une des rares espèces à fixer l’azote est la bactérie Azobacter vinelandii qui utilise une enzyme appelée nitrogénase. Lors du processus de fixation, la nitrogénase a besoin de fer ainsi que d’autres métaux rares qui catalysent la réaction, soit le molybdène (Mo) ou de vanadium (V), que l’on appelle des cofacteurs. Ces métaux étant présents à l’état de traces, leur concentration semble constituer un facteur limitant à la fixation de l’azote.

Les travaux récents de l’équipe du Pr Bellenger concernent principalement le Mo, car on en sait peu sur sa biodisponibilité. Celle-ci dépend de la forme de liaison chimique sous laquelle on retrouve le Mo, que ce soit sous forme libre ou lié à des molécules organiques. Le passage d’une forme à une autre s’appelle la spéciation.

Il y a encore peu, on considérait que seul l’environnement dans lequel se trouvaient les molécules contribuait à leur spéciation.

Cependant, les travaux de l’équipe du Pr Bellenger ont contribué à montrer que l’on ne peut ne pas faire abstraction de la contribution des organismes eux-mêmes dans la spéciation d’une substance dont ils dépendent.

Ainsi, la bactérie Azobacter vinelandii est-elle capable de produire des ligands qui ont la capacité de se lier au Mo. Ces molécules sont connues pour se lier au fer et sont ainsi qualifiées de sidérophores. Mais les travaux de l’équipe du Pr Bellenger montrent que ce sont également des molybdophores. De plus, il s’avère que la production de ligands dépend de la quantité de Mo présent dans l’environnement de Azobacter vinelandii, de sorte que ce processus apparaît comme une stratégie pour la bactérie lui permettant d’avoir un contrôle sur la biodisponibilité du Mo.

Cycle terrestre du molybdène
Cycle terrestre du molybdène
Le molybdène présent dans le sol est extrait par le réseau racinaire des arbres et incorporé dans les feuilles. Quand ces dernières tombent au sol à l’automne, elles fournissent aux bactéries qui fixent l’azote un environnement riche en molybdène. Les bactéries assimilent alors l’azote et fertilisent la croissance de l’arbre, faisant du processus une relation mutualiste typique. Le diagramme en bas à droite représente le profil de concentration en molybdène. Le diagramme du haut à droite illustre la conversion du diazote N2 en cation ammonium NH4+. (Source : Bellenger et coll., Nature Geosci. (2008) 1 243).

Les travaux de l’équipe du Pr Bellenger changent le point de vue sur la disponibilité des cofacteurs dans la fixation de l’azote. Auparavant, on pensait que le Mo adoptait deux formes : soit à l’état libre, donc très soluble dans l’eau et susceptible d’être lessivé par drainage ; soit lié à des surface minérales, prévenant donc le lessivage mais étant une forme incompatible avec la fixation par Azobacter vinelandii.

En fait, les travaux de l’équipe du Pr Bellenger ont montré que le Mo pouvait se lier aux molécules organiques présents dans le sol : d’une part près de la surface du sol, dans la litière formée par les feuilles où le Mo forme des complexes fortement liés avec des tanins ou des dérivés issus des plantes ; d’autre part, plus profondément dans le sol où le Mo se lie à des oxydes de fer ou à de la matière organique naturelle. Ces complexes permettent ainsi au Mo de rester dans le sol et de se lier avec des ligands que produisent les bactéries qui fixent l’azote telles Azobacter vinelandii.

Comme on peut le voir, les phénomènes fondamentaux décrits ci-dessus et qui se déroulent à une très petite échelle ont une incidence directe sur le bilan global du cycle de l’azote. Ainsi, les phénomènes expliqués à une échelle moléculaire par le laboratoire du Pr Bellenger ont de fortes répercussions pour la compréhension de processus biogéochimiques se produisant à l’échelle de la planète.

Sources :

  • Conférence de Jean-Philippe Bellenger, professeur au département de chimie de l’Université de Sherbrooke, organisée par le département de chimie de l’Université Laval, et intitulée « La chimie au cœur des sciences environnementales » (mercredi 14 septembre 2011).
  • J. P. Bellenger, T. Wichard, A. B. Kusta and A. M. L. Kraepiel “Uptake of molybdenum and vanadium by a nitrogen-fixing soil bacterium using siderophores”, Nature Geosci. (2008) 1 243-246 (doi:10.1038/ngeo161).
    Résumé de l’article
  • T. Wichard, B. Mishra, Satish C. B. Myneni J. P. Bellenger and A. M. L. Kraepiel “Storage and bioavailability of molybdenum in soils increased by organic matter complexation”, Nature Geosci. (2009) 2 625-629 (doi: 10.1038/ngeo589).
    Résumé de l’article

 

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