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Une très brève histoire de l’économie mondiale

La première mondialisation

Répandu en Nord, et bientôt au Sud, le système économique actuel est devenu le modèle universel de notre temps. Il nous est hérité d’une histoire qui remonte au 15e siècle, à une époque où l’Europe se lance dans de vastes projets d’exploration par la voie des mers. Grâce à l’optimisation des navires, dorénavant capables de sillonner les océans (une avancée technologique majeure), Marco Polo, Vasco de Gama, Magellan, Christophe Colomb, Jacques Cartier et d’autres, cherchent, et parfois parviennent à trouver une voie maritime pour rejoindre l’Extrême-Orient. Ces voyages au long cours bénéficient de l’appui financier de grands propriétaires terriens qui engagent leur propriété  en échange de richesses que les explorateurs allaient rapporter de leur excursion [2]. L’amélioration des échanges commerciaux avec l’Asie qui s’ensuit conduit à une diminution des prix des produits importés (épices, poivre, textiles, porcelaine). Ces voyages constituent le début de la première mondialisation des marchés [1].

Elle se poursuit avec l’arrivée des Européens sur les « nouvelles » terres, notamment l’Amérique, un événement qui constitue un tournant de l’Histoire. Ces « découvertes » mènent à la fondation des compagnies commerciales semi-privées telles que les diverses Compagnies des Indes et à l’installation de divers postes de commerce qui font parvenir de nouvelles matières premières en Europe (sucre, tabac, argent). Le colonialisme s’intensifie au 17 et 18e siècle, une période qui voit se succéder nombre de conflits armés entre divers pays européens qui luttent pour conserver leurs hégémonies commerciales et territoriales. C’est aussi une période marquée par la traite des esclaves d’Afrique que l’on utilise comme une main d’œuvre « bon marché ».

La Révolution industrielle

L’Angleterre réussit particulièrement bien dans cette vaste entreprise. Elle accroît son empire et son économie est florissante grâce aux importations et au commerce de ses colonies, conduisant à une augmentation de la richesse. Alors qu’au 14e siècle, les revenus par personne étaient similaires dans les grands pays d’Europe, et supérieurs à ceux nécessaires à la satisfaction des besoins de base des familles, une grande disparité s’établit au 18e siècle [1]. Les revenus sont ainsi très élevés en Angleterre (ainsi qu’au Pays-Bas), tandis qu’ils suffisent à peine aux besoins de base en Italie et en Espagne. Or, de hauts salaires représentent un incitatif puissant pour développer des technologies productives qui vont se substituer à une main d’œuvre dispendieuse [1]. Des salaires élevés permettent également aux individus de consacrer une partie de leurs revenus à l’éducation, ce qui favorise également l’innovation. Néanmoins, pour pouvoir investir dans des technologies nouvelles, donc onéreuses, il est nécessaire de disposer de capital. Et c’était justement le cas de l’Angleterre…

Aux 17e et 18e siècles, on assiste par ailleurs en Europe à une révolution dans les principaux domaines scientifiques (physique, chimie et biologie) qui est à la base d’avancées technologiques majeures. C’est notamment le cas dans le domaine de la thermodynamique qui débouche sur la conception des machines thermiques dont l’exemple le plus connu est la machine à vapeur. Or, l’Angleterre possède également sur son propre territoire de grandes quantités de charbon, une matière déjà abondamment utilisée comme combustible. Elle dispose donc d’une source d’énergie abordable qui permet de faire fonctionner les futures machines à vapeur. Si on ajoute à cela un contexte institutionnel et politique favorable, la conjugaison des hauts salaires, d’une capacité d’investissement élevée et d’une énergie abordable ont naturellement mené l’Angleterre à devenir le berceau de la Révolution industrielle [1]. L’Europe et les États-Unis suivirent la même trajectoire un peu plus tard au cours du 19e siècle.

Une spirale du progrès inégalement partagée

La dynamique qui relie les salaires, la technologie et la disponibilité des capitaux constitue ce que Robert Allen appelle la spirale du progrès [1]. Comme on l’a vu, des salaires élevés encouragent le développement d’innovations technologiques. Si les capitaux sont disponibles, il est possible d’implanter de nouvelles technologies qui permettront d’augmenter la productivité d’un État (le « secret de la croissance économique » selon Allen [1]). En conséquence, les salaires augmentent, ce qui encourage à nouveau la mise en œuvre de technologiques nécessitant des capitaux, etc. Ce mécanisme cumulatif est à la base même de l’augmentation continue des revenus des pays riches depuis la Révolution industrielle [1]. Cependant, ces technologies onéreuses n’ont pas pu être adoptées dans les pays les plus pauvres pourvus de bas salaires. Même les pays d’Europe ont dû attendre plusieurs décennies avant que les innovations technologiques industrielles deviennent assez abordables, donc rentables, pour pouvoir les utiliser à leur propre profit.

Des années de progrès et de mise au point techniques ont permis de mécaniser la fabrication des biens manufacturés, ce qui a augmenté considérablement la productivité et la compétitivité des industries anglaises, puis européennes. Les industries d’Asie, pourtant bien implantées mais dépassées en comparaison, n’ont tout simplement pas résisté à la concurrence des pays riches. C’est notamment ce qui s’est passé avec la production de fils de coton, une industrie majeure de l’époque. Alors qu’au 17e siècle l’Inde et la Chine étaient les principaux exportateurs de produits textiles à base de coton dans le monde, les progrès technologiques réalisés en Angleterre au cours du 18e siècle pour mécaniser le filage et le tissage de la fibre de coton a rendu le processus plus rapide et meilleur marché, ce qui finalement rendit les installations d’Asie désuètes [1].

Il s’agit en fait d’un principe général selon lequel l’industrialisation dans certains secteurs et certains pays provoque la désindustrialisation des manufactures concurrentes ailleurs dans le monde [1]. Ce processus n’a pas pour autant constitué un objectif en soi, et ce bien que la colonisation ait pu jouer un rôle [1]. Il résulte simplement des mécanismes de marché et a fortement marqué les disparités Nord-Sud, la Chine, l’inde, l’empire Ottoman et la Russie subissant de plein fouet ce phénomène. La baisse des coûts de production en Europe et aux États-Unis a été ensuite accentuée par le développement des bateaux à vapeur et du transport ferroviaire. Pour reprendre les termes de Robert Allen, les pays industrialisés de l’Asie sont ainsi devenus des « pays en développement modernes » [1].

Les 19e et 20e siècles

Dans la foulée de la Révolution industrielle, l’économie continue de s’appuyer sur les découvertes scientifiques qui se multiplient aux 19e et 20e siècles. Ainsi, après la machine à vapeur, apparaît le moteur à essence, ouvrant un autre champ à la combustion des matières fossiles. L’automobile est créée à la fin du 19e siècle et les premiers vols aériens ont lieu au tournant du 20e siècle. L’électricité fait son apparition pour sa part à la fin du 19e siècle. La production de masse prend son essor dès le tout début du 20e siècle, notamment avec l’usine d’automobiles Ford et ses méthodes visant à augmenter la productivité. L’ère des chaînes d’assemblage et de l’automatisation peut alors commencer. Les premiers robots industriels arriveront dans les usines à la fin des années 60, puis ce sera le tour de l’informatisation. Avec l’amélioration des moyens de communications et des transports, le commerce ne cesse de s’internationaliser, et le poids de son empreinte écologique augmente inéluctablement. Dans les années 1950-1960, a lieu la « Révolution verte » qui résulte elle aussi d’innovations technologiques visant à accroître la productivité de ce secteur.

L’Angleterre est devenue la première manufacture du monde au cours du 18e siècle. À son apogée, vers 1880, la production de l’Angleterre représente à elle seule 23% de la production mondiale. La Révolution industrielle s’est ensuite répandue en Europe et dans l’ancien empire anglais, États-Unis, Australie et Canada. En 1938, l’hégémonie du Royaume-Uni a pourtant considérablement diminué. Les États-Unis et l’Europe produisent alors respectivement 33 et 24 % du total mondial. La part des États-Unis dans la production mondiale de biens atteint son maximum autour des années 50 et ils restent jusqu’à aujourd’hui encore la première puissance économique du monde.

À l’orée du 20e siècle, et en 150 ans d’histoire, le monde a radicalement changé. Alors qu’en 1750 la production était majoritairement fabriquée en chine (33% de la production mondiale) et dans le sous-continent indien (25 %), la situation en 1913 était totalement renversée : l’Europe et les États-Unis « pesaient » pour trois-quarts de la production mondiale et la Chine et l’inde respectivement pour 4 et 1%. Dans le même temps, l’écart entre l’empreinte écologique des premiers et celle des seconds augmentait. Les pays du Sud ont, ou ont eu, beaucoup de mal à sortir de leur inextricable situation de pauvreté. Malgré les coûts élevés des technologies développés par les pays riches, ils ont essayé de les utiliser, et pour certains d’entre eux ont partiellement réussi, mais pas suffisamment ou pas assez vite pour rattraper l’Occident.

Le succès du développement économique, pour ceux des pays pauvres qui finalement y parviennent, nécessite une grande coordination entre planification et investissements. Le Japon, suivi par Taïwan et la Corée du Sud, et dans une moindre mesure l’Union soviétique, ont rejoint le club des pays dits « développés » au cours 20e siècle. La Chine est en train de leur emboîter le pas depuis les années 1980 ainsi que d’autres pays dits « émergents » (Inde, Brésil, Afrique du Sud, Mexique, Indonésie).

Notes et références
[1] R. C. Allen, Global economic history – A very short introduction. (2011) Oxford University Press, New York.
[2] En fait, les propriétaires se portent garants en engageant la sécurité que leur procurent les terres et leurs récoltes, cette sécurité étant rendue tangible par l’émission de ce qui s’appelait à l’époque un « papier-valeur », l’ancêtre du billet de banque. Le navigateur disposait alors de fonds pour financer son périple en matériel et en hommes. En retour, le propriétaire obtenait les richesses que l’explorateur rapportait de son voyage. [P. van Griethuysen, La propriété, moteur de la mondialisation. Solidaire 172, 10-12 (2003).P. van Griethuysen, La propriété, moteur de la mondialisation. Solidaire 172, 10-12 (2003) ; P. van Griethuysen, Rationalité économique et logique de précaution: quelle compatibilité ? Revue européenne des sciences sociales 42, 203-227 (2004)].

 

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