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L’empreinte hydrique de l’humanité

L’empreinte écologique mondiale en termes d’utilisation d’eau douce, c’est-à-dire son empreinte hydrique ou empreinte sur l’eau, a été estimée en 2012 par Arjen Hoekstra et Mesfin Mekonnen de l’Université de Twente aux Pays-Bas, dans un article paru dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences [1]. Dans cette étude, ils ont compilé les quantités d’eau douce utilisées par l’ensemble des nations du monde à des fins d’agriculture (et d’élevage), de production industrielle (et d’énergie) et pour les usages domestiques, et ce pour la période 1996-2005.

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L’empreinte hydrique mondiale

L’appropriation anthropique de l’eau douce est définie dans cette étude comme le volume d’eau consommée, c’est-à-dire l’eau évaporée ou incorporée dans des produits, plus le volume d’eau polluée, qui ne peut donc plus être utilisée telle quelle. Autrement dit, l’eau qui retourne directement dans les bassins versants n’est pas considérée. De plus, les auteurs distinguent l’utilisation de l’eau bleue, de l’eau verte et de l’eau grise.

L’eau bleue correspond aux eaux de surface (lacs, fleuves et rivières) et à l’eau souterraine (aquifères) qui est consommée. L’empreinte en termes d’eau bleue est donc généralement inférieure au volume total d’eau douce prélevée, car une partie de l’eau prélevée n’est pas consommée et retourne dans les bassins versants. À l’échelle mondiale, l’empreinte « eau bleue » sur la période 1996-2005 représente un total de 1025 km3 d’eau douce par an (ou 1025 Gm3 soit 1 million de milliards de litres) [1,2]. L’agriculture est à l’origine de 92% de cette consommation, l’industrie et les usages domestiques contribuant respectivement à hauteur de 4,4% et de 3,6%.

L’eau verte correspond à l’eau de pluie qui est consommée, essentiellement pour l’agroalimentaire. L’empreinte « eau verte » de l’ensemble des nations est de 6684 km3 par année pour la période 1996-2005 [1,3].

Enfin, l’eau grise est le volume d’eau douce nécessaire à « l’assimilation » des polluants émis par les activités d’une société. Au niveau mondial, l’empreinte « eau grise » totale est de 1378 km3 par an pour la période 1996-2005 [1,4]. Globalement, si on ajoute les trois types d’empreinte écologique hydrique, on obtient une empreinte mondiale totale de 9087 km3 d’eau douce par année.

Quand on s’intéresse à l’utilisation de l’eau d’un pays, on distingue l’empreinte hydrique de production de l’empreinte hydrique de consommation. La première correspond à la quantité annuelle d’eau consommée et polluée par les différents secteurs d’activités du pays considéré. La seconde est la somme de deux contributions, une intérieure, l’autre extérieure. La part intérieure est donnée par le volume d’eau nécessaire à la production des produits consommés à l’intérieur du pays considéré, la part extérieure étant le volume d’eau qui a été nécessaire dans les pays d’où les produits ont été importés.

L’empreinte hydrique de production par pays

Comme rappelé ci-dessus, l’empreinte hydrique de production correspond au volume d’eau local consommé par unité de temps pour les activités ayant lieu à intérieur même d’un pays. Sans surprise, la consommation d’eau nationale est, dans l’ordre décroissant, la plus élevée pour la Chine, l’Inde puis les États-Unis avec des empreintes hydriques respectives de 1207, 1182 et 1053 km3/an. À eux seules, ces trois États représentent 38% de l’eau consommée par les êtres humains.

La répartition de la consommation d’eau douce des pays du monde en termes d’eau bleue, verte et grise est représentée à la Figure 1. L’Inde est le pays dont l’empreinte eau bleue est la plus élevée avec 243 km3/an [1]. Ce résultat n’est pas surprenant puisque, du fait de son importante population, ce pays est reconnu pour être contraint de puiser de l’eau dans les aquifères pour subvenir à la demande intérieure [5], ce qui en fait un pays à risque puisqu’il épuise son capital hydrique. L’empreinte eau bleue de l’Inde ne constitue pas moins de 24% de l’empreinte eau bleue mondiale !

Empreintes eau verte, bleue et grise des États
Figure 1. Empreintes eau verte, bleue et grise des différents États durant la période 1996-2005 (source : [1], copyright PNAS, 2012).
En Inde, c’est l’irrigation qui consomme le plus d’eau bleue. L’irrigation du maïs constitue ainsi 33% de cette empreinte, l’irrigation du riz y contribue à 24% tandis que l’irrigation de la canne à sucre contribue à 16%. Au total, ces cultures représentent donc près des trois-quarts de l’empreinte eau bleue. La Chine est le pays qui a l’empreinte eau grise la plus élevée du monde sur la période 1996-2005, avec 360 km3 d’eau douce consommée par an, soit 26% de la consommation mondiale d’eau grise.

L’eau virtuelle du commerce international

L’eau virtuelle est l’eau qui est nécessaire à production des biens industriels et alimentaires. Du fait des échanges commerciaux internationaux, de l’eau est ainsi virtuellement importée et exportée à travers le monde. L’eau virtuelle des importations n’est pas toujours comptabilisée dans le bilan hydrique d’une nation, bien qu’elle soit importante, ce qui montre bien au demeurant que les pays ont externalisé une bonne partie de leur consommation d’eau.

Au niveau mondial, l’empreinte hydrique totale brute liée aux exportations de produits fabriqués par l’ensemble des pays est de 1762 km3/an sur la période 1996-2005. C’est donc 19% de la consommation d’eau douce totale qui est utilisée pour les exportations. Si on considère le secteur de l’industrie, c’est 41% de la consommation d’eau qui est consacrée aux exportations ; dans le secteur de l’agriculture, c’est 19%.

Dix pays produisent plus de 50% de l’eau virtuelle exportée. Ces pays sont, du plus gros au moins gros exportateur : les États-Unis (314 km3/an), la Chine (143 km3/an), l’Inde (125 km3/an), le Brésil (112 km3/an), l’Argentine (98 km3/an), le Canada (91 km3/an), l’Australie (89 km3/an), l’Indonésie (72 km3/an), la France (65 km3/an) et l’Allemagne (64 km3/an).

En termes d’eau bleue, les États-Unis, le Pakistan, l’Inde, l’Australie, l’Ouzbékistan, la Chine et la Turquie sont les plus gros exportateurs d’eau virtuelle. Ces pays étant au moins partiellement sous stress hydrique, cela met nécessairement en question leur viabilité hydrique et le fonctionnement général des sociétés.

Le flux international total d’eau virtuelle est donné par l’eau liée aux exportations de produits fabriqués sur les différents territoires, à laquelle il faut ajouter l’eau virtuelle des produits importés qui sont ensuite réexportés. Le flux total d’eau virtuelle à l’échelle internationale est ainsi de 2320 km3/an sur la période 1996-2005, dont 68% est constitué d’eau verte, 13% d’eau bleue et 19% d’eau grise.

Les plus gros importateurs d’eau virtuelle sont les États-Unis (234 km3/an), le Japon (127 km3/an), l’Allemagne (125 km3/an), la Chine (121 km3/an), l’Italie (101 km3/an), le Mexique (92 km3/an), la France (78 km3/an), le Royaume Uni (77 km3/an) et les Pays-Bas (71 km3/an). La Figure 2 montre un aperçu schématisé des principaux flux d’eau virtuelle de la planète.

Flux nets d’importation/exportation d’eau virtuelle
Figure 2. Flux nets d’importation/exportation d’eau virtuelle pour les différents États du monde durant la période 1996-2005. Les pays en vert sont des exportateurs nets d’eau douce. Les pays de jaune à rouge sont des importateurs nets. Les flèches représentent les principaux flux d’eau douce virtuelle. Leur épaisseur est proportionnelle à l’intensité du flux (source : [1], copyright PNAS, 2012).
L’empreinte hydrique de consommation par pays

L’empreinte sur l’eau mondiale en termes de consommation est de 1385 m3/an par personne en moyenne. Elle est due à 92% à l’agriculture, à 4,7% à l’industrie et à 3,8% aux usages domestiques. Dans l’absolu, la Chine est le pays ayant l’empreinte hydrique de consommation la plus élevée (1368 km3/an), suivie par l’inde (1145 km3/an) et les États-Unis (821 km3/an).

Évidemment, la valeur de la consommation par habitant est une donnée plus pertinente que la consommation nationale. On s’aperçoit ainsi que les pays développés ont une empreinte hydrique de consommation comprise entre 1250 et 2850 m3/an et par personne. Le Royaume Uni se situe près de la limite basse (1258 m3/an par personne) tandis que les États-Unis se situent près de la limite haute (2842 m3/an par personne).

Une telle différence entre des pays somme toute similaires s’expliquent, au moins en partie, par certaines disparités dans les modes de consommation. La consommation de viande bovine aux États-Unis par exemple, un des secteurs les plus demandants en eau, est de 43 kg/an et par personne contre 18 kg/an par personne au Royaume Uni. Une autre différence provient de la quantité d’eau moyenne utilisée et polluée par unité de bien produit. Si on reste sur l’exemple de la production de viande bovine, il faut 14 500 m3 d’eau pour produire une tonne de viande bovine aux États-Unis, contre 9 900 m3/tonne au Royaume Uni. On constate qu’en général, les pays industrialisés ont une empreinte sur l’eau liée aux produits industrielle plus élevée que les pays en développement (PED).

L’empreinte hydrique par personne dans les PED varie beaucoup plus selon les États que celle des pays industrialisés. Elle va de 550 à 3800 m3/an selon les pays, la République du Congo se situant à la valeur minimale, la Bolivie (3468 m3/an par personne), le Niger (3519 m3/an par personne) et la Mongolie (3775 m3/an par personne) ayant les valeurs maximales. Bien que les valeurs extrêmes puissent être dues au manque de données sur la consommation d’eau de certains pays, la variabilité d’un pays à l’autre s’explique par les différences d’habitudes de consommation et de modèle de production. Ainsi, comme le font remarquer les auteurs, on retrouve du côté des grands consommateurs d’eau aussi bien des PED que des pays industrialisés.

Conclusion

Cet article clairement que de nombreux pays ont externalisé leur empreinte hydrique. Et pourtant, peu de monde se semble se soucier de savoir si les biens importés contribuent à une diminution de la disponibilité et de la qualité de l’eau douce dans les pays producteurs. Cette quantification exhaustive des volumes annuels d’eau consommée montre qu’il est possible de réduire notre consommation d’eau et de la rendre soutenable.

Notes et références

[1] Arjen Y. Hoekstra et Mesfin M. Mekonnen, The water footprint of humanity, Proceedings of the National Academy of Sciences (2012) 109 3232–3237 (doi:10.1073/pnas.1109936109). http://www.pnas.org/content/early/2012/02/06/1109936109
[2] Cette valeur est inférieure à celle déterminée dans une autre étude publiée en 1996 dans la revue Science et rapportée dans un article de ce blogue. Selon ces travaux, 2285 km3 d’eau de surface et souterraine est consommée par l’humanité par année. Cette valeur est basée sur une estimation globale et certaines hypothèses moyennes, contrairement au présent calcul de Hoekstra et Mekonnen qui est basé sur la consommation réelle des différents pays du monde et qui s’avère donc plus précis. Selon cette étude de 1996, les prélèvements totaux de l’humanité, quoique probablement surestimés, représentent 6780 km3 d’eau par an [Arjen Hoekstra, communication personnelle].
[3] Cette valeur est inférieure à celle déterminée dans l’étude publiée en 1996 dans la revue Science et rapportée dans un article de ce blogue. Dans ce dernier cas, l’estimation est de 18 200 km3/an et inclut l’eau verte utilisée par les forêts, et qui n’est pas comptabilisée par Hoekstra et Mekonnen [Arjen Hoekstra, communication personnelle].
[4] Cette valeur est inférieure à celle déterminée en 1996 dans la revue Science (2 350 km3 d’eau par an) du fait d’une méthodologie différente. Alors que la présente étude adopte une approche du bas vers le haut (bottom-up), celle de 1996 représente une estimation globale.
[5] Maude Barlow, Vers un pacte de l’eau (2009) Écosociété.

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