Des chercheurs proposent que deux défis majeurs auxquels l’humanité doive faire face, le réchauffement climatique et l’épuisement des combustibles fossiles, soient résolus en fondant nos sociétés sur un nouveau principe technologique, le cycle du carbone anthropique.
Dans la nature, le cycle du carbone est réalisé par les plantes qui convertissent, lors de leur développement, le dioxyde de carbone (CO2) et l’eau en glucides, grâce à l’énergie fournie par la lumière du soleil et la chlorophylle qui joue un rôle de catalyseur. Dans un article paru dans Journal of the American Chemical Society*, des chercheurs soulignent que, de façon similaire, les recherches récentes en chimie montrent qu’il est possible de capter le CO2 et, en présence d’eau, de le convertir en méthanol, une source d’énergie susceptible de combler l’essentiel des besoins de nos sociétés. Le CO2 peut aussi être transformé en éther diméthylique (ou méthoxyméthane) et en divers produits comme des protéines que les auteurs se proposent de destiner à l’alimentation animale.
Le captage du CO2 est techniquement possible, mais sa transformation demande à ce que les émissions des différentes sources soient réunies à un même endroit pour que sa transformation à grande échelle puisse être réalisée. Dans le cas des émissions localisées, celles d’une usine par exemple, de grandes quantités sont recueillies à un seul endroit. Mais dans le cas des millions de sources que représentent les véhicules automobiles, on conçoit facilement que le transport nécessaire pour rassembler le CO2 émis par chacune de ces entités dans des sites de transformation rende le processus économiquement prohibitif, et augmente inconsidérément l’impact des activités humaines.
Or, bien que la concentration de CO2 atmosphérique reste ténue, il est possible de capter le CO2 directement à partir de l’atmosphère. On estime que le coût associé à cette transformation varie entre 100 et 200 $US, mais on s’attend à ce qu’il baisse à l’avenir. Ainsi, les auteurs de l’article proposent de bâtir nos sociétés sur le recyclage du carbone émis par les activités humaines. Ainsi, en captant, séquestrant et convertissant le CO2 en méthanol (ou en d’autres produits), ce cycle du carbone proprement humain permettrait de contrecarrer le réchauffement climatique en réduisant la présence de CO2 dans l’atmosphère, et représenterait un substitut aux énergies fossiles dont l’accessibilité et l’épuisement annoncé constituent des problèmes majeurs pour le futur. Les auteurs ajoutent que l’énergie nécessaire à la production de méthanol devrait être fournie à partir de ressources renouvelables.
Si cette vision semble attrayante en apparence, elle pose aussi des interrogations de fond qui montrent que rien n’est simple en matière de développement durable. La production de méthanol sur une grande échelle à partir de CO2 nécessite de grandes quantités d’eau. Or, où prendre cette eau alors que des pénuries affectent déjà cette ressource dans plusieurs endroits du monde ? Peut-on vraiment dédier de larges volumes d’eau à la production de combustible alors que :
- 2,4 milliards de personnes n’ont pas accès à un système sanitaire adéquat
- Plus de 1 milliard de personnes n’ont pas accès à de l’eau potable
- 250 millions de personnes malades et 2,2 à 5 millions de décès annuels résultent de ces problèmes d’eau
Ce constat est comparable au débat qui a fait rage alors que l’on cherchait à dédier des champs entiers à la culture de maïs afin de produire du biodiesel, une idée a priori intéressante. Mais nombre d’initiatives de ce genre ont en fait été abandonnées, car ce changement de vocation des terres était vu comme un obstacle à la résolution de la crise alimentaire mondiale.
De plus, si ce cycle du carbone anthropique permettrait de diminuer le réchauffement planétaire, il ne neutralise pas la source des autres crises écologiques (érosion de la biodiversité, accès à l’eau, épuisement des ressources minérales), car elle ne réduit pas l’impact des activités humaines. Au contraire, elle donnerait bonne conscience aux individus d’accroître leur consommation et donc leur impact sur l’environnement.
La solution proposée par les auteurs fait sans doute partie de la solution pour contrer le réchauffement planétaire, mais de nouveaux paradigmes doivent impérativement y être associés pour limiter les effets délétères des activités humaines. À une trop grande échelle, cette vision risque même de les accentuer et d’accentuer les problèmes sanitaires dus au manque d’eau.
*G. A. Olah, G. K. S. Prakah et A. Goeppert, Anthropogenic chemical carbon cycle for a sustainable future, Journal of the American Chemical Society (2011) 133 12881-12898 (doi: 10.1021/ja202642y)
http://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/ja202642y