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Abondance du phytoplancton et climat

Le phytoplancton est un producteur essentiel de matière organique sur Terre et fixe d’énormes quantités de dioxyde de carbone par photosynthèse. Il influence donc la chaîne alimentaire et les cycles biogéochimiques. Son abondance est influencée par la lumière du soleil et la disponibilité des nutriments, et fluctue avec les conditions météorologiques, notamment avec le phénomène El Niño.

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Le phytoplancton fixe du carbone et fabrique de la matière organique

En captant les rayons solaires et en utilisant le dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique dissout dans les océans ainsi que des nutriments à sa disposition, le phytoplancton produit une quantité immense de matière organique dite « primaire » par biosynthèse (la production primaire nette, PPN, est relative à la production de matière organique à partir de matière inorganique). Au total, le phytoplancton produit environ la moitié de la biomasse produite sur Terre.

Chaque jour, plus de 100 millions de tonnes de carbone sont ainsi fixées et transformées en matière organique par ces plantes microscopiques vivant à la surface des océans. Et chaque jour, une quantité similaire de carbone organique est absorbée et transférée dans les écosystèmes marins. La photosynthèse par le phytoplancton est un facteur essentiel du cycle du carbone en constituant un lien entre le monde du vivant et la matière inorganique.

Pour réaliser la biosynthèse, le phytoplancton a besoin de lumière, c’est pourquoi on le retrouve essentiellement dans les eaux de surfaces. L’ensoleillement étant élevé à l’équateur et aux latitudes moyennes (figure ci-dessous), il n’est pas un facteur limitant pour la croissance du phytoplancton, alors que c’en est un près des pôles où l’ensoleillement est faible (figure ci-dessous). À l’équateur et aux latitudes moyennes, le principal facteur limitant est l’apport de nutriments.

Ensoleillement annuel moyen
Ensoleillement annuel moyen (en W/m2) en fonction de la latitude, au sommet de l’atmosphère terrestre (figure du haut) et à la surface de la Terre (figure du bas). (Source : Wikipédia).

Les remontées d’eau

Les nutriments utilisés par le phytoplancton sont principalement l’azote, le phosphate et le fer. Une petite partie du fer est apporté par les vents qui transportent les poussières des déserts et les déposent sur la surface des océans, mais les nutriments proviennent essentiellement des fonds marins. Ils sont apportés par des courants verticaux d’eau froide et dense appelés remontées d’eau (upwelling en anglais). Ces courants résultent de l’action des vents marins, généralement des vents saisonniers, qui poussent l’eau de surface, provoquant ainsi des déplacements de masses d’eau qui sont remplacées par les eaux de fond.

Schéma du processus de remontées des eaux du fond marin sous l’influence des vents et de la force de Coriolis. (Source : Figure modifiée par D. Reed d’après une image de J. Wallace et S. Vogel, National Oceanic and Atmospheric Administration
http://oceanexplorer.noaa.gov/explorations/02quest/background/upwelling/upwelling.html)

Un exemple typique et très répandu est la remontée des eaux aux abords des côtes (figure ci-dessous). Lorsque les vents soufflent parallèlement aux côtes, ils peuvent pousser loin des côtes de grands volumes d’eau par l’entremise de la force de Coriolis. Cette eau de surface est alors remplacée par l’eau venant du fond marin. La distribution des remontées d’eau côtière est représentée pour l’ensemble de la surface terrestre sur la figure ci-dessous.

Carte mondiale des régions de remontées côtières d’eau
Carte mondiale des régions de remontées côtières d’eau. (Source : National Oceanic and Atmospheric Administration). http://oceanservice.noaa.gov/education/tutorial_currents/03coastal4.html

La stratification des océans et la couche de mélange (CM)

Le transfert les nutriments du fond marin vers la surface dépend également de la stratification des océans. Cette stratification est induite par la différence de température (ou de densité) entre la surface et les profondeurs. Elle est due au fait que l’eau chaude est moins dense que l’eau froide, et que l’eau froide a donc tendance à rester au fond.

Cette situation est donc très stable et tout à fait analogue à celle qui règne dans la stratosphère pour l’ozone. Du fait de cette situation, les nutriments qui se forment essentiellement dans les fonds marins froids, n’ont pas naturellement tendance à remonter à la surface plus chaude. Une action extérieure comme les courants verticaux est nécessaire.

Quantitativement, les chercheurs caractérisent le degré de stratification des océans par la mesure de la différence de densité entre la surface et les profondeurs (par exemple la densité à 200 m de profondeur). La stratification est moindre aux pôles où la température à la surface est plus froide, de sorte que le contraste avec le fond marin est moindre.

La stratification est également moindre à proximité de la surface du fait des mouvements turbulents causés notamment par les vents qui brasse la mer et mélange des couches d’eau les moins profondes. Cette zone de la colonne d’eau plus homogène aussi bien en densité qu’en nutriments s’appelle la couche mélangée (CM).

Cette couche est également affectée par l’évaporation ou par un apport d’eau douce (consécutif par exemple à la fonte des glaces). Le premier induit un accroissement de la salinité, le second une réduction de celle-ci, qui résultent respectivement en une augmentation ou un une diminution de la densité en surface. Par suite, l’évaporation induit des mouvements de convection qui vont homogénéiser les couches d’eau, alors qu’un apport d’eau douce va stabiliser la stratification de la colonne d’eau.

L’épaisseur de la CM varie avec les saisons. L’été, le réchauffement de l’eau de surface par les rayons solaires conduit à une stratification plus stable de la colonne d’eau, ce qui réduit la pénétration du mélange induit par les vents. C’est le contraire en hiver. Comme, de plus, la densité de l’eau est maximale juste avant de geler, la stratification est davantage déstabilisée en hiver de sorte que la turbulence induite par les vents peut pénétrer de plus grandes profondeurs océaniques.

La répartition du phytoplancton sur le globe

Comme on l’a vu, la croissance du phytoplancton dépend de la disponibilité de la lumière et des nutriments, disponibilité qui dépend du cycle solaire, du dépôt de poussières à la surface des océans, de la circulation océanique, de la stratification des océans et des remontées d’eau. L’abondance du phytoplancton n’est donc par identique à la surface du globe (ni identique dans le temps).

Carte mondiale PPN 1997-2006
Carte mondiale montrant la répartition de la production primaire nette (PPN) entre 1997 et 2006. Celle-ci est déterminée à partir de mesures satellitaires de la concentration de chlorophylle de surface (SChl). (Source : Behrenfeld et coll., Science (2006) 444 752).

À partir de la mesure de la concentration de chlorophylle (SChl), on peut déterminer la PPN des océans. La carte ci–dessus montre la distribution mondiale de PPN entre 1997 et 2006. On peut voir que la PPN est maximale près des côtes et minimale en haute mer. Ceci vient principalement des remontées d’eau côtières et du fait que les côtes reçoivent beaucoup de nutriments venant des rivières qui se jettent dans les mers et océans.

L’influence du climat

La figure ci-dessous montre l’évolution globale de la PPN sur l’ensemble des océans au cours des années 1997 à 2006. On observe une augmentation rapide entre 1997 et 1999, puis une décroissance jusqu’en 2005, année à partir de laquelle une remontée semble se dessiner. On sait que la période 1997 et 1999 correspond à une transition entre des conditions météorologiques marquées par El Niño (globalement plus chaudes) vers des conditions météorologiques marquées par La Nina (globalement plus froides).

Rappelons que El Niño est un cycle climatique quasi-périodique de 2 à 7 ans qui a lieu dans l’Océan Pacifique équatorial et qui est caractérisé par des variations de température à la surface de l’est de l’Océan Pacifique (un réchauffement ou un refroidissement respectivement pour El Niño et La Niña), et des variations de la pression de l’air dans l’ouest de l’Océan Pacifique, que l’on appelle l’oscillation australe.

Pour caractériser les conditions régnant lors de ces phénomènes météorologiques, les scientifiques utilisent un indice, dit indice El Niño, qui caractérise l’intensité du phénomène tout au long du cycle et qui représente les conditions qui règnent selon les années. Cet indice prend en compte la pression atmosphérique au niveau de la mer, les vents de surface, la température de l’air de surface et l’ennuagement.

PPN vs MEI
Évolution de l’écart à la moyenne de la PPN mondiale (en téragrammes (1012) de carbone par mois) entre 1997 et 2006 et de l’indice El Niño. (Source : Behrenfeld et coll. Science (2006) 444 752).

La figure ci-dessus montre l’évolution de l’indice El Niño entre 1997 et 2006 superposé à la PPN. La figure montre que les variations de PPN (donc de SChl) et de l’indice El Niño sont étroitement reliés. Quand l’indice est élevé, la production de biomasse est faible et inversement. Un indice El Niño élevé étant associé à des conditions météorologiques plus chaudes, l’explication de la diminution de chlorophylle semble intimement reliée aux variations de température.

Plus précisément, une augmentation de la température due à El Niño induit un plus fort contraste entre la température de la surface et celle des couches inférieures. D’après ce que l’on a vu plus haut, il en résulte un plus fort contraste entre les densités de ces couches, ce qui stabilise davantage la colonne d’eau et réduit l’épaisseur de la couche de mélange, inhibe donc davantage le mélange des eaux des différentes profondeurs, réduisant ainsi le transfert de nutriments. Le phytoplancton est donc moins nourrit et a tendance à être moins abondant.

La corrélation entre le SChl et El Niño est particulièrement élevée aux tropiques et aux latitudes moyennes. L’effet est moindre aux latitudes élevées, car le phénomène contraire a lieu. Dans ce cas, une augmentation de température engendre encore une diminution du mélange des eaux riches en nutriments et celles moins riches en nutriments (diminution de la couche de mélange). Mais dans ce cas, cela a pour effet que le phytoplancton se concentre près de la surface. Il reçoit donc plus de lumière et peut proliférer. Aux basses latitudes, la réduction de la profondeur de la CM est accentuée par l’apport d’eau douce dû à la fonte des glaces.

La figure ci-dessous montre justement l’évolution de la la PPN mondiale entre 1997 et 2006 comparée à l’épaisseur de la couche mélangée. Il y a clairement un lien entre la production de matière organique et la stratification : plus l’océan est stratifié, moins la PPN est élevée.

PPN vs stratification
Évolution de l’écart à la moyenne de la PPN mondiale (en téragrammes (1012) de carbone par mois) entre 1997 et 2006 et de la stratification des océans. Cette dernière correspond à la différence de densité à la surface et la densité à 200 m de profondeur. (Source : Behrenfeld et coll. Science (2006) 444 752).

Conclusions

Si ces résultats se confirment, il est prévisible que le réchauffement planétaire causera dans les années qui viennent une diminution de la chlorophylle et de la production de biomasse dans les eux plus chaudes (aux tropiques et latitudes moyennes) et une augmentation dans les eaux plus froides (latitudes élevées).

L’explication du phénomène est décrite sur la figure ci-dessous :

Modèles couches mélangées
Modèles décrivant les conséquences du réchauffement climatique sur la profondeur de la couche mélangée. Une augmentation de la température de la surface des océans stabilise la stratification et réduit la profondeur de la CM. Aux latitudes faibles et moyennes, où la croissance du phytoplancton est limitée par la disponibilité des nutriments, la réduction de CM diminue la concentration de phytoplancton, Aux faibles latitudes, où la croissance du phytoplancton est limitée par l’accès à la lumière, la réduction de CM accentuée par l’apport d’eau douce résultant de la fonde des glaces, concentre le phytoplancton en surface qui reçoit plus de lumière et peut croître davantage. (Source : Doney, Science (2006) 444 695-696).

Sources :

Michael Behrenfeld, Robert O’Malley, David Siegel, Charles McClain, Jorge Sarmiento, Gene Feldman, Allen Milligan, Paul Falkowski, Ricardo Letelier et Emmanuel S. Boss Climate-driven trends in contemporary ocean productivity Science (2006) 444 752-755 (doi:10.1038/nature05317)
Résumé de l’article

Scott C. Doney, Plankton in a warmer world, Science (2006) 444 695-696.
Résumé de l’article

Image phytoplancton  : image du phytoplancton dans l’Atlantique Nord prise par le radio-spectromètre MODIS (Moderate Resolution Imaging Spectroradiometer) sur le satellite de la NASA Aqua en juin 2010. Chaque année, une nappe de phytoplankton s’étale sur l’Atlantique et se déplace du sud vers le nord.
Auteur : Jeff Schmaltz. Image téléchargée sur le site Earth Observatory de la NASA à : http://earthobservatory.nasa.gov/IOTD/view.php?id=44478.

 

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