jeudi, avril 25, 2024

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Devrions-nous exploiter les shales gazifières ?

À l’encontre du discours généralement entendu, une société ne devrait pas décider d’exploiter les shales gazifières ou tout autre ressource simplement « parce que les redevances sont suffisantes » ou « parce que ce sera bon pour l’économie ». On ne peut pas non plus se fier uniquement à « l’assurance » que cette activité peut ou pourra être réalisée « selon les normes environnementales les plus strictes » ou parce que l’on aura évalué que les réserves disponibles d’un puits sont « exploitables industriellement ». Si tous ces critères sont importants, ce ne sont pas des arguments suffisants à eux seuls.

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Ce discours est trompeur et réducteur. Une question comme celle de l’exploitation des gaz de schiste doit être replacée dans le contexte d’une stratégie énergétique réfléchie (voire visionnaire), qui prenne en compte tous les enjeux, et ce à long terme.  Il est anormal qu’une telle stratégie ne soit pas considérée et débattue dans la société. Comment se fait-il qu’un échéancier pour nous défaire de notre dépendance aux combustibles fossiles, notamment au gaz naturel, n’est-il pas déjà en œuvre ? S’il faut réaliser que nous aurons toujours besoin d’un peu de méthane, quel volume maximal voulons-nous raisonnablement utiliser dans un horizon de 20 ou 50 ans par exemple, notamment dans un contexte de changements climatiques ?

Par ailleurs, et puisque une quantité minimale de gaz sera nécessaire au fonctionnement de nos sociétés, pouvons-nous vraiment nous glorifier de protéger notre environnement si nous renonçons à utiliser nos ressources, tout en fermant les yeux sur la dégradation de l’environnement et des conditions de vie dans les régions du monde qui nous approvisionnent en gaz ? Et enfin, quel est le plan de réduction de la demande énergétique de nos sociétés ? Car, comme le dit si bien Janus Benyus, « la modération est l’une des attitudes les plus efficaces que nous puissions adopter pour s’adapter à ce stade de l’histoire ».1 Et si finalement nous décidions d’exploiter les shales gazifières de façon raisonnée et raisonnable, où seraient installés les puits de forage de façon à minimiser les risques, les conséquences environnementales, sociales et les impacts sur la santé ? Voilà les vraies questions de fond auxquelles nous devons répondre en tant que société. Il est évident que les mêmes questions se posent pour le charbon et le pétrole, notamment le pétrole de schiste, alors que, simultanément, nous devons investir dans les énergies renouvelables.

Concernant les aspects environnementaux, l’exploitation des gaz de schiste est de toute évidence une activité dont le coût environnemental est élevé. Contrairement aux hydrocarbures conventionnels qui sont contenus dans de vastes poches, le méthane des gaz de schiste est encapsulé dans les multiples microcavités d’une roche poreuse, le shale (dans les basses terres du Saint-Laurent, il s’agit du shale d’Utica ; sur l’île d’Anticosti, le pétrole est contenu dans le shale de Macasty). En moyenne, ce shale, ou schiste argileux, est situé à 1 500 mètres de profondeur au Québec.2 Pour libérer le gaz, on a recours à la fracturation hydraulique, une technique qui consiste à injecter de grandes quantités d’eau sous forte pression, ce qui brise la roche et libère le gaz. Le gaz ressort par le même conduit qui a permis d’acheminer l’eau. Celle-ci contient divers additifs, certains dangereux pour la santé, pour aider à optimiser la fracturation et la récupération. Mais malgré la technologie, le principe de ce procédé est de toute évidence primaire, pour ne pas dire frustre.

Pour faire en sorte que cette technique minimise ses impacts, il faut que les rejets d’eau soient stockés dans des bassins, puis traités. Il faut également s’assurer que les aquifères situés à proximité ne soient pas contaminés, ce qui s’est déjà produit aux États-Unis. De façon générale, il faut s’assurer qu’il n’y ait aucun rejet de ces eaux usées dans l’environnement. Il faut aussi déterminer si cette utilisation de l’eau ne rentre pas en confit avec d’autres usages (eau potable, sanitaires, agriculture) et si cet usage est éthique.

Par ailleurs, il faut veiller aux fuites de méthane, un aspect qui ne semble pas totalement contrôlé par les exploitants de gaz naturel si l’on se base sur les problèmes rencontrés dans les puits de gaz de schiste déjà en activité. Ces fuites détériorent le bilan de cette filière énergétique en matière de gaz à effet de serre (GES), car le méthane a un forçage radiatif 25 fois plus élevé que le CO2 (si on considère une période de 100 ans). Les défenseurs du gaz de schiste rappellent à loisir que la combustion de gaz naturel produit moins de GES que le charbon ou le pétrole. Certes, mais lorsque l’on tient compte du cycle de vie total de la filière (infrastructures, exploitation, transport, utilisation), le bilan peut être aussi mauvais ou pire que celui du charbon, selon l’horizon temporel choisi.3

Finalement, sur le plan économique, il semble difficile de prédire le prix futur du gaz naturel et de ce que son exploitation pourrait rapporter. Tout dépendra évidemment du marché de l’offre et de la demande. Si les shales gazifières sont développés mondialement à la même échelle qu’aux États-Unis, il est possible que les prix chutent du fait d’une grande disponibilité de la ressource mais, si la majorité des pays voit dans le gaz naturel LE combustible de transition vers les énergies renouvelables, les prix pourraient aussi bien être élevés.

Conclusion

Nous devons nous défaire de notre dépendance au pétrole pour limiter les changements climatiques et minimiser ses impacts sur les populations. À plus long terme, nous devons éviter que la hausse de la température planétaire franchisse un seuil qui rende le climat imprévisible. La nécessité d’utiliser une certaine quantité de gaz dans la société ne justifie en rien l’exploitation des shales gazifières. Comme le rappelait avec pertinence André Bélisle, fondateur de l’AQLPA,4 d’autres possibilités, beaucoup moins dommageables pour l’environnement s’offrent à nous, par exemple la biométhanisation. Ce procédé, dont la matière première pourrait être constituée de matières renouvelables, pourrait subvenir à la demande en méthane (biogaz) de nos sociétés.

On arguera que les investissements dans la filière gazière pourraient créer des emplois et contribuer au développement économique et social, mais c’est oublier que des investissements similaires dans des énergies renouvelables auraient les mêmes effets. Si l’État ainsi que les entreprises et les actionnaires de l’industrie des combustibles fossiles étaient clairvoyants, ne serait-ce que pour eux-mêmes, ils abandonneraient progressivement ce type d’activité et investiraient immédiatement et massivement dans les énergies de l’avenir. Il y va de la sécurité climatique des populations.

Bibliographie

1 Janine M. Benyus, Biomimétisme – Quand la nature inspire des innovations durables (2011) Ed. Rue de l’échiquier, Paris.

2 Conférence de André Bélisle, président de l’Association pour la protection de la pollution atmosphérique (AQLPA) avant la projection du film Gasland, 16 mars 2011, Réseau du Forum social de Québec Chaudière-Appalaches http://www.reseauforum.org/grille-calendrier/node/5016

3 Dossier shales gazifières de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société http://www.ihqeds.ulaval.ca/shalesgaziferes.html

4 L. M. Cathles “Assessing the greenhouse impact of natural gas” Geochemistry, Geophysics, Geosystems 13 Q06013 (2012) (doi:10.1029/2012GC004032) http://www.agu.org/pubs/crossref/2012/2012GC004032.shtml
J. David Hugues “Life Cycle Greenhouse Gas Emissions from Shale Gas Compared to Coal: An Analysis of Two Conflicting Studies”, Post Carbon Institute (2011) http://www.postcarbon.org/report/390308-report-life-cycle-greenhouse-gas-emissions
Gas and air Nature 482 131–132 (2012) doi:10.1038/482131b http://www.nature.com/nature/journal/v482/n7384/full/482131b.html?WT.ec_id=NATURE-20120209

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