Un approvisionnement suffisant en nourriture est un facteur qui joue un rôle déterminant dans le bien-être humain [1]. La Révolution néolithique en est un exemple, puisqu’elle a vu l’apparition de l’agriculture, de l’élevage et de la sédentarisation, et qu’elle est reconnue comme un événement majeur dans l’amélioration de la condition humaine. Dès lors, en effet, l’agriculture transforma radicalement notre alimentation. Elle permit notamment d’augmenter la production de nourriture et de la stocker. On lui attribue aussi le fait d’avoir diminué le temps alloué par l’être humain à la recherche de nourriture, lui libérant ainsi du temps pour s’adonner aux arts. De plus, partout où elle s’est implantée, l’agriculture a été marquée par une explosion démographique de l’Homo sapiens. Au vu de tous ces bienfaits, l’apparition de l’agriculture a donc longtemps été associée à une avancée majeure de l’humanité par rapport à la vie de chasseur-cueilleur. Mais est-ce vraiment le cas ? L’agriculture n’a-t-elle eu que des bénéfices sur les êtres humains ?
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Les recherches des dernières décennies montrent qu’en fait, et contrairement à l’idée qui était largement répandue, l’agriculture a un bilan pour le moins mitigé sur le bien-être humain, et ce à plusieurs niveaux. Ce sont d’abord des travaux de paléopathologie qui ont montré que le passage à l’agriculture s’était traduit, étonnamment, par une détérioration générale de la santé humaine [2,3]. Cette dégradation se manifeste sur les squelettes par une recrudescence spectaculaire des caries dentaires, de la perte de dents par les adultes, de divers défauts de l’émail des dents et de la physiologie des os [2,3].
On observe également un retard de croissance chez les enfants et une diminution de la taille moyenne chez les adultes, qui a très vraisemblablement pour origine une alimentation de qualité nutritionnelle déficiente [2,3]. Le régime alimentaire des agriculteurs du néolithique est en effet appauvri par rapport à celui des chasseurs-cueilleurs [2,3], car la nutrition des premiers est centrée sur les glucides (céréales, riz) et est donc moins diversifiée.
L’adoption de l’agriculture au Néolithique est également associée à une forte augmentation des maladies infectieuses, qui résulte de trois facteurs principaux : le sédentarisme, une détérioration générale des conditions de vie et une plus grande densité de population, cette dernière favorisant une diffusion plus rapide des pathogènes.
L’agriculture a été suivie d’une explosion démographique dans chaque région d’Europe de l’ouest où elle est apparue, un accroissement qui semble résulter d’un taux de natalité élevé [2]. Cependant, comme le montre la figure ci-dessous tirée d’un article récent [4], ce boum a partout été suivi d’une réduction abrupte de la population, de 30 à 60% selon la région. Cette réduction radicale est pour l’instant inexpliquée. Plusieurs raisons sont invoquées. L’augmentation de la population a pu atteindre un niveau qui ne soit pas soutenable par rapport aux ressources disponibles, les sols ont pu être érodés ou ils ont pu être rendus infertiles [4]. Il faut ajouter que suite à cette chute drastique, la tendance générale de la population mondiale à la hausse a progressivement repris.
Sur un autre plan, l’agriculture et la sédentarisation ont vu apparaître une stratification sociale et des inégalités sociales qui sont inexistantes chez les chasseur-cueilleur [3]. Plus généralement, le passage au sédentarisme, à l’agriculture et à l’élevage au cours du Néolithique a jeté les bases des sociétés actuelles.
On a également longtemps pensé que la vie d’agriculteur libérait du temps par rapport à la vie de chasseur-cueilleur. Or il semble bien avéré qu’un chasseur-cueilleur ne passe pas plus de temps à trouver sa nourriture et qu’il s’adonne aux arts comme tous comme l’ensemble des Homo sapiens. L’art inuit ou celui des Amérindiens en font foi aujourd’hui de manière remarquable.
L’agriculture exerce de nos jours une pression inégalée et croissante sur l’environnement : pression sur les ressources en eau (irrigation) sur la qualité des sols (monocultures, pesticides, déforestation), sur la biodiversité (destruction des habitats, monocultures), sur la qualité de l’eau et le cycle de l’azote et du phosphore (engrais, pesticides), etc. Néanmoins, Cette agriculture industrielle, issue de la « Révolution verte », est très productive, de sorte qu’on vante sa capacité à nourrir une population mondiale grandissante qui atteindra 8 milliards d’âmes en 2025. De plus, les dégradations environnementales dont elle est responsable, tout comme celles induites par les autres activités humaines, ne semblent pas, pas encore du moins, avoir d’effets négatifs globaux sur le bien-être humain, quoique des effets régionaux puissent se faire sentir. Cependant, les effets négatifs de l’agriculture sur l’environnement ne peuvent être ignorés et, comme ceux des autres activités humaines, sont une source présente et future de réduction du bien-être humain.
Conclusion
Le Néolithique a vu l’une des transformations majeures du fonctionnement de l’espèce humaine, sinon la transformation la plus importante. Les populations se sont alors retrouvées devant le « choix » de conserver leur mode de vie basé sur la chasse et la cueillette ou d’en adopter une nouvelle impliquant d’abandonner le nomadisme, cultiver la terre et domestiquer des animaux pour l’élevage. Cette transition, adoptée progressivement par de nombreuses populations, a jeté les fondations des sociétés actuelles. Cependant, ce passage est loin d’avoir constituée une amélioration par rapport à la vie de chasseur-cueilleur. Il s’est traduit par un appauvrissement nutritionnel, une réduction générale de l’état de santé et a une recrudescence d’infections. Aujourd’hui, ce sont les dégradations environnementales associées à l’agriculture qui risquent de nous rattraper…
Bibliographie
[1] Raudsepp-Hearne, C. et coll. Untangling the environmentalist’s paradox: why is human well-being increasing as Ecosystem Services Degrade? BioScience 60 (2010) 576-589 (doi: http://dx.doi.org/10.1525/bio.2010.60.8.4).
http://www.bioone.org/doi/abs/10.1525/bio.2010.60.8.4
[2] C. S. Larsen Biological changes in human populations with agriculture Annual Review of Anthropology (1995) 24 185-213
http://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev.an.24.100195.001153?journalCode=anthro
[3] J. Diamond Le troisième chimpanzé (1992) Folio essais, Gallimard
[4] Stephen Shennan Regional population collapse followed initial agriculture booms in mid-Holocene Europe Nature Communications (2013) 4 2486 (doi: 10.1038/ncomms3486) http://www.nature.com/ncomms/2013/131001/ncomms3486/full/ncomms3486.html