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Extractions mondiales de matières et transition métabolique

Les scientifiques disposent d’outils pour évaluer les quantités de matières prélevées par les sociétés. Celles-ci sont astronomiques, notamment lors des périodes de forte industrialisation.

Les ressources prélevées par les sociétés permettent de répondre à leurs besoins et d’alimenter leur économie. Mais quelles sont les quantités de matières que les êtres humains extraient de la nature ? La question peut sembler naïve, mais il n’est pas si simple d’y répondre, surtout que les quantités prélevées augmentent avec le temps. Heureusement, des scientifiques s’intéressent à cette question depuis quelques décennies et des évaluations solides sont maintenant disponibles.

Ces estimations sont fondées sur des bases de données internationales reconnues telles que celles tenues par l’organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Agence internationale de l’énergie ou le Service géologique des États-Unis (USGS), pour n’en citer que quelques-unes. Il est également nécessaire d’utiliser certains facteurs de conversion, afin de transformer les données disponibles dans une même unité, soit la masse. Il est aussi nécessaire de faire certaines approximations, puisqu’il s’agit d’évaluations, pas de données exactes.

Quels types de matières sont considérées ?

Les méthodes qui ont été développées pour ces estimations répartissent les différentes matières prélevées en quatre catégories, soit :

  • la biomasse : cultures, fourrage, pâturages, bois, faune et flore sauvages
  • les vecteurs d’énergie fossile : charbon, pétrole, gaz naturel
  • les métaux : fer, aluminium, cuivre, zinc, nickel, plomb, or, argent, etc.
  • les minéraux non métalliques : calcaire, sable, gravier, pierre concassée, etc.

Comment évoluent les extractions de matières ?

Comme le montre la figure ci-dessous, les extractions annuelles de matières augmentent continument à l’échelle mondiale depuis 1900. La période 1900-2019 n’a connu aucun épisode de réduction ou même de stabilisation durable.

Extractions mondiales de matières 1900-2019
Extractions mondiales de ressources entre 1900 et 2019. Source des données : Fridolin Krausmann et al. Global Environ. Change (2018) 52 131 et United Nations Environment Programme, International Resource Panel, Global Material Flows Database.

De 7 gigatonnes (Gt) en 1900, c’est-à-dire 7 milliards de tonnes, les prélèvements mondiaux annuels sont passés à 96 Gt pour l’année 2019. Par habitant de la Terre, ces valeurs correspondent à 4,7 tonnes per capita (t/cap) en 1900 et 12,5 t/cap en 2019. Les extractions ont ainsi été multipliées par un facteur 13,7 en un peu plus d’un siècle pendant que la population augmentait d’un facteur 4,7 seulement. Ces données permettent de tirer plusieurs conclusions :

  • les quantités de matières utilisées par l’humanité sont faramineuses : on parle de plusieurs tonnes de matières annuellement par personne en moyenne
  • la croissance et le rythme des prélèvements des ressources naturelles ne sont pas soutenables dans un monde fini
  • le facteur principal qui influence l’augmentation de l’empreinte environnementale des sociétés est le mode de vie, pas la démographie.

Les manifestations du changement de mode de vie sont très perceptibles sur le graphique : on voit par exemple qu’en 1900, c’est la biomasse qui est prélevée en plus grande proportion, alors qu’à partir des années 60 et au cours du 21e, ce sont les minéraux non métalliques, les vecteurs d’énergie fossile et dans une moindre mesure, les métaux, qui prennent de l’importance.

Industrialisation et développement

Cette évolution dans les matières extraites est représentative des pays qui s’industrialisent et s’urbanisent, autrement dit, qui se « développent ». En effet, les minéraux non métalliques sont abondamment utilisés pour la construction des bâtiments et des infrastructures (ponts), les combustibles fossiles permettent d’alimenter en énergie les usines et d’assurer le transport, ainsi que la fabrication des plastiques et de l’asphalte, tandis que les métaux sont utilisés pour bâtir les infrastructures, les édifices et les biens de consommation.

Par suite, ces pays utilisent principalement les ressources non renouvelables et une proportion moindre de biomasse. Cependant, l’utilisation de biomasse augmente dans l’absolu, notamment à cause de la croissance des récoltes de cultures et d’un régime alimentaire riche en viande animale et en produits laitiers.

Les pays occidentaux (Europe, Amérique du Nord, Japon) ont vécu cette transition dans les années 50, comme on peut le voir sur le graphique, avec un taux de croissance des extractions mondiale qui a atteint 3,7 % sur la période 1950-1970. La Chine et d’autres pays émergents, de leur côté, ont amorcé une transition semblable dans les années 80 et la poursuivent actuellement.

L’accélération du taux des extractions au tournant des années 2000, avec un taux d’augmentation de 3,3 % à l’échelle mondiale, reflète au moins en partie le développement des pays émergents [1]. Un autre facteur qui contribue à cette accélération est le fait que les pays développés importent une grande part de leurs biens de consommation de pays dont l’intensité matérielle [2] est plus élevée [1].

Transition métabolique

L’industrialisation est associée à une transition métabolique, car elle se caractérise par une transformation du métabolisme socioéconomique tel que décrit ci-dessus. Elle fait passer les sociétés d’une structure essentiellement agraire à un système industriel, consumériste et technologique. Cette transition se manifeste par l’augmentation des flux de matières, notamment des intrants, pour satisfaire la construction soutenue d’infrastructures, l’expansion des activités économique et la consommation de biens manufacturés.

Cette transition se caractérise aussi par l’augmentation moyenne du niveau de vie des populations, aussi bien économique que matérielle. Ces sociétés produisent aussi plus de déchets, car leur métabolisme actuel a des taux de réutilisation et de recyclage très faibles : le système est linéaire plutôt que circulaire.

Il est intéressant de noter qu’une toute nouvelle transformation métabolique est maintenant nécessaire, en particulier dans les pays riches, afin que leurs modes de vie deviennent écologiquement soutenables. Cette transition est appelée transition socio-écologique. Il s’agit cette fois-ci de dématérialiser et décarboniser les activités humaines. De manière inédite, donc, cette transition devra être caractérisée par une diminution absolue des extractions de matières (et des importations), une utilisation majoritaire (et modérée) de ressources et d’énergies renouvelables, et un système de recyclage et de valorisation efficace.

Notes et références

[1] International Resource Panel (IRP), Global Resources Outlook 2019: Natural Resources for the Future We Want (2019). Oberle B. et coll. Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), Nairobi, Kenya.

[2] La notion d’intensité matérielle sera abordée dans un autre billet.

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