Le volume d’eau douce présent sur Terre est constant et est distribué entre une partie stockée (eau non renouvelable) et une partie qui est impliquée dans le cycle de l’eau (eau renouvelable). De cette eau qui se renouvelle chaque année, une certaine quantité tombe sous forme de précipitations dans les océans, le reste des précipitations tombant sur les terres émergées. C’est de cette dernière dont nous dépendons et que nous devons utiliser avec discernement. Mais quelle est la part de cette eau renouvelable qui est accessible à l’humanité ? Et quelle est la proportion d’eau que l’humanité s’approprie ? De la réponse dépend la quantité d’eau que les activités humaines rendent inaccessible pour ses propres usages ainsi que la portion qui devient indisponible pour la nature.
Le cycle de l’eau
Les océans reçoivent 390 000 km3 de précipitations annuellement tandis que sur les terres, ce volume est de 110 000 km3 (ou 110 000 Gm3, ou encore 110.1015 litres, soit 110 millions de milliards de litres) [1]. Au cours du cycle de l’eau, les précipitations qui tombent sur les continents se divisent entre les flux résultant de l’évapotranspiration et ceux dus aux écoulements – ou ruissellements – qui rejoignent les océans (runoff en anglais) comme schématisé sur la Figure 1.
L’évaporation correspond au phénomène par lequel l’eau passe spontanément de la phase liquide à la phase vapeur (comme l’eau qui bout ou comme un volume d’eau stagnante qui s’évapore). L’évaporation est plus ou moins importante selon les conditions météorologiques du milieu (température et pression, ensoleillement, convection dû au vent). Il s’agit surtout de l’eau capturée par la canopée ainsi que l’eau présente dans le sol ou dans les plans d’eau.
La transpiration végétale désigne le processus par lequel l’eau est transférée des racines des végétaux aux feuilles (faisant ainsi monter la sève) puis est relâchée au niveau des stomates des feuilles. Comme il est difficile de distinguer ce qui résulte de l’évaporation de ce qui découle de la transpiration, on utilise le concept d’évapotranspiration (ET).
Le volume total d’eau qui rejoint l’atmosphère par ET à partir des océans est de 430 000 km3 (Figure 1). Le volume correspondant émis à partir des terres émergées est de 70 000 km3. Il représente le volume d’eau évaporée et celui qui est utilisée pour la croissance et le fonctionnement de l’ensemble des écosystèmes, plantes et arbres, terrestres.
Les écoulements de surface ou ruissellements désignent l’ensemble des flux d’eau douce issus des terres émergées qui se jettent dans les océans, principalement par le biais des fleuves et des cours d’eau de surface. Le volume d’eau total qui se jette dans les océans (runoff) est de 40 000 km3 (Figure 1).
L’appropriation de l’eau d’évapotranspiration par l’humanité
Les êtres humains utilisent une part importante d’eau renouvelable pour leurs besoins et activités : agriculture/élevage, production industrielle d’énergie et de biens, usages municipaux (domestiques, commerciaux et institutionnels).
Comme dans la nature, une part des précipitations tombant sur les terres émergées permet à l’humanité de produire de la matière organique, surtout de la nourriture. Les sols concernés sont donc des terres agricoles (fruits, légumes et surtout céréales), les pâturages et les terres destinées aux plantations arboricoles.
Pour calculer la part d’eau d’ET qui est accaparée par l’être humain, une méthode consiste à évaluer la fraction de production primaire nette (PPN) [2] qu’il s’adjuge. Cette fraction est de 40,6 milliards de tonnes (Mt) sur une PPN totale terrestre de 132 Mt. Donc, 30 % de la PPN planétaire sert l’humanité.
Si on considère la totalité de la PPN terrestre totale, 2 g de biomasse est produit en moyenne par litre d’eau (ou 1,9 kg par tonne d’eau). Autrement dit, 1 litre d’eau est transférée à l’atmosphère pour la production de 2 g de biomasse. En supposant que la PPN par litre d’eau est la même en moyenne quel que soit le type de plante et qu’on l’applique aux productions de matière organique anthropique, 21 000 km3 d’eau d’ET (30 %) est accaparée par l’humanité.
Cette valeur doit être cependant être corrigée par l’irrigation dont bénéficient 16 % des terres agricoles mondiales, une pratique qui nécessite 2000 km3 d’eau/an. En supposant de plus que la moitié des pelouses, parcs et autres terres occupées par les êtres humains sont également irriguées, le volume total d’eau d’ET utilisée par l’être humain est de 18 200 km3, soit 26 % du volume total (Diagramme 1). Le 74 % restant est partagé par les écosystèmes naturels et doit combler leurs besoins.
La quantification de l’eau de ruissellement disponible à l’humanité
Les écoulements ne sont pas accessibles en totalité à l’humanité. Premièrement, ils ne le sont pas pour des raisons géographiques, comme c’est le cas par exemple pour les cours d’eau situés sous de hautes latitudes. De plus, certains fleuves ne sont exploités que partiellement, tout simplement du fait que les populations ne sont établies sur ses rives. On estime que 19 % des écoulements, soit 7 774 km3, sont inaccessibles.
Le second facteur qui rend les écoulements fluviaux inaccessibles est temporel et est lié aux crues dont les débits ne sont pas exploités. Un exemple frappant est l’Asie où 80 % des crues ont lieu de mai à octobre. Or, les activités humaines requièrent l’eau à l’endroit et au moment où les besoins doivent être comblés. Seuls un barrage peut exercer un contrôle des crues et en permet l’exploitation. La capacité de stockage des barrages représentent 5 500 km3 d’eau dont 3 500 km3 sont utilisés pour la régulation des débits des cours d’eau.
Au niveau planétaire, environ 27 % de l’eau des écoulements totaux des rivières et des écoulements souterrains constitue la part de l’eau renouvelable, pour un volume de 11 000 km3. Si on ajoute le volume d’eau contrôlé par les barrages, la quantité totale d’eau renouvelable accessible à l’humanité est estimée à 12 500 km3 annuellement.
L’appropriation de l’eau de ruissellement par l’humanité
En utilisant une valeur moyenne d’irrigation de 12 000 m3 par hectare à l’ensemble des terres cultivées, on obtient une valeur d’appropriation de l’eau d’écoulement par le secteur de l’agriculture de ~2 880 km3/an. Si on suppose une efficacité de l’irrigation de 65 %, 1 870 km3 d’eau sont effectivement consommés par l’agriculture.
Pour l’industrie, les estimations donnent une valeur de prélèvements d’eau de 975 km3/an. Seule une faible proportion de cette eau est consommée, soit 9 % ou ~90 km3/an.
Au niveau municipal, les prélèvements sont d’environ 300 km3/an, dont 17 % (50 km3/an) sont consommés. Finalement, les pertes dues à l’évaporation dans les réservoirs d’eau sont estimées à 5 % du total (5 500 km3), soit 275 km3/an.
Au total, c’est donc 6 780 km3/an de l’eau de ruissellement qui sont utilisés par les activités humaines, soit 54 % du total disponible. De ce volume, 2 285 km3/an ou 18 % est consommé et n’est donc plus disponible pour un second ou un troisième usage.
Appelée eau grise, une partie de l’eau est utilisée pour diluer nos déchets. Un facteur de dilution souvent utilisé pour estimer la capacité d’absorption des déchets est de 28,3 litres pour 1 000 habitants. Si on suppose que la moitié des déchets industriels et municipaux sont ainsi dilués, on estime que 2 350 km3 d’eau par an sont utilisés à cette fin.
Conclusion : l’appropriation globale de l’eau douce renouvelable par l’humanité
En guise de bilan global, si on ajoute le volume d’eau d’ET et la quantité d’eau de ruissellement utilisés par les activités humaines, c’est 24 980 km3/an que l’humanité s’approprie sur un total disponible de 82 100 km3/an, soit une appropriation de 30 %, ou encore 23 % du volume total d’eau douce renouvelable présent sur Terre.
Note et référence
[1] L’ensemble des données de cet article est tiré de : Sandra L. Postel et coll. Human Appropriation of Renewable Fresh Water Science (1996) 271 785-788 (doi:10.1126/science.271.5250.785) http://www.sciencemag.org/content/271/5250/785
[2] La production primaire nette (PPN) correspond à la matière organique (ou biomasse) produite à partir de dioxyde de carbone (CO2).