Comme les autres années récentes, 2014 aura vu quelques avancées pour rendre notre civilisation un peu plus soutenable. Moins insoutenable devrais-je dire… Car fondamentalement, rien de majeur n’a changé dans le fonctionnement habituel de la société en 2014, rien de très significatif n’a été réalisé ou annoncé par rapport à la gravité et à l’ampleur de la dégradation écologique planétaire. On ne transforme pas une société comme la nôtre en un an, surtout quand la volonté de changement n’est pas à l’ordre du jour… Cependant, quelques faits permettent de fonder quelques minces espoirs pour le futur.
Au niveau scientifique, l’année se démarque par la parution de la dernière version (la cinquième) du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) [1]. Comme d’habitude, le rapport prend trois formes : un rapport sur les fondements physiques du réchauffement planétaire et des changements climatiques, un rapport sur les conséquences pour les populations et un rapport sur les façons de s’adapter et de contrecarrer le phénomène. Fondamentalement, les mêmes conclusions que dans les versions précédentes sont tirées, mais avec plus de certitude, comme d’ailleurs en ce qui concerne les prévisions pour l’avenir.
Au Québec et au Canada, l’année aura été marquée par la recherche par l’industrie pétrolière canadienne de divers moyens pour acheminer le pétrole des sables bitumineux vers l’extérieur du pays. L’Office national de l’énergie a ainsi approuvé le projet d’inversion du peptide d’Enbridge [2], un oléoduc qui traverse une bonne partie de la province en passant par les régions de Montréal et de Québec. Le gouvernement québécois, qu’il soit du Parti Québécois ou du Parti libéral du Québec, est (était) favorable à ce projet. Les maires des municipalités traversées par l’oléoduc ont cependant signifié que les garanties en matière de protection de l’environnement étaient très insuffisantes.
Concernant l’oléoduc Keystone XL, le Sénat américain a rejeté une proposition visant à accélérer l’approbation ce projet [3], mais cette suspension semble bien fragile et surtout très temporaire… À Cacouna, la construction d’un port pétrolier par Transcanada pour acheminer le pétrole jusqu’au Fleuve a d’abord été suspendue par la Cour suprême de la province [4], puis les travaux ont été abandonnés in extremis par l’entreprise parce que les bélugas qui fréquentent le site sont passés d’espèce menacée à espèce en voie de disparition [5]. Une bonne nouvelle qui en cache une mauvaise… Merci quand même aux bélugas pour cette victoire, car il y a de multiples raisons pour ne pas se lancer dans un tel projet (privilégier enfin les énergies renouvelables et proscrire les énergies fossiles, protéger l’environnement et les espèces, protéger le Saint-Laurent, etc.).
Alors que le nouveau Brunswick s’oppose à la fracturation hydraulique pour l’exploitation des shales gazifières [6], le gouvernement du Québec prend une pause suite à la parution d’un rapport du BAPE sur les risques du développement de cette filière énergétique dans la vallée du Saint-Laurent, un rapport qui établit enfin la vérité sur l’ensemble des impacts négatifs du gaz de schiste. Cette pause forcée a été annoncée par le Premier ministre au nom de l’absence d’acceptation sociale et de certitude quant aux intérêts économiques de l’exploitation des shales gazifières, et ce sans vouloir imposer un moratoire [7]. Enfin, il faut mentionner au sujet du droit de l’environnement que la ville de Restigouche, qui cherche simplement à protéger son eau potable de la pollution par une réglementation municipale, est poursuivie au judiciaire parce qu’elle bloque les visées d’exploration pétrolière de l’entreprise Gastem [8].
Au niveau international, la récente Conférence de négociations internationales sur le réchauffement planétaire en décembre à Lima (Conférence des Parties #20) aura vu la signature d’un accord qui engage l’ensemble des pays dans un processus visant à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) [8]. Les pays devront eux-mêmes se donner des cibles de réduction à Paris en 2015, un exercice qui avait au demeurant déjà été entrepris pour les pays riches (pour les pays de « l’Annexe 1 » [9]) à Copenhague en 2009… Que de temps perdu ! Hélas, il est à prévoir que ces engagements seront trop faibles par rapport aux efforts réels nécessaires. Et à force de temporiser, les pays riches, le Canada en tête, sont en voie de faire passer leur responsabilité dite « commune et différenciée » [9] aux oubliettes… Autrement dit, les pays riches font tout ce qu’ils peuvent pour se soustraire à leur responsabilité au regard de leurs émissions de GES et des changements climatiques pour préserver la vitalité de leur économie. Une position immorale et suicidaire…
Le vrai progrès en la matière aura finalement été obtenu en fin d’année par l’accord bilatéral de réduction des GES entre la Chine et les États-Unis [10], même si les cibles demeurent modérées. Des accords spécifiques entre états ou groupes d’états seront-ils plus efficaces que celles organisées sous l’égide de l’ONU ? Pour sa part, le Québec continue de participer au marché du carbone avec la Californie. Dès le 1er janvier 2015, ce sont les entreprises qui distribuent des carburants et des combustibles et qui en importent qui y seront assujettis [11]. L’Ontario envisage également rejoindre ce marché [12].
Au final, on ne s’étonnera pas que l’année 2014 ait été l’une des plus chaudes, sinon la plus chaude, jamais enregistrée selon l’organisation météorologique mondiale [13]. La concentration de CO2, de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O) ont sans surprise atteint des valeurs inégalées. Et hormis le trou de la couche d’ozone qui semble devoir se résorber [14], les autres grandes crises écologiques (acidification des océans, modification des cycles biogéochimiques (azote, phosphore), érosion de la biodiversité et dégradation des services écosystémiques, pénurie d’eau, dégradation des sols, etc.) ne semblent voir d’amélioration notable.
Références :
[1] Rapports d’évaluation, GIEC, 2014 http://www.ipcc.ch/home_languages_main_french.shtml#tabs-3
[2] L’Office national de l’énergie approuve le projet de la canalisation 9 et fixe des conditions, Office national de l’énergie du Canada, 6 mars 2014 http://www.one-neb.gc.ca/bts/nws/nr/2014/nr10-fra.html
Québec ne doit pas donner de «chèque en blanc» à Enbridge pour son projet d’oléoduc 9B, prévient le maire de Montréal, Denis Coderre, La Presse, http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201312/02/01-4716911-oleoduc-9b-denbridge-coderre-pose-ses-conditions.php
[3] Keystone XL bloqué au Sénat… pour l’instant, Le devoir, 19 novembre 2014 http://www.ledevoir.com/international/etats-unis/424294/keystone-xl-bloque-au-senat-pour-l-instant
[4] La cour fait cesser les forages à Cacouna – Le jugement critique la décision de Québec en faveur de TransCanada, Le devoir, 24 septembre 2014 http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/419297/port-petrolier-la-cour-fait-cesser-les-forages-a-cacouna
[5] Les bélugas en voie de disparition – Un rapport fédéral force TransCanada à réviser ses plans, Le Devoir, 2 décembre 2014 http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/425515/les-belugas-en-voie-de-disparition
Des espèces sauvages canadiennes en difficulté, Comité sur la situation des espèces en péril du Canada, novembre 2014 http://www.cosewic.gc.ca/fra/sct7/sct7_3_24_f.cfm
Évaluations des espèces sauvages du COSEPAC (version abrégée), Comité sur la situation des espèces en péril du Canada, novembre 2014, http://www.cosewic.gc.ca/rpts/Short_Species_Assessments_f.htm
[6] Le Nouveau-Brunswick présente son moratoire sur la fracturation hydraulique, Radio-Canada, 18 décembre 2014 http://ici.radio-canada.ca/regions/atlantique/2014/12/18/005-moratoire-gaz-schiste-nouveau-brunswick.shtml
[7] Couillard laisse de côté le gaz de schiste, Le Devoir, 17 décembre 2014 http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/426902/pause-sur-le-gaz-de-schiste
[8] Une pétrolière poursuit un village de Gaspésie – Aux prises avec une poursuite de 1,5 million, Ristigouche dénonce l’inaction de Québec, Le Devoir, 17 juin 2014 http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/411205/une-petroliere-poursuit-un-village-de-gaspesie
[8] Conférence sur les changements climatiques à Lima – Décembre 2014, ONU http://unfccc.int/portal_francophone/items/3072.php
Site de la conférence – COP20 à Lima http://newsroom.unfccc.int/lima/lima-call-for-climate-action-puts-world-on-track-to-paris-2015/
[9] La Convention des Nations Unies sur les changements climatiques et le Protocole de Kyoto, Nations Unies http://www.un.org/fr/climatechange/kyoto.shtml
Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, Nations unies (1992) http://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf
[10] Accord historique entre la Chine et les États-Unis pour lutter contre le réchauffement, Le Devoir http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/423629/climat-accord-inedit-entre-la-chine-et-les-etats-unis-pour-lutter-contre-le-rechauffement
Chine et États-Unis concluent un accord inédit sur le climat, Le Monde, http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/11/12/chine-et-etats-unis-concluent-un-accord-inedit-sur-le-climat_4522109_3244.html
[11] Marché du carbone – Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre du Québec (SPEDE), Gouvernement du Québec http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/changements/carbone/Systeme-plafonnement-droits-GES.htm
[12] Ontario eyes cap-and-trade system but PCs say it’s carbon tax, Toronto Sun, 20 novembre 2014 http://www.torontosun.com/2014/11/20/ontario-eyes-cap-and-trade-system-but-pcs-say-its-carbon-tax
[13] 2014 en passe de devenir l’une des années les plus chaudes, voire la plus chaude, jamais enregistrée, Communiqué de presse 1009, Organisation météorologique mondiale (OMM), (2014) http://www.wmo.int/pages/mediacentre/press_releases/pr_1009_fr.html
[14] Scientific Assessment of Ozone Depletion Published, Organization météorologique mondiale, 19 décembre 2014, https://www.wmo.int/pages/mediacentre/news/ScientificAssessmentofOzoneDepletionPublished.html